• Ceux qui l'ont connue, fréquentée, foulée son sable fin, marché sur sa jetée, plongé dans son eau, « bu la tasse », en parlent avec amour, une pointe de nostalgie et, parfois, avec petit pincement au cœur.

    La plage Franco de Raïs Hamidou (ex-Pointe Pescade), sur le littoral ouest de la capitale, fait chaque jour le plein. Elle fait partie des plages mythiques de l'Algérois. Ceux qui l'ont connue, fréquentée, foulé son sable fin, marché sur sa jetée, plongé dans son eau, « bu la tasse », en parlent avec amour, une pointe de nostalgie et, parfois, avec petit pincement de cœur. Parce que l'endroit a subi quelques dégradations. L'homme et les inondations sont passés par là. Mais elle demeure toujours, et certainement pour très longtemps encore, une plage qui draine des estivants et autres amoureux de la grande bleue.

    La plage Franco a constitué pour des générations d'enfants d'Alger et de sa périphérie la « seconde étape » de leur « vie marine ». C'est ici qu'ils venaient après avoir, tout petits, accompli leur premier baptême de l'eau et fréquenté El Kettani (ex-Padovani) et R'mila à Bab El-oued, deux autres plages mythiques de l'Algérois.

    Aujourd'hui encore, la plage Franco est très fréquentée. Elle attire, chaque jour pendant la saisons estivale, des centaines d'estivants d'Alger et de ses quartiers et localités limitrophes. Certains jours, notamment les week-ends, la plage est bondée de monde. Les parasols et les serviettes sont collés les uns aux autres tellement l'affluence est forte. Les femmes et les jeunes filles qui ont disparu de Franco durant les années rouges de 90, sont revenues. Elles sont généralement accompagnées par des enfants ou l'époux.

    La plage Franco est propre, mais seulement le matin. Elle est nettoyage chaque jour, avant l'arrivée des estivants, par des agents de l'APPL. Mais le manque de civisme fait que le site devient, dès le début de l'après-midi, une sorte de porcherie. Le mot est juste. Des sachets, des bouteilles en plastique, des boites de fromage vides, du papier d'emballage, des cannettes, des gobelets en plastique sont abandonnés sur les lieux par des estivants. C'est affligeant ! « Le plus rigollot dans tout ça, c'est que les mêmes personnes qui ont abandonné ces déchets viendront quelques heures plus tard ou le lendemain vous balancer, sans rire, à la figure que la plage est sale », dira un employé de l'APPL rencontré sur les lieux. « Pourtant, ajoute-t-il, des poubelles sont installées sur tout la longueur de la plage ».

    Des policiers en short et puls blancs et des agents de la protection civile portant la même tenue mais de couleur rouge, ce qui distinguent les uns et des autres, sont présents en permanence à Franco. Ils ont leurs quartiers sur place pour la durée de la saison estivale. Ils sillonnent la plage pour assurer la sécurité des estivants. En dépit de quelques « fausses notes », telle que les déchets semer sur le sable, l'ambiance est conviviale. Les estivants donnent l'impression de se connaître. A force de fréquenter cette plage, depuis parfois plusieurs années, ils ont fini par nouer des liens d'amitié. « J'aime bien cet endroit. J'habite Télemly, mais je viens ici chaque fois que j'ai un peu de temps libre pour me détendre, me balader sur la jetée et échanger quelques mots avec les pêcheurs et les badauds », nous confie Si Ouali, un retraité d'un peu plus d'une soixantaine d'années. « On étouffe à Alger. La vie est devenue insupportable à cause des bruits de toutes sortes », relève-t-il. « Les retraités sont maltraités », ajoute-t-il avec une pointe d'humour.

    C'est vrai qu'il n'y a pas que des estivants qu'on rencontre à Franco. Certains viennent juste pour passer le temps en contemplant le bleu azur de la Méditerranée, à partir de la jetée ou de l'artère surplombant Franco. La plage, qui a la forme d'une baie, dispose d'une surface de 2.184 m2, sur une longueur de 114 mètres et une largeur de 21 mètres. Elle peut accueillir au même moment près de 600 estivants, selon l'Agence pour la promotion et la protection de littoral algérois (APPL).
    La jetée qui lui fait face est l'endroit préféré et apprécié par les garçons et les adolescents. L'eau y'est plus propre et profonde, donc idéal pour la plongée. D'autres enfants optent pour les quatre imposants piliers plantés en file indienne en prolongement de la petite plage mitoyenne de La Rascasse. Ces gros blocs servaient, autrefois, de supports pour la voie ferrée du train de la cimenterie. Car, jusqu'aux années 50, le ciment était transportait par voie maritime. Aujourd'hui, ces pilastres, rongés par les vagues, servent de plongeoirs pour les baigneurs.

    « On enregistre de temps à autre de graves accidents dans cette zone. En plongeant du haut de ces piliers, des baigneurs courent le risque de se cogner la tête contre les rochers qui tapissent les profondeurs de la plage », selon Malek, un enfant de Raïs Hamidou. « Il y a en réalité trois plages dans cette zone. Il y a Franco, la plus connue, mais aussi La Rascade et la plage du Club nautique », dit-il. Ces deux dernières plages, séparées par les fameux les piliers de l'ex-voie ferrée, sont interdites à la baignade, parce que pollution. La première par des eaux des rivières descendant des monts de Bouzaréah et la deuxième par des déchets de la cimenterie. Elles sont faiblement fréquentées par les baigneurs. La plage du Club nautique était déserte lors de notre passage. Il y'avait tout juste six adolescents en train de jouer une partie de football.

    « L'eau n'est pas propre ici. Elle est polluée », dit l'un d'eux, en pointant un index sur une rigole d'eau blanchâtre provenant de la cimenterie. L'eau des rivages de la plage est de la même couleur et s'étend sur au moins deux mètres de large le long de la plage.
    Par contre, de l'autre côte de la jetée de la plage Franco, du côté des rochers, le décor est tout autre. « Regardez cette eau. Elle est tellement limpide et propre qu'on peut voir les poissons danser à plusieurs mètres de profondeur », dit Kamel, un enfant de Bologhine, étudiant à l'université de Bab Ezzouar. « La mer, c'est l'avenir de l'Algérie. Le pays, avec ses 1.200 km de côtes, peut vivre à l'aise du secteur du tourisme et des richesses de la mer. Dommage que les responsables continuent de tourner le dos à l'un (la mer) et aux autres (ses richesses). Résultat : des Algériens passent leurs vacances en Tunisie ou ailleurs et nos poissons meurent de vieillesse faute d'une véritable flotte de pêche », constate-t-il.

    La mer c'est le dada, la spécialité de Djamel Chaouch, qui enseigne, depuis de longues années, la plongée sous-marine, le secourisme et le sauvetage en mer. Il est aussi secrétaire général de Cœur Bleu d'Alger, une association scientifique fondée début août pour protéger l'écosystème, développer l'activité subaquatique, aider les scientifiques à découvrir le milieu marin et réaliser des documentaires sur ce milieu afin de sensibiliser la population sur les dangers de pollution de la mer.

    Des déchets non biodégradables

    Le 8 août, cette association avait organisé une opération de nettoyage à la plage Franco. Les plongeurs ont retiré de la mer, en l'espace de 45 minutes, l'équivalent de deux camions de déchets composés entre autres de pneus, de bouteilles, de cannettes, de sachets et jerricans en plastique etc. « Ca fait mal au cœur de voir ça », dira M. Chaouch. Les déchets retirés du ventre de la mer ne sont pas tous biodégradables. Il nous apprend que le petit sachet en plastique de quelques grammes fournit par les marchands de fruits et légumes met près de 400 ans – oui, 4 siècles – pour disparaître, se dissoudre. « Ce sachet détruit la faune et la flore sur un rayon de 4 mètres, parce qu'il dégage des toxines. Ce n'est pas gentil de le dire, mais la mer est devenu une poubelle », selon M. Chaouch.

    La côte algéroise est touchée par la pollution. « Il faut la protéger », souligne-t-il. Aujourd'hui, cette protection est assurée par une planté marine qui lui procure plus de 70% de l'oxygénation. « C'est grâce à cette plante que certaines espèces de la faune et de la flore survivent. Le poisson a diminué, y compris la sardine, ce n'est plus comme avant », selon lui. Pour M. Chaouch, la protection du milieu marin « est une obligation morale ».

    Lors du nettoyage à la plage Franco, de nombreux jeunes venus pour se baigner ont mis la main à la patte. « Ils ont participé à l'opération, ramassé avec nous les déchets. C'est le côté positif de l'opération. C'est encourageant », estime-t-il. Le Cœur bleu d'Alger envisage de multiplier les activités autour de la mer et de sa protection. « Les Algériens on tendance à tourner le dos à la mer », admet-il. « Si tu demandes à une maman si son enfant peut faire du judo, du football, elle dira oui sans trop réfléchir. Mais si tu lui parles de sport nautique, là elle refuse. Parce que dans sa tête, +lebhar yeblaâ+, la mer engloutie », ajoute M. Chaouch. La belle chanson d'El Badji illustre bien l'image qu'on se fait de la mer.

    M. Chaouch a embarqué sa fille et son fils dans son amour pour la Méditerranée.  Sa fille a délaissé le judo et la natation qu'elle pratiquait jusqu'à l'âge de 12 ans pour la plongée sous-marine qu'elle pratique depuis 9 ans sous l'influence indirecte de son père. Elle est « fasciné » par la mer qui lui permet de vivre des  moments d'« évasion » et d'oublier « les tracas de la ville ». Elle étudie et pratique la plongée sous marine au Chabab riyadhi de Raïs Hamidou (CRRH) dont le siège se trouve sur la plage Franco. L'école enseigne la plongée sous marine, la chasse sous marine, le sauvetage, le secourisme et la nage avec palmes. Un vaste programme, mais les moyens font défaut. Le matériel nécessaire aux activités aquatiques exige un solide budget. Il faut au bas mot 120.000 dinars pour équiper, avec un matériel bas de gamme, un seul plongeur.

    La formation théorique et pratique est assurée pour la somme de 7.000 dinars pour chacun des trois paliers. Elle est sanctionnée par un diplôme. Le CRRH propose deux formules : une bloquée et une autre le week-end. « Ce n'est pas évident pour un stagiaire de débourser une telle somme », dira Abdellah Allaf, trésorier de la section subaquatique du CRRH. Ce qui contraint les dirigeants du club à accepter la formule de « facilité de paiement » en deux ou trois versements. « Ailleurs, le coût de la formation est plus cher », dira-t-il. En dépit du coût, considéré élevé, les activités subaquatiques attirent de nombreux amateurs. Mais les moyens pédagogiques et matériels du CRRH sont limités. Les futurs élèves sont donc inscrits sur la liste d'attente.

    Trait-d'union

    L'attente, elle est aussi du côté du Club nautique. Ce restaurant est un lieu historique. Il est géré depuis 1963 par Ammi Kouider, un homme affable de 83 ans. Ammi Kouider est la mémoire vivante de ce lieu et des plages environnantes de Franco et de la Rascasse. Il a vu défilé dans le Club des dizaines de personnalités du monde de la culture : des écrivains, des poètes, des artistes, des hommes de théâtres et de cinéma. Le Club nautique était fréquenté par Kateb Yacine, Jean Senac, Mustapha Kateb, Sid Ali Kouiret, Rouiched et bien d'autres encore. Ils venaient soit pour se baigner, se restaurer, jouer une partie de football sur la plage ou tout simplement se détendre et bavarder entre amis.

    Aujourd'hui, le Club dépérit. Les cabines réservées aux baigneurs ont disparu, emportées par les inondations. Les murs ont oublié ce qu'est une couche de peinture. Ils n'ont pas été caressés par le pinceau depuis des lustres. Les fenêtres de la belle terrasse, avec une vue imprenable sur la Méditerranée, n'ont plus de carreaux. Il ne fait pas de doute que la restauration du Club nautique pourrait donner un plus aux plages et petit port de Raïs Hamidou. S'il tient encore debout, c'est grâce aux habitués du quartier, des hommes âgés pour la plupart, qui viennent régulièrement pour siroter un café, un thé à la menthe ou une boisson gazeuse tout en admirant le beau tableau bleu azur qu'offre la Méditerranée.

    Il est 20H00. La plage Franco commence à changer de décor et d'ambiance. Des familles entières débarquent sur la plage pour prendre le frais. D'autres baigneurs, des hommes, des adolescents et des enfants, ont pris le relais de ceux du jour. « Cette ambiance durera jusqu'aux environs de minuit. Tous les gens que tu vois habitent près de la plage. La plupart se connaissent. Tout le monde se connaît d'ailleurs ici, car Raïs Hamidou est une petite localité », dira un jeune plagiste. Et la plage Franco constitue, peut-on ajouter, un trait d'union pour raffermir les liens entre eux.

    Mohamed Arezki Himeur

    Le Cap, bimensuel, Alger

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  • Par Mohamed Arezki Himeur

     (
    Le Cap, bimensuel – Alger)

    La vie n'est pas commode pour les étrangers en Algérie. Surtout pour les ressortissant européens et nord-américains. Beaucoup d'entre eux, présents dans le pays parfois depuis quelques années, ne connaissent de l'Algérie que certains quartiers d'Alger et de sa périphérie, ainsi qu'une poignée de villes qu'ils ont traversées à la dérobée, furtivement, à bord de véhicules de service. Il est vrai que les intérêts des pays de certains d'entre eux figurent parmi les cibles des menaces de la branche d'Al-Qaîda au Maghreb islamique (AQMI), nouvelle appellation du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), qui a rallié avec armes et bagages l'organisation terroriste internationale de Ben Laden.


    Hormis les ressortissants des pays arabes et, dans une moindre mesure africains, les seuls étrangers qu'on rencontre de temps à autre dans les artères de nos grandes villes sont des Chinois. Ils représentent, avec plus de 19 000 personnes, la plus importante communauté étrangère travaillant et vivant en Algérie. Quelques-uns se sont installés à leur compte en ouvrant des boutiques. Les autres vivent dans une totale discrétion, presque dans la clandestinité, pour cause d'insécurité liée aux groupes armés islamistes.

    Les Européens qu'on aperçoit parfois à la rue Didouche Mourad, la principale artère de la capitale, nos Champs-Elysées ou Oxford Street, se déplacent discrètement, généralement en voiture, et par nécessité. Pour une mission, un travail bien précis ou pour acheter un cadeau souvenir à envoyer ou à emmener aux enfants ou aux amis à la prochaine visite à la famille, ou au prochain retour définitif au pays. La prudence est de mise pour tous.

    Pas de vie sociale      


    Certains sites Internet d'ambassades ne cessent de le recommander à leurs ressortissants, à chaque attentat terrorise retentissant. Résultat : les Européens évitent au maximum tout déplacement sans objet, toute sortie diurne ou nocturne afin de prendre de l'air ou flâner au bord de la Méditerranée. Ils ne s'aventurent jamais du côté de Belcourt, Bab El-Oued, Hussein-Dey, Kouba et des autres quartiers populaires d'Alger. Certains n'y ont jamais mis les pieds. Lorsqu'un jour de repos ou un week-end ils se décident à sortir, à quitter momentanément leur tanière, c'est pour se rendre à Tipaza — toujours la même direction — afin d'effectuer une visite éclair des ruines romaines.

    «C'est très pénible. Il n'y a aucune vie sociale pour les étrangers en Algérie, y compris à Alger, la vitrine du pays. Pour les employés, c'est boulot dodo, pour leurs épouses et leurs enfants, c'est la maison», dit Nicole, femme d'un cadre d'une filiale d'une société française installée à Alger, rencontrée devant une boutique de produits artisanaux près de la Fac centrale à Alger. Elle était accompagnée d'un couple algérien.

    Pour rompre l'isolement, les expatriés européens, qu'ils soient employés de sociétés ou fonctionnaires d'ambassades et d'organisations internationales organisent des rencontres, tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre, pour discuter, passer une agréable soirée «autour d'un verre» ou une «bouffe partie». Des Algériens, généralement des collègues de travail ou des relations d'affaires, sont invités à ces rencontres.

    «Je crois que sans ces rencontres, les Euro-péennes, dans leur majorité, ne tiendront pas longtemps ici, ils plieront bagages peu de temps après leur arrivée en Algérie», estime Clara. Cette espagnole est l'une des rares étrangères à se rendre régulièrement au marché pour faire ses emplettes. Les derniers attentats suicide perpétrés à Alger avaient incité certaines sociétés à rapatrier des familles de leurs personnels expatriés.

    Le physique de Clara, son teint et ses cheveux noirs lui sont d'un grand secours. Ils l'aident à se fondre facilement dans la foule, parmi les Algériennes, sans susciter le moindre soupçon sur son origine. «En réalité, je ne suis pas la seule à me rendre au marché. Il y a des Européennes, surtout des épouses de personnels de sociétés, qui font, comme moi, leur marché au moins une fois toutes les deux semaines, mais toujours accompagnées par des ami(e)s algériens».

    Au niveau des représentations diplomatiques, les consignes de prudence sont scrupuleusement respectées. Le moindre écart risque de porter préjudice à la carrière de son auteur. Ce n'est pas demain la veille qu'un ressortissant européen, prendra son courage à deux mains, pour aller déguster de délicieuses brochettes « sur les rayons de bicyclettes » à Hamdania. C'est dans ce petit village de montagne situé à la sortie des Gorges de la Chiffa, en allant de Blida et Médéa, qu'on trouve de succulentes brochettes de viande, peut-être meilleures que celles d'El Achir, sur la route de Sétif.

    32 000 étrangers


    Le secteur de la restauration est certainement celui qui permet d'avoir une idée sur la vie que mènent les ressortissants européens en Algérie. Les établissements les plus fréquentés sont principalement ceux des grands hôtels. Ceux-là, font de très bonnes recettes. Ils sont fréquentés par des diplomates et de hauts fonctionnaires des organisations internationales. Parce qu'ils sont sécurisés.

    Par contre, en ville et dans la périphérie ouest et est d'Alger, le constat est différent ; les restaurants drainant des étrangers, toutes nationalités confondues, se comptent sur les doigts d'une main. Ils sont fréquentés par des employés européens d'entreprises algériennes ou de sociétés étrangères, mais aussi et surtout par des «missionnaires», des employés de firmes étrangères en mission pour quelques jours, voire quelques semaines, en Algérie. Ces derniers sont moins «intoxiqués» par le climat de l'insécurité ambiante, entretenue, parfois amplifiée, par les uns et les autres. Certains, dont des Algériens, pour éloigner les éventuels concurrents qui rodent dans le pays, les autres, des fonctionnaires d'ambassades et des cadres de sociétés étrangères, pour maintenir élevée la «prime de risque» perçue en venant en Algérie.

    Les statistiques sur le nombre d'étrangers travaillant en Algérie varient d'une source à une autre. Elles tournent entre 23 000 et 32 000 personnes, représentant une centaine de nationalités. Ces chiffres concernent les étrangers munis d'un permis de travail. Ils ne semblent pas prendre en ligne de compte les fonctionnaires et les personnels des représentations diplomatiques et des organisations internationales, ainsi que leurs familles (épouses et enfants). Qu'importe, quels que soient les chiffres, force est de constater que la présence des étrangers en Algérie est insignifiante par rapport au plus de 34 millions d'habitants que compte le pays.

    Il est difficile d'obtenir un chiffre précis exact sur le nombre d'étrangers, notamment Européens et Nord-Américains présents en Algérie. Les sociétés, les représentations diplomatiques et les organismes internationaux sont, pour des raisons sécuritaires ou autres, avares en confidences sur ce chapitre.

    Pas de bousculade


    Il est vrai que l'Algérie ne figure pas parmi les destinations prisées par les expatriés étrangers. La réticence persiste chez des candidats potentiels. Des entreprises éprouvent des difficultés à trouver parmi leur personnel des candidats pour l'Algérie. Tout récemment, un important organisme français a affiché un poste de chef de bureau à pourvoir à Alger. Un seul candidat a postulé, alors qu'autrefois, au sein ce même organisme, les candidats se bousculaient pour tenter de décrocher le poste d'Alger. Autre temps, autre situation, autres mœurs.

    Certaines entreprises européennes ont trouvé la parade. Elles font appel aux binationaux et à des cadres algériens établis en Europe pour pallier le manque d'intérêt ou la crainte de leurs ressortissants à s'expatrier en Algérie. Cette crainte est renforcée, confortée par les images, négatives, renvoyées par le pays. La fermeture de certaines artères proches des commissariats de police et autres postes des forces de sécurité à la circulation automobile et parfois aux piétons, la «bunkerisation» des bâtiments officiels transformés en forteresses et le nombre élevé de barrages sur les axes routiers sont, peut-être, des mesures nécessaires, utiles. Mais, elles renvoient des signaux négatifs, laissant croire que le terrorisme est encore dangereux et qu'il dispose d'une grande force de frappe. C'est la lecture que fera tout quidam à la vue de ces images. Dans ce cas, il ne faudra pas s'étonner, ou s'offusquer, de voir les représentations diplomatiques conseiller à leurs ressortissants d'éviter de se rendre en Algérie et à ceux qui sont sur place de restreindre leurs mouvements dans le pays.

    M. A. H.


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  • Il étanche la soif de cinq wilayas et constitue un plan d'eau pour le tourisme. L'imposant  barrage de Taksebt, que longe la RN 30, draine, toute au long de l'année, particulièrement en été, de plus en plus de monde.

    On vient, entre amis ou en famille, pour se détendre, se déstresser et oublier, l'espace de quelques heures, les tracas de la journée. Il est 17 heures. Le soleil est passé derrière les imposantes collines surplombant le barrage. Des dizaines de voitures sont garées sur le côté droit de la route, en allant vers le Djurdjura. Des hommes, des femmes et des enfants ont pris place sur les berges du barrage. La majorité est venue de Tizi Ouzou, les autres sont descendus des villages des alentours.

    Ce barrage, en ces temps de canicule qui atteint parfois le pic des 40 degrés dans la région, attire des centaines de personnes à la recherche d'un peu fraîcheur. L'ouvrage, imposant, s'étend sur une superficie inondée de plus de 550 ha. Il constitue une attraction pour les amateurs du grand air. Il est devenu un lieu de détente, de repos et d'évasion pour les habitants des villes et villages voisins. C'est aussi un lieu de méditation pour les poètes et les artistes en herbe, nombreux dans la région.
    «On descend presque toutes les après-midi ici pour nous détendre et jouer de la guitare », dira Mohand, étudiant à l'université de Tizi Ouzou. Il était avec quatre amis, assis face au grand lac, en train d'interpréter des chansons de deux grands chanteurs de la région : Lounès Matoub, assassiné par un groupe armé près de Tizi Ouzou le 25 juin 1998, et Lounis Aït Menguellat. Les cinq copains sont de l'un des villages surplombant le versant ouest du barrage.

    A quelques mètres de là, presque les pieds dans l'eau, Ammi Moh, un homme âgé d'environ 65 ans, assis le dos appuyé sur un talus, surveille sa canne à pêche. Il donne l'impression de s'y connaître. Il a déjà mis dans son couffin deux belles pièces, «des carpes», laisse-t-il tomber. «C'est un ancien de Bab El-Oued et de Bologhine. Il a l'habitude de la pêche à la ligne», explique son voisin, Brahim, la cinquantaine, qui travaille à Alger, mais qui passe chaque week-end dans son village natal.

    Brahim est un novice en matière de pêche. La chance n'est pas toujours de son côté. «La plupart du temps, je retourne bredouille à maison». Il se penche, ramasse une pierre et la balance dans l'eau pour éloigner un couple de canards. «On se dispute gentiment les poissons», dira-t-il avec sourire. Il attendait des amis qui viendraient de Tizi Ouzou.
    «Mon village se trouve sur l'une de ces collines, à moins de deux kilomètres du barrage. Donc je viens ici parce que c'est animé. C'est aussi un endroit agréable.
    On ne se lasse jamais de contempler cet immense plan d'eau. Les gens viennent de Tizi Ouzou, mais aussi des villages voisins», dit Brahim.

    Le lac ne laisse personne indifférent

    Le barrage de Taksebt, qui a nécessité un investissement de 540 millions d'euros, ne laisse personne indifférent.
     L'automobiliste, surtout s'il est étranger à la région, s'il ne fait pas une halte, réduit la vitesse de son véhicule pour admirer la beauté du paysage qui est encore à l'état sauvage. Il n'y a ni buvette, ni restaurant, ni gargote.
    Les amateurs du grand air et les adeptes de Bacchus veillent ici jusqu'à une heure avancée de la nuit.
    Le barrage est situé à Oued Aïssi, à 10 km au sud-est de Tizi Ouzou. Il est entouré de cinq daïra (Tizi Ouzou, Ath Douala, Ouadhias, Ath Yenni et Larba Nath Iraten), de plusieurs communes et de dizaines de villages implantés comme des nids d'aigles sur les collines environnantes. Il dispose d'une capacité de 175 millions de m3 d'eau destinée à alimenter les régions de Tizi Ouzou, Boumerdès et Alger. Sa mise en service officielle est intervenue le 5 juillet 2007.

    Lorsque les infrastructures de raccordement seront totalement achevées, le problème de l'eau potable sera réglé pour de nombreuses années pour les trois régions concernées. En fait, c'est l'ensemble des villes et villages du «couloir Tizi Ouzou-Alger» qui seront alimentés. Le projet de transfert de l'eau de Taksert aura coûté, à lui seul, la bagatelle de 500 millions d'euros, presque la facture de l'ouvrage. Il comprend une station de traitement, une station de pompage, des tunnels dont une canalisation de 95 km pour permettre le transfert de 150 millions de m3 par an.

    Un barrage, c'est bien, le protéger, c'est mieux

    L'eau va pouvoir, enfin, couler sans interruption dans les robinets de cette partie du pays. Des chiffres indiquent qu'avant la mise en service du barrage de Taksebt, les besoins en eau potable des régions de Tizi Ouzou et d'Alger étaient couverts à 55% seulement. Le déficit expliquait les coupures et les pénuries vécues à l'époque. Déjà, à Alger, depuis plusieurs mois, les ménagères ont mis «hors service» leurs citernes et remisé au fin fond des placards de leurs cuisines les fameux jerricans servant à stocker l'eau.
    Mieux, selon des spécialistes, le barrage de Taksebt permettra de préserver les nappes aquifères de la Mitidja, surexploitées durant des années.

    L'eau, c'est la vie. Et il faudra bien penser, dès aujourd'hui, aux générations futures. Car le problème de ce précieux liquide se posera, plus tard, avec acuité. Des spécialistes ne cessent de tirer la sonnette d'alarme.
    «Au plan mondial, la question de l'approvisionnement en eau devient chaque jour plus préoccupante. Le constat unanimement partagé est simple
     : déjà précaire dans certaines régions du globe, la situation ne pourra qu'empirer dans les années à venir. Le formidable essor démographique que va en effet connaître notre planète dans les vingt-cinq prochaines années va nécessairement s'accompagner d'une explosion de la consommation en eau et d'une dégradation de sa qualité», selon le Centre national de la recherche scientifique (CNRS, français). «Cela risque de mettre gravement en péril le ravitaillement en eau douce d'une grande partie de l'humanité et par voie de conséquence d'aggraver les conflits entre pays voisins ayant des ressources communes», a-t-il relevé dans une étude.
    Le risque d'une pénurie d'eau au niveau mondial n'est pas une vue de l'esprit. Tout le monde en est conscient, mais il semble que les pays, malgré des rencontres et autres forums sur l'eau, n'arrivent pas à définir une stratégie d'action globale pour y faire éventuellement face.
    Mais en attendant, accordons un peu plus d'attention à l'eau de chez nous, dans notre pays. Avoir des barrages est une chose, mais les protéger de la pollution en est une autre. Une question délicate, pertinente.
    Ceci est valable justement pour le barrage de Taksebt, quotidiennement agressé par des dépôts d'ordures, de gravats et de détritus de toutes sortes. Certains coins du pourtour du site sont transformés en décharges sauvages. L'absence de clôtures et de surveillance facilite toutes les agressions.
    L'autre risque de pollution vient des décharges des villages des communes de Larba Nath Iraten, Ath Yenni, Ath Douala, Ath Mahmoud, Ath Aïssi, Ath Ouacifs et Ouadhias, dont les affluents et autres rivières charriant des eaux toxiques débouchent sur Taksebt.

    Un responsable du secteur de l'hydraulique de Tizi Ouzou a déjà sonné l'alerte. «Il suffit qu'il y ait une forte averse pour que les dégâts apparaissent», car «les eaux de pluies pourraient charrier d'énormes volumes d'ordures encombrantes et d'importantes quantités d'eau toxique qui proviennent des décharges», selon un responsable de la direction de l'environnement de la wilaya de Tizi Ouzou.
    Des parades existent. Elles résident dans le «nerf de la guerre». Il faut, en effet, de gros moyens financiers pour prévenir, ou tout au moins réduire, les risques de pollution de Taksebt. «Tizi Ouzou a enregistré du retard dans ce domaine par rapport à d'autres régions. L'argent existe et nous allons généraliser l'ouverture des centres d'enfouissement technique», avait dit le secrétaire général du ministère de l'Hydraulique dans la presse quotidienne.

    Il est vrai que l'éradication des décharges réside dans la création de centres d'enfouissement. Mais là aussi, un problème ce pose
     : celui de trouver des sites pour les accueillir. La démarche nécessite un gros travail de sensibilisation et de persuasion, à mener en direction des habitants. Il s'agira de les convaincre, par des exemples réalisés en Algérie ou dans d'autres pays, que l'ouverture de ce type de centres constitue, pour l'heure, la seule alternative à la protection de Taksebt.
    Entretemps, le barrage prend chaque jour de l'«épaisseur». Il continue de gagner du terrain en avalant, dans son extension vers le sud, en direction du pont de Takhoukht, arbres, vieilles bâtisses, anciens pylônes d'électricité et poteaux de lignes téléphoniques.

    Taksebt à classer en zone humide à intérêt national

    Taksebt, sur lequel veille le majestueux Djurdjura, est un site à protéger. Son principal ennemi, c'est l'homme. En plus des décharges sauvages, toutes ces centaines de bouteilles et de canettes de bière vides, tous ces «cadavres» en verre et en aluminium qui jonchent les bords de la route et du barrage, agressent et le site et le regard des passants et des visiteurs. Pire : des centaines de bouteilles tapissent le fond du barrage. 
    Pourtant, les services de la voirie avaient bien fait leur boulot, en installant de grandes poubelles en fer. Mais elles n'ont pas résisté aux prédateurs. Elles ont été soit arrachées, soit volées. Il est difficile dans ce cas de lutter contre un tel incivisme qui participe à la dégradation du site.

    L'endroit devrait être classée plus tard zone humide à intérêt national, une fois que «la faune et la flore se développent, se stabilisent et s'y adaptent», avait déclaré un responsable des forêts, à l'occasion de la Journée mondiale des zones humides. Car Taksebt est devenu aussi une «base-vie» pour plusieurs espèces d'oiseaux locaux et migrateurs. Des lâchages de carpes et de canards y ont été effectués. «Mais leurs reproductions sont perturbées par les pécheurs et les braconniers qui ne respectent pas les périodes de la pêche et de la chasse», dira Mokrane, harnaché d'un gilet de chasse, d'une cartouchière et d'un vieux fusil de chasse, rencontré sur la route qui mène vers Ath Frah, du côté du versant est du barrage. Il venait de participer, avec des amis, à une partie de chasse au sanglier, une espère nuisible pour les potagers et les cultures vivrières. Le sanglier a connu une forte prolifération au cours de ces 15 dernières années.

    Maintenant que le barrage de Taksebt est mis en marche, les autorités locales ont déjà engagé la réflexion sur les activités susceptibles d'être développées pour valoriser le lac. Des participants à une journée portes ouvertes organisée le 9 juillet 2008 par l'Assemblée populaire de la wilaya (APW) de Tizi Ouzou, ont évoqué l'éventualité de créer des infrastructures touristiques et de loisirs sur les berges du lac. Lesquelles infrastructures pourraient, grâce à l'argent des droits et taxes qu'elles vont engranger, financer la gestion, l'entretien et la protection du site. Des investisseurs commencent déjà à lorgner du côté de Taksebt.  Finalement, à Tizi Ouzou, on a de l'eau, des idées et de la suite dans les idées.

    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>Mohamed Arezki Himeur 

    Le Cap, bimensuel – Algérie
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  • Par Mohamed Arezki Himeur

    (Le CAP, revue bimensuel, Algérie)


    Dès la fin de l'après-midi, lorsque la chaleur torride de l'été amorce son déclin, que le soleil entame son retrait derrière les collines de Bouzaréah, le front de mer connaît une grande affluence. Reportage dans Bab El-Oued by night.



    Bab El-Oued n'a pas usurpé sa réputation. Il est l'un des quartiers les plus animés, le cœur palpitant d'Alger. Il a complètement changé depuis les inondations de novembre 2001. Dès la fin de l'après-midi, lorsque la chaleur torride de l'été amorce son déclin, que le soleil entame son retrait derrière les collines de Bouzaréah, le front de mer connaît une grande affluence. Il est pris d'assaut, envahi par des centaines de familles, de couples et de badauds. Il est vrai que les aménagements réalisés par le défunt gouvernorat d'Alger, après les dramatiques inondations d'il y a sept ans, y sont pour beaucoup. Ils ont donné un nouvel aspect, une nouvelle image au quartier.

    Mohamed est un Blidéen d'adoption. Originaire de l'une des montagnes de Tizi Ouzou, il est installé depuis une vingtaine d'années dans la capitale de la Mitidja. C'est dans la « ville des Roses » qu'il a fait son cursus universitaire. C'est dans cette même ville qu'il a jeté l'ancre, où il travaille.
    «C'est un endroit agréable pour la promenade, avec une vue splendide sur le large», dit-il du site El-Kettani. Son épouse, enceinte de quelques mois, approuve, d'un hochement de tête accompagné d'un sourire, le verdict, le constat de son mari.

    «On est venus humer l'air frais de la mer », dit-elle. Le couple a rejoint le front de mer quelques minutes seulement après son arrivée à Bab El-Oued.

    Mohamed y vient régulièrement pour voir sa mère habitant le quartier depuis les années 1970. Et, à chaque visite, il profite de l'occasion pour faire une escapade vers El-Kettani, aller flâner sur le font de mer, se faire caresser le visage par la brise marine. Il n'est pas le seul à tomber sous le charme d'El-Kettani. «Le site est tout le temps animé. De jour comme de nuit. Il attire beaucoup de monde, en majorité des familles et des couples, même des femmes seules accompagnées de leur progéniture. Les gens viennent en toute saison, sauf lorsqu'il pleut ou qu'il fait trop froid », selon Moulay, un sexagénaire qui vit dans le quartier depuis plus d'une trentaine d'années. « Les gens viennent de partout, de tous les quartiers d'Alger, notamment d'Alger-Centre, El-Biar, Hydra, Belcourt, El-Mouradia, mais également de Birkhadem, des Eucalyptus, de Bordj El-Kiffan et même de Rouiba», ajoute-t-il.

    El-Kettani et R'mila, plages des pauvres !  

    Pendant la période estivale, le front de mer de Bab El-Oued connaît, quotidiennement, deux périodes d'animation différentes, mais complémentaires. Le jour, les plages d'El-Kettani (ex-Padovani) et R'mila affichent complet. Elles sont noires de monde. Elles arrivent difficilement à contenir la foule, immense et compacte, des baigneurs et autres estivants, parmi lesquels figurent des familles entières. Les parasols sont collés les uns contre les autres, faute de place. Il n'est pas facile de trouver un moindre espace de sable pour étaler sa serviette ou sa natte. Inutile de scruter l'étendue du sable : il n'y pas l'ombre d'une jeune fille ou femme en maillot de bain. Par contre, des femmes n'hésitent pas à faire trempettes tout habillées, aux côtés de leur progéniture. La majorité d'entre elles sont de Bab El-Oued, d'autres quartiers voisins de Climat de France ou de la Casbah.

    El-Kettani et R'mila sont des plages des pauvres ? C'est vrai. Ceux qui disposent d'une voiture préfèrent s'éloigner, aller vers les grandes plages des localités à l'ouest et à l'est d'Alger. Mais ici, on se baigne et se bronze presque gratis. On ne débourse pas un sou pour le transport et la nourriture. On ramène tout de la maison : le sandwich, l'eau ou la bouteille de limonade. Mieux, certains baigneurs, surtout les enfants et les adolescents, rentrent chez  eux à midi pour déjeuner et reviennent sur la plage une ou deux heures plus tard. «Pourquoi aller à Sidi Fredj, Zéralda, Staouéli, Bordj El-Bahri ou ailleurs, se faire bousculer, écrabouiller dans les fourgons de transport de voyageurs et revenir éreintés pour le même résultat : se baigner et se dorer au soleil ? Dans ce cas, je préfère El-Kettani», martèle Mahmoud, 25 ans, infographe stagiaire dans une boite de communication. Durant la période estivale, depuis deux ans, il vient au moins deux fois par semaine, après le travail en semaine, «piquer une tête» à El-Kettani ou tout simplement déambuler sur le sable ou l'esplanade, contempler la Grande bleue, écouter les vagues caresser le sable et lécher les rivages de la plage. «Ces bruits, ces sonorités donnent une sensation agréable. C'est reposant pour la tête», lâche Hamid, son ami, ex-employé dans une usine de chaussures qui a baissé rideau depuis l'invasion du marché algérien par des produits chinois. Plus loin, à droite, c'est la piscine El-Kettani, «alimentée» avec de l'eau de mer. Elle est pleine comme un œuf.

    «Les hommes en blancs» (policiers en tenue d'été) arpentent, de long et large, El-Kettani et R'mila, désormais réunies en une seule plage depuis que les gros rochers qui délimitaient leurs «territoires» respectifs ont été enlevés. Des policiers tout de blanc vêtus et des agents de la Protection civile veillent au grain. Les uns assurent la quiétude et la tranquillité des estivants, les autres surveillent les rivages, l'œil rivé sur les baigneurs, notamment les enfants parfois inconscients des dangers de la mer. Ils prennent leurs quartiers sur la plage dès les premières heures de la matinée, du 1er juin jusqu'au début septembre.

    Le soir, une autre animation

    Le soir, El-Kettani connaît une autre animation. L'ambiance nocturne est moins turbulente et trépidante que celle du jour. Comme dans la journée, le site attire des centaines de personnes. Des familles et des couples viennent de partout pour flâner, prendre le frais. Il est 22 heures. Il y a encore du monde sur la plage El-Kettani. Des enfants jouent dans l'eau encore chaude, sous la surveillance de leurs parents assis tout près sur des chaises en plastique ramenées de la maison. Profitant de l'obscurité, des femmes en hidjab s'approchent de l'eau et « piquent une tête » tout habillées. Elles ressortent les vêtements collés sur leurs corps mais toutes joyeuses, comme des enfants.

    Agglutinés sur les bords de l'esplanade, face à la mer, des couples contemplent l'horizon. Derrière eux, des adolescents poursuivent l'interminable partie de football commencée il y a plusieurs heures. Ici, il n'y pas d'arbitre pour siffler la fin de la rencontre dont l'unique enjeu est... de jouer.

    Plus loin, l'ambiance est tout autre. Les regards fixés sur leurs cannes, des dizaines de pêcheurs sont alignés, l'un à côté de l'autre, sur les bords de la mer. Ils se livrent à leur passe-temps favori. Trois autres pêcheurs arrivent, canne à pêche dans une main, un petit couffin ou un sachet en plastique dans l'autre. Tout en s'informant sur l'état du « terrain de pêche », sur le type de poisson rodant près des rivages, ils procèdent à la vérification des hameçons avant de les lancer aussi loin que pouvaient le faire leurs bras. Il semble que certaines espèces de poissons se rapprochent des rivages la nuit, attirées par les lumières de la ville. Certains ont déjà quelques belles pièces dans leurs couffins.
     «Certains pêcheurs sont en permanence ici, en toutes saisons. Ils y passent une bonne partie de la nuit, même lorsqu'il fait un sale temps et que la mer est démontée. Cela m'arrive souvent, moi aussi», dit l'un d'eux, tout en continuant à accrocher les appâts, faits de petits bouts de crevettes, sur les hameçons.

    Les pêcheurs sont déconnectés de l'ambiance environnante. Ils ne sont ni gênés, ni perturbés par le va-et-vient des passants ou des enfants qui suivent leurs faits et gestes. A quelques mètres derrière eux, les mordus de la boule n'ont pas perdu la leur. Ils comptent les points. Ils sont entourés de dizaines de spectateurs. La pétanque a toujours fait partie des us et coutumes de Bab El-Oued. Les pratiquants viennent de plusieurs quartiers d'Alger et des localités proches pour s'entraîner ou participer à des tournois. Parce que la pétanque a, elle aussi, son «championnat». «Ce sport, parce que c'en est un, est malheureusement ignoré par les médias. Il n'y a qu'un ou deux journaux qui en parlent de temps à autre», déplore un responsable de l'association de pétanque. Les pratiquants, qui se recrutent dans toutes les catégories d'âge, ne sont pas, eux aussi, dérangés, troublés par la foule qui les entoure. «La pétanque est un jeu passionnant. Il m'arrive de rester plusieurs heures, surtout les week-ends ou la veille d'un jour férié, à contempler le jeu, qui exige beaucoup de concentration  Il faut viser bien et juste pour se rapprocher ou éloigner les adversaires du « cochon »,  dit Toufik, qui habite à trois pâtés d'immeubles du front de mer.

    Il est presque minuit. El-Kettani ne désemplit pas. «On veut aller là-bas, on veut aller là-bas», crient deux enfants, âgés de 6 et 8 ans, en tirant par la main maman et papa vers le manège. Mais la partie n'est pas gagnée pour les deux bambins. Car ils doivent « faire la chaîne ». Des dizaines d'autres enfants de leur âge sont déjà sur les lieux, impatients comme eux de grimper sur le train ou les petites voitures aux couleurs chatoyantes. Le père, un homme d'une quarantaine d'années, en profite pour aller acheter une bouteille d'eau minérale au fast-food d'à côté. Pendant que les deux enfants jouent à Alain Prost, sous la surveillance de leur grand frère, le couple s'installe sur un banc pour siroter un thé à la menthe. Les vendeurs de thé sont installés à chaque coin d'El-Kettani, alors qu'il y a environ trois ans, il n'y en avait qu'un seul. C'était un jeune du sud algérien, un vrai spécialiste dit-on, qui avait installé sa théière sur le trottoir du boulevard de la Bouzaréah, à lisière du jardin qui grimpe du front de mer jusqu'au rond-point Louni-Arezki, près de la citée des Eucalyptus.

    Aujourd'hui, El-Kettani est investi par une multitude de vendeurs de thé, dont l'arôme de la menthe verte chatouille les narines. Certains vendeurs excellent dans l'art de préparer et, aussi, de servir ce délicieux breuvage. Ce n'est pas donné à tout le monde de mijoter un bon thé. « Le goût et la qualité varie d'un vendeur à un autre», selon Malek qui, depuis trois jours, ne fait qu'arpenter, dans tous les sens, les artères de Bab El-Oued. Il ne reconnaît plus «son» quartier d'adoption, où il avait habité et travaillé pendant de longues années. Il n'arrive plus à trouver ses marques. Il a quitté le quartier en 2002, quelques mois après les dramatiques inondations de 2001. Il avait pris, comme beaucoup de jeunes de son âge, le chemin de l'émigration. Il a atterri à Londres où il travaille comme serveur dans un restaurant italien. Il avait laissé Bab El-Oued les pieds dans la gadoue et en chantier, avec de gros engins de travaux publics sillonnant ses artères de jour comme de nuit.

    Le quartier a changé de look

    Six ans plus tard, Malek, revenu pour quelques jours de vacances, retrouve un autre Bab El-Oued. Le quartier a changé de look. Il est plus « aéré », surtout du côté du front de mer, du commissariat et des Trois horloges. Car des dizaines d'immeubles et de bâtisses ont disparu sans laisser la moindre trace. Ils ont été rasés par «el-karitha» de 2001. Les inondations ont laissé des séquelles dans les esprits et des blessures dans les cœurs. Des familles ont été décimées, des centaines de personnes traumatisées à vie.

    Cette catastrophe a eu aussi des répercussions sur le comportement des habitants de « souche » ou d'« adoption ». C'est le constat que fait Malek. «J'ai l'impression que ce drame a changé les mentalités. Il a créé de nouveaux rapports, plus humains, entre les habitants, les voisins. Les gens sont aujourd'hui moins agressifs», estime-t-il. Malek, âgé d'une quarantaine d'années, est un enfant de la pleine de la Mitidja. Mais il a vécu longtemps à Bab El-Oued où il a encore des amis. C'est d'ailleurs chez l'un d'eux qu'il est venu passer quelques jours.

    ­­Les Trois horloges sont évitées comme la peste par les chauffeurs de taxis, pour cause d'embouteillages permanents. «J'ai remarqué que les gens viennent de différents quartiers d'Alger pour faire leurs emplettes. Parce qu'on y trouve de tout, parfois à des prix légèrement moins élevés par rapport aux autres quartiers de la ville», dit Malek.

    Samir, enfant de Hydra, avait habité une dizaine d'années, avec sa femme et ses enfants, à Bab El-Oued. Méfiant au début, il s'était tout de suite adapté à la vie trépidante du quartier. Vivant actuellement à El-Biar, il revient chaque week-end au marché des Trois horloges, parce que les prix des fruits et légumes sont nettement inférieurs à ceux pratiqués sur d'autres marchés de la capitale, à l'exception de celui de Bachdjarrah. « C'est un marché où on trouve aussi du poisson accessible aux petites et moyennes bourses », dira Samir.

    Toute cette fébrilité a un impact certain sur l'activité économique du quartier. Bab El-Oued est le seul quartier d'Alger ou l'on peut acheter son lait et son pain à une heure avancée de la nuit, prendre un café, un sandwich «shawarma», au poulet ou au fromage à 3h.

    Bien sûr, tout n'est pas aussi rose et idyllique à Bab El-Oued. Le quartier, peut-être le plus populeux de la capitale, est confronté à une multitude de problèmes, dont les plus visibles, palpables, sont le chômage qui frappe de plein fouet les jeunes contraints de se livrer au commerce informel, l'absence d'activités culturelles et de loisirs, et le manque d'hygiène. La liste est loin d'être exhaustive. Cependant, en dépit des vicissitudes de son histoire récente -- Octobre 1988, fief du FIS malgré lui au début des années 1990, inondations de novembre 2001 -- il a su garder son âme. C'est aussi cela Bab El-Oued.

    M. A. H.

     

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