•  Par Mohamed Arezki Himeur
    (magazine ancien, légèrement actualisé)

    Déjeuner à l’ombre d’un olivier, dans une oliveraie touffue, avec en prime une vue imprenable et éblouissante sur les majestueuses montagnes du Djurdjura, c’est l’agréable et premier « menu » qu’offre aux clients l’Auberge des oliviers. Cela n’a rien d’une carte postale, figée, sans âme. C’est une image vraie, palpable, peut-on écrire. C’est le panorama, saisissant par sa beauté, qui accueille automobilistes et voyageurs qui empruntent le RN30 allant de l’Oued Aïssi à Dra El-Mizan, au sud de Tizi Ouzou.
    Auberge des Olivers: sous un arbre installé...
    L’Auberge des oliviers se trouve à Mechtras, à environ 35 km au sud de Tizi Ouzou, sur la route reliant les Ouadhias et Dra El-Mizan, en passant par Tizi N’tléta. Ammi Saïd, le maître des lieux, passe d’une table à une autre. Il veille au bon accueil et à la satisfaction des clients. Chez lui, la devise qui dit que le client est roi n’est pas un vain mot.
    Le client qui débarque pour la première fois est agréablement surpris par le site et le décor. L’auberge est installée en contrebas d’un champ d’oliviers en pente douce. Elle est entourée de fils barbelés et de haies de cactus. Elle comprend quatre salles de restauration, une terrasse et un large champ d’oliviers aménagé pour accueillir et mettre à l’aise les clients désirant déjeuner en pleine aire. Une table et des chaises sont placées sous chaque olivier, sur des plateformes édifiées à cet effet et reliées les unes les autres par des allées cimentées, encadrées de platebandes verdoyantes et de fleurs. L’olivier sert de parasol en été.
    L’établissement, qui fait face à la montagne du Djurdjura, affiche presque complet les week-ends. Surtout lorsque le soleil et le beau temps sont du rendez-vous. Les clients sont pour la majorité d’entre eux des habitants des villages des communes environnantes. Ils viennent ici pour se détendre, réduire le stress accumulé en ville pendant la semaine.
     

    Auberge des Oliviers: sous un arbre installé...

    Parmi eux se trouvent aussi les spécialistes de la bonne fourchette, les amateurs de la viande de veau. Parce qu’ici, la viande de veau, tendre, charnue et appétissante, est dans tous les plats. C’est la principale, pour ne pas dire l’unique, viande consommée dans la région : en sauce, grillée, méchoui... Les connaisseurs se ruent surtout les morceaux de veau avec os et les tendrons.
    Une ballade, entre amis, dans cette partie de la région de Tizi Ouzou, est généralement ponctuée par une halte culinaire à l’Auberge des oliviers. « Nous sommes des habitués de l’établissement. On y vient au moins un week-end sur deux. C’est un endroit calme, tranquille et les plats ne sont pas chers », dira Amar. Lui et ses amis sont descendus d’un village d’Iboudrarène, une commune accrochée sur l’un des flans des cimes du Djurdjura.
    Malek est venu d’Ath Douala. Il travaille dans le sud algérien. Il vient régulièrement, pendant ses journées de récupération, pour « faire le plein de viande de veau fraîche » avant de regagner son désert, rejoindre son poste de travail à Hassi Messaoud.
    Auberge des Olivers: sous un arbre installé...
    L’Auberge des oliviers est, dans la plupart des cas, une halte pour les « vadrouilleurs et touristes locaux », après une ballade vers le fabuleux plan d’eau de Taksebt, une visite chez les bijoutiers d’Ath Yenni ou après quelques achats dans les boutiques de poterie et de robes kabyles des Ouadhias. En effet, si les villages d’Ath Yenni sont connus pour leurs bijoux en argent, ceux des Ouardhias sont eux aussi réputés, du moins dans la région de Tizi Ouzou, pour le style et les motifs des robes qu’ils confectionnent. Les femmes de la région excellent dans cette activité. Avant de vous attabler à l’Auberge des oliviers, faites un détour touristique et historique au village d’Ighil Imoula, où fut tirée la Déclaration du 1er novembre 1954 marquant le début de la guerre d’indépendance (1954/1962).
    Le touriste-voyageur peut faire une escapade à Ath Smail afin de se recueillir sur la tombe de Sidi M’hamed Ben Abderrahmane Bou-Qobrine, fondateur de la confrérie religieuse Rahmaniya (oui, oui, Sidi M’hamed a deux tombes : l’une à Ath Smail, près de Boghni, l’autre au quartier du Hamma à Alger).
    Un détour du côté de la station climatique de Thala Guilef (fontaine du sanglier, 1000 mètres d’altitude) est recommandé. L’autre itinéraire conseillé aux vadrouilleurs est celui menant vers à Agouni Gueghrane (village de Slimane Azem) et, surtout, à Ath Elkaïd, un des rares
    villages où on peut encore observer l’architecture traditionnelle des maisons kabyles, construites à l’aide de la pierre, de la terre et du bois. Le village, abandonné, continue sa descente aux enfers. La majorité des bâtisses sont dans un état de délabrement avancé. - M.A.H

    Village traditionnel d'Ath El-Kaïd en ruines

    Auberge des Olivers: sous un arbre installé...
     

     

     

     

     

     

    Auberge des Olivers: sous un arbre installé...

     

     


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  • Par : Mohamed Arezki Himeur
    Publié en partie dans Algérie Confluences, 23 mai  2013

     

    Sidi Belloua est pour Tizi Ouzou ce que Sidi Abderrahmane Thaâlibi est pour Alger, le saint tutélaire de la ville des genêts et de la vallée des Amraouas. Il est perché, comme un nid d’aigle, à quelques sept cents mètres d’altitude, sur le sommet du mont de Redjaouna. Le village éponyme, un des plus populeux de Kabylie,  est divisé en deux parties : Lvor et Techt. C’est l’endroit choisi par Sidi Belloua pour s’y installer, vivre et mourir il y a de cela plusieurs siècles.
    Un auteur français du 19ème siècle, cité par Louis Piesse dans « Itinéraire de l’Algérie, de Tunis et de Tanger » (1882), relevait que grimper jusqu’au sommet de Redjaouna n’était pas, à l’époque, une sinécure. Mais « si vous avez un jarret de Zouave ou de chasseur de chamois, soulignait-il, montez ces pentes rapides et vous serez dédommagé en arrivant au sommet ».

    Sidi Belloua: saint tutélaire de la vallée des Amraouas (Tizi Ouzou) Autres temps, autres commandités. Aujourd’hui, le village de Redjaoua, qui surplombe Tizi Ouzou, est desservi par une noria de fourgons de transport de voyageurs. Ils font la navette entre le village et la ville des genêts, avec des arrêts facultatifs sur le chemin, notamment devant le Sanatorium. Aujourd’hui encore, certains  jeunes Redjaounis éprouvent du plaisir, lorsque le beau temps est de la partie, à escalader ou à dévaler la pente abrupte, à travers champs et forêt, qui sépare la haute ville de Tizi Ouzou (Aïn Hallouf) et Redjaouna. Ammi Ahmed, qui  active depuis de longues années dans une œuvre caritative de la capitale du Djurdjura, l’avait fait à maintes reprises. « Du temps de ma jeunesse, bien sûr », nous a-t-il confié.

    La route menant vers Sidi Belloua est sinueuse et étroite par endroit. Le mausolée du saint homme draine chaque jour de nombreux visiteurs. Les pèlerins viennent, en majorité, des villes et villages de la région. Cependant, des voyageurs et étrangers de passages dans la ville des genêts n’hésitent pas à grimper à travers une route construite sur le flan de la montagne jusqu’au sommet de Redjaouna, afin de se recueillir sur le tombeau de « Abou Allioua », petit fils de cheikh Sidi Athmane, originaire de Seguia El-hamra et oued Edhaheb, dans l’actuel Sahara occidental.

    La « waâda » (offrande) du jeudi

    Un monument à la mémoire des martyrs de la guerre d’indépendance (1954/1962) est érigé à l’entrée du site abritant le mausolée et la zaouia du saint homme ainsi que, fausse note, les émetteurs de la radio et de la télévision algérienne. La foule est plus nombreuse le jeudi, jour de la « waâda », une cérémonie hebdomadaire caractérisée par la lecture du Coran et des chants religieux. Les visiteurs se recueillent sur la sépulture du cheikh placée dans une chambre et drapé d’un coupon de tissu de couleur verte.
    Ils peuvent ensuite faire quelques pas et s’introduire dans deux petites pièces contigües d’à peine deux mètres carrées chacune, complètement isolées de tout bruit extérieur, où Sidi Belloua, de son vivant, se retirait pour se consacrer à la lecture du coran, à la réflexion et à la méditation. Deux pièces hermétiques, donnant l’une sur l’autre, constamment illuminées avec des bougies posées à même le sol par des pèlerins. On y pénètre par la pièce abritant le sépulcre du saint homme en courbant le buste pour éviter de heurter de la tête les étroites et basses ouvertures.
    Jeudi, les visiteurs viennent généralement en famille. La restauration est assurée pour tout le monde, avec le traditionnel couscous accompagné de viande de veau et de mouton. Un vrai régal pour les amateurs, nombreux, de ce met local, préparé grâce aux offrandes de différentes natures (argent, bœufs et moutons sur pied) des pèlerins, bienfaiteurs et autres visiteurs.
    Une fois le recueillement terminée, les visiteurs se répandent, à l’extérieur, autour du mausolée  pour admirer le magnifique et époustouflant panorama qui se déroule sous leurs yeux, dans toutes les directions, de l’est à l’ouest, du sud au nord.  Une vue splendide qui porte, selon le versant choisi, sur le majestueux Djurdjura, Larba n’At Iraten, At Yenni, Aïn El Hammam, At Douala, Ihesnaouen, la vallée du Sébaou, Fréha, Azazga, la gigantesque forêt d’Akfadou, une partie du féérique bassin du barrage de Taksebt , At Ouaguenoun, Makouda, Mizrana, Sidi Daoud, la plaine de Boukhalfa etc.  Aux pieds de Sidi Belloua, s’étale Tizi Ouzou, une ville qui s’étire et croît à vue d’œil, y compris du côté du massif de Redjaoua où le béton grignote chaque jour du terrain.

    Un fief de la lutte anticolonialiste

    A quelques dizaines de mètres du mausolée, se trouve une école coranique comprenant des salles de cours, des dortoirs pour apprenants originaires d’autres régions du pays, une grande salle de prière, une bibliothèque, des bureaux et des logements d’astreinte pour l’imam et les enseignants. Construit en 1946, l’édifice fut détruit en 1957 par l’armée française pour « son rôle dans l’éveil des consciences » des Algériens contre le colonialisme français. D’autres zaouias de la région furent également interdites d’activité. C’est le cas notamment de la zaouia d’Akal Aberkane, fermé sous les ordres du capitaine Georges Oudinot, chef de la SAS (Section administrative spécialisée) à Beni Douala, à 17 km au sud de Tizi Ouzou.
    Sidi Belloua ou « Abou Allioua » est le petit fils de cheikh Sidi Athmane. Accompagné de ses trois enfants -- Mohamed Ben Sidi Athmane, Sid Belkacem et Sid Ahmed Ben Athmane – cheikh Sidi Athmane était en route pour Baghdad afin de se recueillir sur le tombeau de Sidi Abdelkader Djilali, lorsqu’il fut surpris par la mort sur les montagnes du Djurdjura. Ses trois enfants s’étaient ensuite établis dans trois endroits de Kabylie, dont l’un, Sid Ahmed Ben Athmane, connu sous le nom de « Abou Allioua », s’était installé sur le sommet du mont de Redjaouna.
    Le nom de Sidi Belloua, plus facile à prononcer pour les habitants de la région, n’est donc qu’une déformation de « Abou Allioua ». Le Saint n’a pas laissé de descendance, selon une succincte généalogie rédigée et reproduite par plusieurs cheikhs de zaouias de la région de Kabylie.
    Sidi Belloua: saint tutélaire de la vallée des Amraouas (Tizi Ouzou) Beaucoup d’inepties ont été dites et écrites sur l’identité de Sidi  Belloua. Le saint homme était présenté tantôt comme un baron, tantôt comme un descendant des ducs de Bourgogne de la maison de Valois ou comme un prête français, un certain père Valois. Ce qui est tout à fait absurde. Autrement, son mausolée n’aurait jamais subi les  foudres et les affres des forces coloniales.

    Appareil judiciaire colonial battu en brèche

    Durant la colonisation, la presse locale avait tenté de discréditer la mémoire du défunt saint en le présentant comme un charlatan. Sans succès.  « Ce marabout est le plus célèbre de la contrée : un sentiment de vénération profonde et de terreur religieuse s’attache à ce nom de Sidi Belloua que les Kabyles de la région ne prononcent jamais à la légère », pouvait-on lire dans « La Kabylie Pittoresque », dans son édition n° 3 du 20 mars 1887.
    Le périodique, qui paraissait trois fois par mois (les 1, 10 et 20 de chaque mois) à Tizi Ouzou, avait relevé que la considération dont jouissait Sidi Belloua était plus forte que l’appareil judiciaire colonial. Un algérien devant un tribunal, « qui ne se fera pas scrupules
    de déguiser la vérité à nos juges revêtus de tout l'appareil magistral, ne saura point soutenir son mensonge devant cet amas de pierres qui recouvre les cendres » de Sidi Belloua, soulignait-il.
     
    Ce genre d’ « amas de pierres », existant un peu partout en Algérie, fut le fer de lance du combat anticolonialiste. C’était de ces endroits que partaient les révoltes et les insurrections contre les forces coloniales, dont l’une des plus importantes fut celle de 1871.
     
    Une légende rapporte que durant la conquête de la Kabylie, « les Français voulant surveiller ces populations remuantes, toujours prêtes à secouer le joug, entreprirent de couronner les hauteurs du Belloua d'un poste d'observation. Les matériaux s'amoncelaient à la cime; déjà le poste sortait de terre. Sidi Belloua ne pouvait supporter plus longtemps semblable profanation. Une nuit, revêtu d'un burnous que les vers avaient respecté, immense, plus blanc que cette blancheur de la nuit qui l'enveloppait, il sortit de son tombeau. D'une voix stridente il appela à son aide la foudre exterminatrice d'Allah. A cet appel l'horizon fut subitement éclairé de feux couleur de sang ; les éclairs sillonnèrent la vue ; le tonnerre fit résonner ses sinistres grondements bientôt suivi d'un fracas épouvantable.
    La foudre laissant après elle une acre odeur de soufre venait de renverser le poste édifié avec tant de peine. Depuis cette nuit mémorable deux lions se sont faits les gardiens nocturnes du marabout et le défendent contre de nouvelles tentatives sacrilèges. Cette légende a cours dans le pays et ne contribue pas peu à donner à Sidi Belloua la célébrité dont il jouit auprès de ces populations…,»
    rapportait « La Kabylie pittoresque » dans la même édition. Le récit aurait été confié à un reporter du périodique par un vieillard chargé de la surveillance du mausolée de Sidi Belloua.

    Sidi Belloua: saint tutélaire de la vallée des Amraouas (Tizi Ouzou)
    Le trépas d’un profanateur

    La légende avait cédé la place à un fait concret. A la même période, un officier français du Bureau arabe était passé de vie à trépas, quelques instants après avoir profané le mausolée. Le capitaine Béthune, qui venait juste de prendre son nouveau poste à Tizi Ouzou, « entra dans la koubba qui s’y trouve sans la permission de l’oukil et sans se déchausser », rapportait  le colonel Robin dans « Notes et documents sur la grande Kabylie » publiés dans la Revue Africaine du 1er septembre 1899.
    « En sortant de là, il fut pris de douleur d’entrailles et il ne tarda pas à succomber. Les Kabyles voient dans sa mort une punition de sa profanation, et le marabout de Sidi Belloua en acquit une grande vénération, les pèlerins et les offrandes y affluèrent », ajoutait-il.

     
    Aujourd’hui encore, pèlerins et visiteurs sont nombreux à faire le déplacement à Sidi Belloua. Pour implorer la baraka du saint homme mais aussi pour savourer, admirer le féérique et incomparable panorama qui se déploie sous les pieds du mont de Redjaouna. Ça vaut vraiment le détour. Parole d’un infatigable vadrouilleur.

    M. A. Himeur
     

     


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