• EL-BIAR (Alger): le quartier de la "Question"

    Par: Mohamed Arezki Himeur
    Publié dans Algérie Confluences, 2013 (actualisé)

    « Je ne sais pas. » Sur une trentaine d’habitants interrogés, seul un connaissait le centre de torture d’El-Biar durant la guerre d’indépendance. Il s’agit d’un ancien moudjahid (combattant), 80 ans bien tassés, rencontré à l’intérieur de la permanence de l’Organisation des Moudjahidine. Un local dont les murs sont tapissés de coupures de presse et de portraits des martyrs de cette période. Les autres n’ont aucune idée du sinistre « Centre de tri » où les parachutistes du 10
    ème
    RP du général Massu pratiquaient la « gégène » à grande échelle.

    Beaucoup ignorait même son existence, alors que des centaines, voire des milliers de prisonniers algériens et des français favorables à l’indépendance de l’Algérie y furent, durant des années, atrocement torturés, parfois à mort. Comme c’est le cas de maître Ali Boumendjel, avocat à la cour d’Alger, et du mathématicien Maurice Audin. Pour tenter de faire parler Mohamed Touri, le célèbre comédien, les tortionnaires de Massu avaient torturé son épouse devant lui.

    Henri Aleg, directeur du quotidien communiste Alger Républicain rapporte dans le détail, dans son  livre « La Question », les épouvantables sévices infligés aux prisonniers transitant dans ce « Centre de tri ». Il fut, pour beaucoup d’entre eux, l’antichambre de la mort. L’immeuble témoin est toujours là, sur l’avenue Ali Khadja (ex-Georges Clémenceau), pas loin de l’ex-Monoprix, de l’autre côté de la rue. Il était en construction à l’époque des faits. Cependant, aucune plaque rappelant ces « bienfaits de la colonisation et de la civilisation » n’est apposée, par devoir de mémoire, au dessus de la porte d’entrée ou sur la façade de la bâtisse.

    Raïs Hamidou est passé par là

    El Biar est l’un des plus anciens quartiers d’Alger. Il a été érigé en commune de plein exercice en 1870, en même temps que Bologhine (ex-Saint Eugène) et Bouzaréah, sur les hauteurs de la ville. Il fut, du temps des Turcs, le quartier résidentiel de consuls et autres représentants diplomatiques européens auprès de la Régence turque. « A proprement parler, El-Biar n’est pas un village, c’est une agglomération compacte de villas élégantes et de splendides maisons mauresques.  Avant la conquête, tous ces environs étaient la résidence habituelle des consuls de diverses nations européennes », relevait l’Association française pour l’avancement des sciences lors de son congrès de 1881 à Alger.
    Il fut un « joli village » réunissant des « villas riches et élégantes » et des « maisons mauresques luxueuses et coquettes », pouvait-on lire dans un livret sur Alger édité en 1893. Trente cinq ans auparavant, un guide d’Alger et ses environs (1863) indiquait déjà qu’El Biar était « moins un village qu’un vaste quartier de beaux jardins dont les sites enchanteurs sont peuplés de villas élégantes, de magnifiques maisons mauresques et de fermes considérables ».

    La Villa des Oliviers, actuelle résidence de l’ambassadeur de France, et la Villa du Traité figurent parmi ces belles bâtisses. « C’est ici que les Turcs nous ont vendu aux Français », dira, en souriant, un employé de l’hôpital d’El Biar. Il faisait allusion au traité de capitulation du dey Hussein devant les conquérants français en 1830. C’était dans la Villa du Traité que fut rédigé l’acte de reddition du dernier Dey d’Alger.

    ALGER - El-Biar: le quartier de la "Question"Construite, semble-t-il, vers la fin du 17
    ème
    siècle, cette somptueuse villa fut attribuée en 1804 par le dey Mustapha Pacha au célèbre corsaire algérien Raïs Hamidou, après sa promotion au grade d’Amiral de la frotte maritime ottomane basée à Alger.  Elle était devenue, par suite, le quartier général du comte de Bourmont, général en chef du corps expéditionnaire français en Algérie, après l’expulsion de la famille de Raïs Hamidou. La villa, sise dans l’enceinte de l’hôpital d’El Biar, est dans un triste état. Elle est abandonnée et livrée aux aléas du temps et des intempéries.

    Ham Nghi, le roi déporté

    C’est dans l’une des anciennes villas parsemant le chemin 39 de Mustapha, actuel cheikh Bachir El-Ibrahimi, reliant l’ancien quartier de la colonne Voirol à El-biar, que fut interné le roi Ham Nghi, plus connu sous le nom de prince d’Annam. Symbole de la résistance contre la France coloniale dans son pays, l’actuel Vietnam, le prince Ung-Lich, son vrai nom, intronisé roi (du 2 août 1884 au 5 juillet 1885) à l’âge de 14 ans après le décès de son père, fut arrêté en 1888 et déporté à Alger en janvier 1889 où il y fut soumis à une « humiliante surveillance », allant jusqu’à la lecture de tout son courrier, selon un journal de l’époque. La surveillance fut ensuite levée, plutôt allégée, au cours des premières années de la décennie 1900, sous Charles Jonnart, alors gouverneur général de l’Algérie. Cette mesure était intervenue à la veille de son mariage le 10 novembre 1904 avec Melle Laloe, fille d’un président de la chambre de la cour d’Alger.
    Mort dans sa résidence à El Biar où il s’adonnait à sa passion, la peinture, le roi Ham Nghi n’était jamais été autorisé par les autorités françaises à se rendre, ne serait-ce qu’en visite éclaire, dans son pays natal. Mieux : les autorités coloniales opposèrent un net refus à sa demande de lui ramener ses deux jeunes neveux pour lui tenir compagnie, avec qui il pouvait parler du pays, échanger quelques mots dans sa langue maternelle.

    Ham Nghi avait vécu
    le même triste sort que le roi du Bénin, Béhanzin, exilé en Algérie après sa défaite et son arrestation par les forces coloniales françaises à la fin du 19ème siècle. Mort dans une chambre d’hôtel à Alger en 1906 et enterré à Bologhine, ses restes n’avaient été rapatriés au Bénin (ex-Dahomey) qu'en 1928. La reine Ranavalona III de Madagascar avait « goûté » aux mêmes « bienfaits de la colonisation et de la civilisation ». Elle avait rendu son dernier souffle à Alger au début du 20ème siècle sans avoir revu une dernière fois son île natale.


    L’admirable baie d’Alger en perspective

    Le balcon Saint-Raphaël, classé site pittoresque dès le début des années 1930 par le Conseil municipal de la ville d’Alger, est peu connu des Algérois et des étrangers vivant ou de passage dans la capitale. Il offre pourtant une admirable vue sur la baie d’Alger. Le terrain, qui s’étendait initialement sur mille cent (1.100) mètres carrées, avait été acheté par la commune d’El Biar à la société du Claridge. Les travaux d’aménagement de l’endroit avaient été engagés à la même période. Ils portaient sur la l’aménagement de la terrasse dans la partie haute et la réalisation d’un jardin public dans la partie base de la falaise, là ou cinq petits garçons du quartier de la grande Poste d’Alger furent assassinés par des islamistes armés durant la « décennie rouge ».

    Les salles obscures d’El Biar ont changé d’activité. Tout en gardant son appellation de Cinéma d’El-Biar, l’ex-Rex, ne programme plus de films. Il est devenu une salle de spectacles et de conférences, après avoir été agréablement aménagé par l’APC. El-Feth, ex-Beaulieu, situé sur la même avenue Ali Khodja, dont le hall est tapissé de coupures de presse sur la guerre d’indépendance et de portraits de martyrs, a troqué son statut de cinéma au profit de celui de salle des fêtes. Ainsi va le 7ème Art en Algérie…

    La place Kenendy (ex-Carnot), sur laquelle est érigé un monument à la mémoire des martyrs du quartier de la guerre de libération nationale, est inévitable. Toutes les grandes artères y débouchent. C’est le centre nerveux d’El Biar. Il est entouré du siège et des annexes de l’APC, du marché couvert, de la mosquée, d’une église transformée en centre culturel et de deux librairies. Le centre commercial creusé sous la placette a défiguré l’endroit. L’avenue Ali Khodja, artère principale, compte encore quelques « constructions à visage humain » : un rez-de-chaussée et un étage. Mais leurs  jours sont comptés. Car, des immeubles à plusieurs étages commencent déjà à pousser à proximité.

    M.A.Himeur


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