• Par Mohamed Arezki Himeur
    Liberté – 14 ao
    ût 2009

    Hourra ! Da Hmed a gagné. Dommage qu’il n’y avait personne en haut, sur le sommet d’Azru n’Thor, pour lui remettre un prix symbolique, un petit trophée, l’accueillir avec un vivat, un mot réconfortant, quelques applaudissements ou un timide youyou.

    Pourtant, il vient d’accomplir un véritable exploit. Il a réussi à grimper, seul, sans aide, armé de sa seule volonté et des encouragements insistants et appuyés de son ami Brahim, jusqu’au sommet de ce pic rocailleux qu’est Azru n’thor (le rocher du zénith), près du Col de Tirourda (1 750 mètres d’altitude), qui constitue la limite naturelle et territoriale entre les wilayas de Tizi Ouzou et Béjaïa.

    C’est vrai que lorsque le soleil est au zénith, il couvre tout le mont, et de tous les côtés, cela signifie que la petite aiguille de la montre tourne autour de 13h. Et c’est l’heure à laquelle Da Hmed a réussi sa prouesse. Il est parvenu, malgré ses 83 ans, à grimper, comme un jeune homme, en s’accrochant à des cailloux, parfois tranchants, chauffés par le soleil, jusqu’au mausolée construit sur ce mont. Rares sont en effet les hommes de son âge à tenter et, surtout, à réussir une telle expérience.

    Le mausolée est bâti sur la pointe du sommet de la montagne. Et l’atteindre est plus facile à dire qu’à faire. Beaucoup de personnes ont jeté l’éponge au milieu du chemin. Elles ont fait demi-tour, sont redescendues parce qu’elles sont soit essoufflées, soit ont eu le vertige, ou encore, leurs jambes ne répondent plus.

    Da Hmed, qui découvre pour la première fois ce site — comme d’ailleurs son ami Brahim — a failli, lui aussi, lâcher, abandonner, déclarer forfait. Mais il a tenu bon. Il a décidé de poursuivre l’ascension, grâce aux encouragements de Brahim.
    Il est vrai qu’Azru n’thor n’est pas l’Everest. Et que Da Hmed n’est pas Sir Edmund Hillary, le premier alpiniste ayant atteint le sommet de l'Everest en mai 1953, en compagnie d’un Népalais, Tenzing Norgay. Il est redescendu (Da Hmed bien sûr) en bombant le torse. Et il a “plongé”, c’est le cas de le dire, sur un grand plat de couscous en sauce mijoté avec des légumes et de la viande de mouton.

    Da Hmed a “ratissé” quelquefois avec sa cuillère les légumes se trouvant dans le “périmètre”, les “18 mètres”, des autres convives avec qui il a partagé le plat, dont le chanteur Lounis Aït Menguellet, en visite le même jour à Azru n’thor. “L’escalade et l’air pur d’en haut ça creuse, ça donne de l’appétit”, dit Da Hmed entre deux cuillères bien tassées de couscous. Mieux : il n’a pas reculé devant le gras du bouzellouf et de la douara en sauce mélangés au couscous. Au diable le cholestérol…

    L’ascension d’Azru n’thor : une grande épreuve

    Azru n’thor culmine à 1 884 m d’altitude, selon certains auteurs, à 1 923 mètres  d’après un  guide intitulé “Ascension dans le Djurdjura”, publié en 1907 par un club alpin français. Son escalade, qui se fait en zigzagant entre les rochers, sur une piste abrupte d’environ 300 mètres, n’est pas une mince affaire. Même les jeunes, des deux sexes, éprouvent des difficultés à l’accomplir. Il faut avoir du souffle, une cage thoracique non obstruée par la nicotine, un cœur bien accroché et fonctionnant comme une montre suisse, des jambes solides et ne pas être sujet au vertige pour atteindre l’objectif.

    Mais, il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. Avant d’arriver à Azru n’thor, le pèlerin ou le visiteur est soumis à une première épreuve. Il doit d’abord emprunter la route qui mène de Tizi Ouzou vers le Col de Tirourda, en passant par Larba nath Irathen, Aïn El-Hammam, Iferhounène, Illilten et une multitude d’autres petits villages, dont certains ne figurent sur aucune carte. Il doit ensuite gravir une route étroite, escarpée, qui donne le vertige, construite sur le flan de la montagne.

    Un accident de voiture dans cet endroit est, dans la majorité des cas, mortel. Surtout si le véhicule rate le virage et bascule dans le vide, sur le bas-côté de la route. Ce qui explique la prudence des automobilistes qui empruntent cette route qui relie la wilaya de Tizi Ouzou à celles de Béjaïa et de Bouira.

    Un général de brigade de l’armée coloniale française, Ernest Desmazières, y avait laissé la vie au XVIIIe  siècle. “Dans une tournée d’inspection en Kabylie, à la descente du col de Tirourda, le 7 octobre 1889, sa voiture versa et on le releva gravement blessé. Transporté à l’hôpital militaire de Fort National, il y mourut le 31 du même mois”, à l’âge de 56 ans, écrivait Edouard Sitzmann dans son “Dictionnaire de biographie des hommes célèbres de l’Alsace : depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours”, (1836-1918).

    L’automobiliste n’est pas au bout de ses peines. Le voyageur aussi. Une fois arrivé sur le col de Tirourda, le souffle presque coupé et le moteur du véhicule malmené, une autre épreuve, plus dure encore, l’attend. Il doit prendre, sous un soleil de plomb, une longue piste rocailleuse et poussiéreuse, dénudée des deux côtés, qui le conduira vers Arzu n’thor. Une piste éprouvante aussi bien pour les véhicules que pour les passagers, mais qui offre, en contrepartie, une superbe vue panoramique sur les deux versants de la Kabylie, la wilaya de Tizi Ouzou d’un côté et celles de Béjaïa et Bouira de l’autre.

    “J’ai l’impression d’être dans un avion, tellement c’est haut. Les vitres de la voiture ressemblent à des hublots”, dit un visiteur. La piste longe une petite portion du sommet du Djurdjura. Et il faudra faire plusieurs kilomètres (5 à 6) pour atteindre la plate-forme construite en contrebas d’Azru n’thor. Cette petite placette et le chemin qui monte vers le mausolée grouillent de monde dès les premières heures de la matinée. Certains visiteurs et pèlerins débarquent vendredi, dès le lever du jour. D’autres passent la nuit sur place, à la belle étoile, sous de petits cèdres qui ont poussé sur l’un des flans de la montagne.

    Azru n’thor affiche complet. Il est littéralement envahi, pris d’assaut. Les pèlerins et visiteurs sont venus de différents villages et villes de Kabylie. Des familles originaires de Kabylie établies à Alger, Blida, Tipasa, Boumerdès, Oran, Sidi Bel-Abbès, Tiaret et dans d’autres régions du pays ont fait le déplacement pour assister à la fête qu’on appelle “Asensi” (offrande). Parmi eux se trouvent aussi de nombreux émigrés. Ils profitent de leurs vacances d’été au bled, près des leurs, pour effectuer un pèlerinage ou une visite touristique à Azru n’thor.

    Un jour de fête, des mois de préparation

    Cette fête se déroule durant les trois premiers vendredis du mois d’août. Elle est organisée à tour de rôle par les villages de Zouvga, At Adellah et Takhlijth n’At Atsou. Elle dure seulement une journée, le vendredi, mais elle nécessite des mois de préparation. Ce sont tous les membres du village organisateur – hommes, femmes, enfants et moyens matériels (véhicules, ustensiles de cuisine etc.) – qui sont réquisitionnés et mobilisés pour que le rendez-vous annuel d’ “asensi” se déroule dans de bonnes conditions, la joie et la bonne humeur, sans le moindre problème d’ordre logistique, organisationnel, sanitaire et sécuritaire.

    Tous les paramètres sont pris en compte pour rendre le pèlerinage et la visite agréables. Les pèlerins et les visiteurs sont encadrés, discrètement, durant leur courte visite. Chaque membre du village organisateur est chargé d’un rôle, d’une mission bien précise.
    Les véhicules garés sur plusieurs kilomètres, sur les bords de la piste et les parkings aménagés sur des terrains vagues, sont bien surveillés par des jeunes hommes désignés pour cette tâche. Rien n’est laissé au hasard. Toutes les dispositions sont prises pour assurer la tranquillité et la sécurité des milliers de personnes qui ont fait le déplacement. Certains sont venus pour la journée, d’autres sont là juste pour quelques heures, le temps de grimper vers le mausolée, d’avaler quelques cuillères de couscous pour la “baraka” et faire des dons en argent aux sages des villages, installés sous une petite tente, elle-même plantée sous un cèdre, sur la périphérie de la plate-forme.

    Nourrir autant de personnes, en quelques heures, est une tâche difficile. Ce sont plusieurs dizaines de moutons et quelques bœufs qui sont immolés et découpés ; des dizaines de kilogrammes de couscous roulé à la main, à faire passer à la vapeur ; des dizaines d’autres kilogrammes de légumes, destinés à la sauce du couscous, à acheter, éplucher, nettoyer, couper en petits dés, rincer avant de les mettre, presque en même temps, sur le feu dans de grands couscoussiers.

    Les personnes chargées de la cuisine doivent surveiller et respecter le temps de cuisson de chaque produit, la quantité de sel et d’épices à mettre dans chaque couscoussier. Cette mission – c’est la plus délicate mine de rien de la fête d’ “Asensi” — est confiée à une poignée de femmes âgées, des spécialistes, réputées pour leur agilité et leur doigté.

    Personne ne sait avec exactitude à la mémoire de qui est organisée chaque année cette fête d’ “Asensi”. Le mausolée, qui draine des milliers de personnes pendant les trois premiers vendredi du mois d’août, est érigé sur le sommet d’Azru n’thor où aurait vécu et rendu l’âme, il y a de cela plusieurs siècles, un Saint dont personne ne connaît le nom, l’histoire, la biographie et l’itinéraire.

    Une chose est sûre : “Asensi” est une grande, belle et superbe fête. Une fête qui permet “de chaleureuses retrouvailles”, comme le souligne Lounis Aït Menguellet, entre les habitants des villages de la région confrontée de plein fouet à l’exode rural.

    Dans la commune d’Illilten, dont dépend Azru n’thor, pour ne citer que cet exemple, la population a chuté à 9 000 habitants au dernier recensement, contre 10 000 au recensement précédent.

    Le phénomène de la “harga” (immigration clandestine) peut être considéré comme le prolongement dramatique de l’exode rural. L’un et l’autre ont pris des proportions inquiétantes dans le pays.

    M. A. H.


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    Par Mohamed Arezki Himeur

    Le Cap, revue bimensuelle, Alger

    L’écrivain et ethnologue malien Amadou Hampâté Bâ a vu juste : chaque vieillard qui meurt en Afrique est une bibliothèque qui brûle. On ne le dira jamais assez. Ceci est valable, peut-être davantage, dans le cas de la société touarègue. Chaque Targui ou Targuie qui disparaît, c’est un pan important de son histoire, de sa civilisation et de sa culture millénaires qui disparaît avec. L’exemple le plus frappant, le plus connu aussi, le plus médiatisé, est celui de l’imzad. Des dizaines d’airs et de mélodies de cette musique ancestrale ont complètement disparu aujourd’hui.

    L’Association «Sauver l’imzad» en a recensé 112 durant les années 70. Combien en reste-t-il aujourd’hui ? L’anthropologue Dida Badi, chercheur au Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques (CNRPAH) d’Alger, lui-même Targui, a collecté et enregistré 41 airs, dont «Amghar n’izlane», l’air initial de l’imzad.
    Amghar n’izlane, le père des airs et mélodies de l’imzad, existe encore. Il est sauvé de l’oubli, de la disparition. Il a été enregistré par M. Badi et décrit dans son livre intitulé tout simplement «Imzad, une musique millénaire touarègue», édité par l’association ‘’Les amis du Tassili’’.

    «Nous avons beaucoup d’airs dont on connaît les noms, mais les airs eux-mêmes et les contenus musicaux sont perdus. Ils ont disparu avec celles qui les exécutaient, qui les jouaient. Il n’y a plus de femmes qui savent les jouer, et très peu d’entre-elles, aujourd’hui, connaissent l’ensemble des airs», selon M. Badi. Le chercheur a collecté en tout 41 airs dans le Tassili et le Hoggar. Aucune des femmes encore en vie n’est en mesure de les jouer tous, nous a-t-il confié. Il en a enregistré une dizaine chez une femme, une trentaine chez une autre etc.
    Durant toute la longue période consacrée à la collecte, M. Badi n’avait rencontré qu’une seule femme, une vieille, qui connaissait 31 airs et qui a pu les jouer. «Aucune ne connaissait l’ensemble du répertoire de l’imzad. Ce qui signifie que chaque femme, joueuse, qui disparaît, qui meurt, emporte avec elle les airs qu’elle connaissait. Et, à chaque disparition, c’est donc un pan de l’imzad qui disparaît en même temps que celle qui l’exécutait, qui le jouait », relève M. Badi.

    L’imzad est touché, lui aussi, de plein fouet par les transformations, l’évolution que subissent la culture et la société touarègues, ainsi que les communautés sahariennes dans leur ensemble, que ce soit en Algérie, au Mali, au Niger, en Libye et au Burkina Faso.
    «Avec la mondialisation, l’imzad risque de perdre ses fonctions traditionnelles. Chaque fois qu’une fonction sociale disparaît, un air de l’imzad périt avec. Il faut une fonction sociale qui justifie l’existence d’un air, sans cela il disparaît, il n’a plus aucune raison d’être», estime M. Badi.

    L’imzad est lié à un certain mode de vie des Touaregs, le nomadisme notamment. «Si le nomadisme disparaît, il en sera de même pour l’imzad. Il disparaîtra. Sauf, comme on l’a constaté pour certains airs, s’ils trouvent de nouvelles fonctions sociales, donc une nouvelle raison d’être», ajoute M. Badi.
    «Maintenant, il y a des airs nouveaux, par exemple Al Boussaïri et El Bourda, qui sont des litanies religieuses, des louanges à Dieu et au Prophète, chantées sur des airs de l’imzad. De musique profane, l’imzad subit l’évolution que traverse la société touarègue elle-même et intègre des thèmes religieux, toujours liés à l’amour, mais cette fois-ci à l’amour de Dieu et du Prophète».
    L’imzad est aussi lié au statut de la femme, qu’on sait très important chez les Touaregs. Si le statut de la femme est dévalorisé, déprécié, l’imzad encaissera les contrecoups qui mettront son existence en péril. «Si ce statut change, cela aura des répercussions sur la culture touarègue, dont l’imzad, le tindi et les thèmes chantés jusqu’ici», selon M. Badi.

    La préservation de l’imzad n’est pas l’affaire d’un groupe ou d’une association, mais de tous. C’est tout le monde -institutions et mouvement associatif- qui doit se sentir concerné. Au-delà de l’imzad, c’est tout le patrimoine immatériel et matériel qui doit être concerné par les politiques et actions de préservation. M. Badi n’est pas de ceux qui défendent, qui luttent uniquement pour la préservation de l’imzad. Il se considère concerné par tout le patrimoine algérien en général. «Car tout est lié», dira-t-il. 
    Dans l’immédiat, le processus auquel il faudra donner un bon coup de fouet est de fixer par l’écrit l’imzad, l’étudier et essayer de le transmettre aux générations futures. Il faudra lancer des actions d’innovation pour permettre à l’imzad de se perpétuer dans le contexte, combien difficile, de la mondialisation. Il faudra, pourquoi pas, introduire de nouveaux instruments, organiser des concerts pour diffuser largement l’imzad, le faire connaître et apprécier.

    Cette tâche relève des musicologues. C’est à eux de trouver les moyens de perpétuer l’imzad sous sa forme actuelle ou une nouvelle forme, en s’inspirant, en tirant la substance de Amghar n’izlane, l’air initial, joué par la première targuie. Un air qui a donné naissance aux autres airs et mélodies.
    «Ce n’est pas à nous, chercheurs, de trouver les innovations. Ce rôle incombe à d’autres intervenants, aux musicologues notamment. C’est eux qui doivent chercher comment faire innover l’imzad» sans le déraciner, le dénaturer et l’arracher de son socle qui est Amghar n’izlane.
    De jeunes musiciens touaregs ont déjà entamé le travail dans ce sens depuis les années 90, peut-être même avant. Leur démarche ressemble, par certains côtés, à celle vécue par la chanson kabyle dans les années 70 et qui a donné naissance au genre moderne.
    Ils ont emprunté la même démarche qui consiste à introduire des instruments modernes dans la chanson tout en respectant la substance, le suc des mélodies et les rythmes.

    Les pouvoirs publics et les institutions doivent dégager des moyens pour la préservation de l’imzad. Ils doivent également engager les actions nécessaires en vue d’inscrire l’imzad comme patrimoine universel, «car cette musique a une importance capitale dans le rapprochement entre les communautés qui vivent de part et d’autres du Sahara, entre les deux pays du Maghreb (Algérie et Libye) et les pays du Sahel», souligne M. Badi. «C’est un atout très important pour le rapprochement culturel entre les pays du Sahara et du Sahel, dans cet espace qu’on appelle sahélo-saharien». Les questions économiques, sécuritaires et de stabilité plaident, elles aussi, en faveur d’une politique de préservation de cette musique millénaire. L’imzad - et toute la culture touarègue dans son ensemble - pourra contribuer «à faire de la région sahélo-saharienne un espace de convivialité et d’échanges économiques», selon M. Badi. «Il faut faire en sorte que l’imzad soit une source de rayonnement culturel sur tout cet espace», ajoute-t-il.

    Bien sûr, des initiatives en faveur de l’imzad ont été prises et mises en oeuvre, parfois avec des moyens timides, voire limités, par des associations, aussi bien en Algérie que dans les pays ayant l’imzad en partage, tels que le Niger, le Mali et le Burkina Faso. Ces associations activent sur plusieurs fronts à la fois : recensement des joueuses de l’imzad, collecte des airs et des mélodies, organisations de séminaires et création d’ateliers d’apprentissage de cette musique.
    C’est le travail sur lesquels planchent, en Algérie, l’association ‘’Les amis du Tassili’’ et l’Association ‘’Sauver l’imzad’’ qui ont pris l’initiative, entre autres, de recenser les joueuses de l’imzad et de créer des ateliers d’apprentissage de cette musique. Il y a aussi des chercheurs, Algériens et étrangers, qui travaillent sur le sujet depuis de longues années.

    «Il faut sauver l’imzad, mais pas monopoliser l’imzad. Et pour sauver l’imzad, il faudra associer, impliquer tout le monde, assurer une large diffusion de cette musique», dira M. Badi. «La culture touarègue est importante parce qu’elle a joué un grand rôle, par le passé, dans le rapprochement entre les deux rives du Sahara, entre le monde méditerranéen et le monde sahélien. Elle a, depuis l’antiquité, véhiculé des idées, des connaissances, des chants et des cultures à travers l’espace sahélo-saharien», ajoute M. Badi.

    L’imzad ne peut être sauvé, soulignera-t-il, qu’en l’intégrant dans la dimension de rapprochement, de message de paix, de stabilité, de sécurité et de cultures entre ses populations. Il préconise une sorte de continuation dans l’esprit des caravanes d’autrefois qui ont sillonné dans tous les sens le Sahara et le Sahel, porteuses d’idées, de savoirs, de connaissances et de tolérance. «C’est dans cette dimension que l’imzad doit être placé et sauvé, et c’est dans cette dimension que les pays sahélo-sahariens sont concernés par sa préservation», estime notre interlocuteur. «Si l’on veut faire de la région sahélo-saharienne un espace de paix, d’échange, comme il l’a toujours été, je pense que l’imzad constitue le meilleur véhicule, l’outil idéal», ajoute-t-il.

    L’imzad est encore joué, de nos jours, dans tous les pays où il y a et vivent des Touaregs. Il subit des influences extérieures sur le plan instrumental en particulier ; influences qui ont déjà donné naissance à un nouveau genre musical qu’on appelle «guitara». Mais celui-ci tire sa sève des sons, des airs et des rythmes anciens de l’imzad, du tindi et des autres musiques targuies. Tout comme l’imzad et le tindi, le genre «guitara» a tiré son nom de l’instrument qui l’exécute, en l’occurrence la guitare.

    C’est encore lui, Amghar n’izlane, le géniteur, l’ancêtre de l’imzad, qui donne naissance, aujourd’hui, aux nouveaux airs musicaux du genre moderne comme ceux interprétés par les groupes et chanteurs nigériens Omar Moctar, dit Group Bambino, Abdellah Ag Oumbadougou, Izerien, Etran finatawa et Amar Sundy pour ne citer que ceux-là.
    Amghar n’izlane peut être comparé à un arbre. Chaque branche s’appelle ‘’azel’’ et plusieurs branches donnent ‘’izlane’’. C’est de là que dérive le nom d’izlane pour désigner les chants en berbère en Algérie, que ce soit dans le sud ou le nord du pays.
    Les branches de l’arbre grandissent et tombent, soit sous l’effet du poids des ans, de la vieillesse, soit sous celui de la sécheresse et des conditions climatiques. Mais de nouvelles branches naissent, s’épanouissent et se lancent dans le ciel. C’est peut-être le cas pour Amghar n’izlane. Lui aussi, comme l’arbre dont les racines sont enfouies au plus profond de la terre, donne naissance à de nouvelles créations, à de nouveaux thèmes musicaux et à de nouvelles mélodies. Mais le pessimisme l’emporte sur l’optimisme quand on pense à l’avenir de l’imzad.
     

    M. A. H.
     

     


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  • On ne peut mieux décrire l'imzad que comme l'a fait le Père de Foucauld dans son dictionnaire Touareg-Français t III pp 1271-1272 :

    « …L'imzad se compose essentiellement d'une calebasse demi-sphérique appelée «ateklas» ou «elkas» qu'on munit d'un manche de bois «tabourit» bâton (manche du violon), sur lequel on tend une peau «élem» et à laquelle on ajuste une corde «aziou» faite de crins de cheval ; un chevalet, formé de deux petits bâtons croisés et liés ensemble, «tiziouin» (petites tiges = chevalet du violon), maintient la corde au-dessus de la peau du violon ; deux ouïes, dont chacune est appelée «tit» œil (ouïe du violon), sont pratiquées dans la peau, l'une à droite, l'autre à gauche du chevalet ; quelques rares imzad n'ont qu'une ouïe, placée soit à droite ou à gauche du chevalet ; quelquefois les deux ouïes ou l'ouïe unique sont non pas à la hauteur du chevalet mais entre le chevalet et le manche ; dans ce cas, lorsqu'il n'y a qu'une ouïe, elle est habituellement sous la corde.

    L'imzad n'a pas de cheville ; à chaque extrémité de la corde est attachée une mince lanière de peau, dont l'une passe sur l'extrémité… du manche et ensuite s'enroule autour et s'y noue, et dont l'autre s'accroche à l'extrémité… du bâton qui sert de manche ; une fine lanière de peau «tessarit» (étrangloir), qui est mobile et nouée au manche, maintient la corde contre le manche jusqu'à une distance plus ou moins grande de l'extrémité (…) de celui-ci.

    Le diamètre (…) de la peau sur la calebasse varie habituellement entre 20 et 50 cm. (…) On joue de l'imzad assis, l'instrument sur les genoux, la main gauche tenant le manche et pressant la corde, la main droite tenant l'archet. L'archet «taganhé» est une baguette recourbée en forme de demi-cercle entre les extrémités de la quelle est tendue une corde «aziou» faite en crins de cheval ; le bois de l'archet est appelé «éserir» (bois)….

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    Source : site web de l’Association «Sauver l’imzad».


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  • Par Mohamed Arezki Himeur

    Le Cap, revue bimensuelle, Alger

    L’imzad est à la fois un instrument et un genre musical. Etymologiquement, le terme imzad signifie cheveu chez les Touaregs et anzad chez les Berbères du nord. La musique imzad est exécutée à l’aide d’un instrument qu’on appelle imzad. Le terme désigne donc la musique et l’instrument avec laquelle elle est jouée.

    Sur plan fonctionnel, l’imzad est composé de deux parties, l’une matérielle et l’autre immatérielle. La partie matérielle est composée d’une calebasse vidée et séchée au soleil, d’une peau séchée également servant à couvrir la calebasse pour en faire une caisse de résonance, un manche qui lui donne l’aspect d’un violent, un chevalet et des crins de cheval qu’on appelle imzad.

    Les crins de cheval sont choisis selon un critère de sélection bien défini. Le cheval doit être jeune, ni vieux ni trop jeune. Les crins doivent être extraits du milieu de la queue du cheval. C’est les plus fermes. Car les crins du bas de la queue, très jeunes, ne sont pas solides et ceux d’en haut sont vieux et sont sujet à effritement. Cà, c’est la partie physique et matérielle de l’imzad.

    L’autre partie, c’est les mélodies et les poèmes. Les mélodies sont jouées exclusivement par les femmes, tandis que les poèmes et les chants sont déclamés ou chantés par les hommes. Chaque air à un nom. Il est joué à l’occasion d’un événement, pour célébrer un fait important lié à la vie de la société touarègue.
    Les femmes jouent de l’instrument et les hommes les accompagnent en déclamant des poèmes.
    Les thèmes dominants dans la musique de l’imzad sont liés à la femme, à la beauté, l’amour, la bravoure, le pays, le retour au campement etc.

    Pour donner une illustration sur ce que revêt l’imzad pour les Touaregs, l’anthropologue Dida Badi, rappelle cette légende qui fonde, selon lui, l’imzad. Cette légende dit que dans l’ancien temps, il y avait le désordre, les hommes dominaient. C’était un monde d’hommes, un monde masculin. Et les hommes se faisaient sans cesse la guerre, pour n’importe quoi. C’était le seul langage qu’ils connaissaient.
    Un jour, pendant qu’ils se livraient bataille, que les épées parlaient et que le sang coulait pour le contrôle d’une source d’eau -et on sait l’importance que représente l’eau dans le Sahara-, les femmes, outrées par le comportement des mâles, ont décidé de mettre fin à cette violence créée et entretenue par les hommes. Elles ont inventé l’imzad : l’instrument et la musique.

    Lors de cette bataille, une femme avait mis ses plus beaux atours et, assise derrière une dune de sable non loin du centre des hostilités, s’était mise à jouer de l’imzad.
    Eblouis par les mélodies sortant de derrière la dune, les guerriers ont lâché leurs sabres et épées sur le sable et couru vers la source du son envoûtant qui parvenait à leurs oreilles. Ils se sont assis autour de la femme et, de guerriers intraitables et sanguinaires qu’ils étaient il y avait quelques instants, les hommes étaient devenus, en l’espace de quelques minutes et de belles mélodies, des poètes. La femme jouait de l’instrument et eux l’accompagnaient en déclamant de la poésie. Cette image confirme, si besoin est, que, depuis la nuit des temps, la musique adoucit bel et bien les moeurs.

    Depuis ce jour, les femmes ont repris l’initiative et ont imposé la paix aux hommes. Et comme les femmes jouent et louent les gestes et les faits des hommes, ceux-ci évitent de faire ce qui risque de déplaire aux femmes, comme la guerre par exemple. Car ce sont elles, les femmes, qui décident si tel geste est bon et tel fait est mauvais. Comme les deux actions sont gravées pour la postérité, les hommes sont, indirectement, incités à ne faire que de beaux actes pour que leurs noms soient inscrits dans la colonne des braves et non dans celle des lâches et des félons. 

    M.A. H.

     


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    Au Niger, pays voisin de l’Algérie, les mêmes soupirs, les mêmes appels, les mêmes signaux et les mêmes cris d’alarme sont lancés, de temps à autre, pour mettre en garde contre la menace de disparition qui plane sur la musique touarègue.
    «La musique est pour les Touaregs un feu intérieur, ce feu de bois qui les réchauffe pendant les nuits froides du Désert. Elle est sans aucun doute un nutriment indispensable aux ‘’ahals‘’(causeries poétiques) que le temps s’acharne à arracher à ce peuple aux gestes lents, porté sur la retenue et la noblesse, sur le silence et le rejet», écrit Ibrahim Manzo Diallo, rédacteur en chef de Aïr Info du Niger, dans un plaidoyer pathétique en faveur de la préservation de la culture touarègue.

    «Cette musique occupe une grande place dans cette société où l’on chante pour la pleine lune, pour le mariage, pour le baptême, pour un envoûtement, un retour de caravane ou parfois une pluie abondante… La vièle monocorde a longtemps été l’instrument qui accompagnait les poèmes chantés, clamés ou déclamés exprimant l’honneur guerrier, l’amour courtois et les lois du nomadisme ancestral…», relève-t-il. «Mais cette inestimable richesse, cet authentique véhicule des soupirs étouffés, des pleurs camouflés et des hoquets inextinguibles s’éteignent à petit feu. La perte de ce véritable outil d’expression portera à n’en point douter un coup dur à l’âme du peuple Touareg», avertit notre confrère nigérien. «Comment sauver alors l’Imzad ? Comment faire pour perpétuer ces symphonies provenant de simples gestes de main de femme sur un fil tendu mais qui flagelle le coeur des hommes les plus endurcis ?», s’interroge-t-il.

    M. Ibrahim Manzo Diallo fait un constat amer : il ne reste dans tout l’Aïr et l’Azawad, dans le nord du Niger, que trois femmes qui sachent encore jouer de l’imzad, affirme-t-il. «Sauver l’Imzad des ruines ! Sauver l’Imzad des flammes de l’oubli ! Sauver l’Imzad pour sauver l’identité d’un peuple dompteur des ruses du désert et de vents de sable mais qui s’étourdit dans les vertiges du progrès ! Tout démontre que cette identité se meurt à défaut d’une relève. Les vieux ne transmettent plus et les jeunes n’ont d’ailleurs plus le temps d’écouter. Tout va vite et fait peur», souligne notre confrère.

    «Poussant leur conservatisme culturel à outrance, les vieux, face au modernisme beau et impétueux, préfèrent se taire. Ils rejettent toute idée de changement dans leur nature. Les jeunes nomades ivres de modernisme ne parlent plus du passé. D’un côté, s’offre à eux un sentier déblayé et illuminé par le renouveau et de l’autre, des traces qui les relient à leurs quiets mais fragiles campements. Les vieux s’interrogent beaucoup ces dernières années ! Ils se chuchotent à voix basse le drame qui les menace. Les enfants, eux exultent et s’en soucient peu ! Que va-t-il arriver ?
    Peuvent-ils retrouver les drailles qui le ramèneront à leur oued en décidant d’aller vers l’inconnu ? Pourront-ils retrouver leurs vieux puits, leurs troupeaux efflanqués et leurs délicieuses causeries autour du feu des campements ? Les anciens en doutent fort ! Une fois dans le faste que leur miroite le progrès, vont-ils conserver les bribes de leur identité?».

    En Algérie comme au Niger, peut-être aussi dans les autres pays ayant les musiques touarègues en partage, des appels -pas beaucoup malheureusement- sont lancés en faveur de la préservation et de la prise en charge de l’imzad et des autres musiques touarègues. Des plaidoyers semblables à ceux d’Ibrahim Manzo Diallo doivent se multiplient. Et il faudra faire en sorte que ce genre d’appels et cris d’alarme ne se transforment en «prêches dans le désert».

    M.A. H.

     


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