• Biskra: au pays de "deglet nour"

    Par : Mohamed Arezki Himeur
    (Notre Afrik, mensuel panafricain, 2014, actualisé)

     Nous y sommes. « Qessam el-ouidane » annonce la fin du voyage. Un route de 425 km parcouru en près de sept heures – avec deux arrêts pour se restaurer et prendre un café -- en taxi collectif, un moyen de transport assurant les liaisons inter-wilayas (interdépartementales) en Algérie. Il avertit le voyageur qu’il est arrivé à bon port, qu’il est en plein cœur de Biskra. Une ville qui connaît seulement deux saisons dans l’année : un été sec et caniculaire dépassant généralement les 40 degrés à l’ombre et, pour le reste de l’année, un « printemps tout l’hiver », pour reprendre un slogan touristique des années 1930.
    « Qessam el-ouidane » signifie « coupeur de rivières ». C’est le surnom attribué par les Biskris (habitants de Biskra) à Sidi Zarzour, un érudit qui aurait vécu dans cette cité au XIème ou XIIème siècle. Ce saint patron de la ville n’a pas usurpé ce sobriquet. Il le tire de la ténacité de son mausolée face aux assauts répétés des crues qui déboulent des hautes montagnes des Aurès sur les oasis et palmeraies des plaines de Biskra.
    Le mausolée, peint en blanc et vert, est édifié sur le lit d’un important cours d’eau qu’on appelle tantôt oued Biskra, tantôt oued Sidi Zarzour. Comme l’aurait prédit le saint homme, son tombeau résiste encore aujourd’hui aux eaux en furie de la rivière qui se scindent en deux en heurtant le mur arrondi de la petite bâtisse. Celle-ci accueille à toute heure de la journée des pèlerins et des visiteurs locaux et étrangers à la région.Biskra: au pays de "deglet nour"
    Depuis 2012, la Direction du tourisme et de l’artisanat de Biskra organise, au mois de décembre, une fête traditionnelle au niveau de ce monument funéraire. Pour deux raisons : rendre hommage à la mémoire de Sidi Zarzour et valoriser les «référents culturels, cultuels et historiques des Ziban », nom désignant l’ensemble des ksour et villes-oasis de la région.

    La Perle du désert

    Biskra la « Perle du désert », Viscera du temps des Romains, compte au dernier recensement de 2008 plus de 200 000 habitants. Il abrite l’une des plus réputées stations thermales du pays et une oasis de quelques 184 000 palmiers dattiers. Ce fruit est présent partout, à chaque coin de rue. Les différentes oasis de la région éponyme comptent plus de 3,9 millions de palmiers dattiers, produisant bon an mal an, quelques 3 millions de quintaux, dont la fameuse « deglet nour », la plus succulente des nombreuses variétés de dattes produites en Algérie.  Le berceau de « deglet nour » est Tolga, troisième ville de la région abritant 55 500 habitants au dernier recensement (2008). Tolga abrite une oasis d’environ 284.000 palmiers dattiers. Même si elle est produite aujourd’hui dans de nombreuses régions d’Algérie et dans d’autres pays, comme la Tunisie, « deglet nour »,  qu’on appelle aussi « doigt de lumière » en raison de la transparence du fruit à sa maturité, porte le Label, l’identification géographique de Tolga.
    Biskra, porte du désert, est une ville moderne avec son université, ses instituts de formations, ses cités universitaires, ses magasins offrant des produits haut de gamme, ses hôtels, ses pizzerias et ses fast-food. Mais, elle a les pieds bien enracinés dans le savoir, le savoir-faire et la culture ancestraux. Les plats traditionnels continuent d’occuper le haut du pavé. Ils n’ont pas été détrônés par les pizzas et autres hamburgers.
    La dobara, célèbre soupe aux fèves ou aux pois chiches, « noyée » de huile d’olives et servie généralement bien épicée, est très appréciée aussi bien par les autochtones que par les touristes et visiteurs. Les petits restaurants proposant ce plat sont concentrés près du marché couvert, dans le centre ville. Ils demeurent ouverts toute la journée et une bonne partie de la soirée. La chakhchoukha, faite à base de pate feuilletée séchée découpée en dés et arrosée d’une sauce rouge riche en viandes, fait partie des spécialités culinaires de la région.

    Une ville d’histoire

    « Biskra n’était pas seulement une ville de la dobara, de la chakhchoukha et du thé à la menthe. Elle avait été, autrefois, l’une des plus appréciées destinations touristiques. Son sol avait été foulé par d’éminents historiens, savants, géographes, voyageurs, riches comtes et comtesses, artistes, écrivains, religieux et hommes politiques. La ville est citée dans des écrits et récits de voyage de l’historien Ibn Khaldoun, des voyageurs et géographes Moulay Ahmed, El-Bekri et El-Aïachi, du Prix Nobel français de littérature André Gide, de son coreligionnaire artiste-peintre et écrivain Eugène Fromentin, du musicologue hongrois Bela Bartok et du futur cardinal Lavigerie, chantre de la colonisation française, qui y passait tous les hivers », dira Abdelkrim qui aimait se présenter comme un « universitaire de formation et chauffeur de taxi par vocation. »
    Biskra: au pays de "deglet nour"

    Napoléon III y avait effectué une visite éclaire et Clare Consuelo Sheridan, cousine de Winston Churchill, militante trotskyste, avait vécu huit ans à Biskra à partir de 1926. Des comtes et des barons, Biskra en avait connu. Celui  qui avait laissé une emprunte indélébile n’est autre que le comte français Albert Landon Longeville, fondateur, en 1872, d’un superbe jardin qui s’étendait initialement sur une superficie de 10 hectares, complanté de plusieurs centaines d’essences végétales exotiques et locales.

     

     Future destination touristique ?

    Les Biskris éprouvent un réel plaisir à conter et raconter leur ville. « Biskra avait été pendant de longues décennies, à partir du milieu du 19ème siècle, une ville d’hivernage. Elle attirait de nombreux étrangers, notamment Européens, qui commençaient à affluer dès le mois de novembre et ne repartaient que vers la fin du mois d’avril. Son climat est très apprécié. Un grand nombre d’entre eux venaient d’ailleurs sur conseils de leurs médecins traitants. Certains s’y étaient établis définitivement », selon Lyès, un retraité de l’enseignement rencontré à « Qahwat Hsira » (Café de la natte), situé dans le vieux quartier de Sidi M’Cid.
    « Qahwat Hsira » est un café maure original. D’une superficie d’une vingtaine de mètres carrés environ, cet établissement accueille chaque jour des centaines de personnes. Il débite des centaines de litres de thé à la menthe verte par jour, alors qu’il ne dispose d’aucune infrastructure d’accueil. Il n’y a ni salle, ni tables, ni chaises. C’est un café maure « hors époque », servant du thé « à l’ancienne ». Les consommateurs qui y  défilent à longueur de journée, notamment en fin d’après-midi et le soir, prennent, en petits groupes, leur thé sur des nattes étalées à même le sol, sur les bords de la chaussée.

    Biskra: au pays de "deglet nour"


    Si Biskra-ville est peu nantie en matière de sites et curiosités touristiques, la région abrite une multitude de monuments historiques et de sites impressionnants par leur beauté. C’est le cas, pour ne citer que ces exemples, du canyon du Ghoufi qui s’étend sur plusieurs kilomètres, des troglodytes, des ksour, des oasis et des vestiges antiques disséminés à travers le territoire de la wilaya (département). Ce trésor devrait permettre à la région des « Ziban » (Biskra) de reprendre, plus tard, son rang de l’une des meilleures destinations touristiques du pays. Un rang qu’elle avait perdu durant la « décennie noire » (1990) marquée par des violences sanglantes liées aux groupes armés islamistes.

    M.A. Himeur

    ENCADRE

     ILS ONT DIT SUR BISKRA :

    Biskra possédait « beaucoup de dattiers, d’oliviers et d’arbres fruitiers de différentes espèces. Les alentours sont replis de jardins, qui forment un bocage de six milles d’étendue. On trouve à Biskra toutes les variétés de la datte (…) beaucoup de savants légistes » -- El Bekri (Xème siècle de notre ère).

    « La foule qui se pressait aux portes de Biskra fut cause que je n’y entrai que le mercredi, vers l’Icha » --- El-Aïachi (1649 de notre ère)

    « Biskra est une belle et grande ville où il se gagne beaucoup d’argent, parce que la population y est nombreuse, le commerce actif et l’agriculture florissante. On y trouve un grand nombre de palmiers et d’oliviers, on y récolte du lin très fin. Il y a abondance d’eau courante sur lesquelles ont trouve plusieurs moulins. On y rencontre aussi des champs de henné, des pâturages, beaucoup de fruits et légumes. Les bestiaux et le beurre salé abondent sur le marché » --- Moulay Ahmed (1710)

    « L’hiver à Biskra est d’une beauté absolue. On s’y croirait dans le paradis terrestre (…) Il est impossible de trouver un site plus enchanteur » --
    E. Delaunay (1877)

    « Des ministres, des publicistes, des personnalités connues avaient déjà, les années précédentes, pu apprécier l'incomparable station d'hiver que sera un jour Biskra ; on y avait vu tour à tour Leygues, Ballu, Rampai, Lissagaray, Parodi, Rouart, André Gide et le chevaleresque de Mores qui rêvait déjà de s'enfoncer le plus avant possible dans le désert mystérieux.  Hiverneurs, malades, chasseurs, artistes, savants, poètes, venus des quatre coins de l'Amérique, de l'Europe et de l'Afrique même, se croisent, se rencontrent, se coudoient dans celle oasis délicieuse dont les charmes les ont séduits. » ---- Jean Hurabielle, abbé, (1898.)

    « Un des voyages les plus beaux et les plus instructifs que l'on puisse faire au monde est celui d'Alger à Biskra. Le chemin de fer côtoie d'abord l'admirable baie d'Alger, puis il passe par les gorges sauvages de Palestro, laisse à gauche les massifs couverts de neige de la Grande Kabylie, traverse les hauts plateaux, fertiles en blé, « l'ancien grenier de Rome … » --- Comité d'hivernage algérien. Alger reine des stations hivernales (1930 ?)

    « Au seuil du désert, la reine des Ziban, parée de son collier de palmes, vous invite à jouir de son éternel printemps. Rien de tel pour ceux qui veulent s’évader quelques temps de l’atmosphère enfiévrée des grandes villes, où, dont le cerveau surmené, aspire aux calme complet, rien de tel disons-nous, qu’un séjour à Biskra » -- Le Coup de Bambou, hebdo de Biskra (11/11/1934).

    Sites et lieux à visiter à Biskra-ville, entre autres :
    Sidi Zarzour
    Jardin Landon
    Quartier Sidi M’cid
    Djennan beykleck (jardin public)
    Jardin du 20 août (ex-Parc Dufourg)
    Biskra: au pays de "deglet nour" Marché aux oiseaux
    Gahwat Hassira (café de la natte)
    L’ancienne église (actuel siège local de la Forem)
    Gare ferroviaire (datant de 1890)
    Hammam Essalihine

     


  • Commentaires

    1
    ABDMEZIEM KACI
    Vendredi 16 Mars 2018 à 18:45

    Merci pour le dépaysement que tu nous offre généreusement ainsi que pour la multitude d'informations  que contient ton article.Il est impossible de ne pas se rendre sur place une fois qu'on a lu ton texte.Bravo pour la performance.....

     

      • Vendredi 16 Mars 2018 à 19:16

        Merci beaucoup Kaci. Venant de toi, d'un grand journaliste qui manie la plume à merveille, je considère ce texte comme un très beau compliment.  

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