• Inhumation le 20 avril 2012 de Amroune M'henni, comédien, auteur, intrerprète, producteur-animateur radio dans son village de Bouizeguène, en Kabylie (Algérie)


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  • Par Mohamed Arezki Himeur,
    Liberté, 20 avril 2010

    Amroune M'henni, né en 1938, comédien, chanteur, auteur, producteur-animateur à la chaîne berbère de la radio algérienne, est décédé jeudi 19 avril 2012 en son domicile à Bouzeguène, en Kabylie.
    Il a tiré sa révérence à la veille de la célébrattion du 32ème annniversaire du Printemps Berbère du 20 avril 1980. Un Printemps auquel il avait, par sa production, participé en éveillant les consciences dès le début des années 1970.

    Je reprends, à sa mémoire, cet article que j'avais publié dans le quotidien algérien Liberté le 20 avril 2010

    Coup de tonnerre à la salle Ibn-Khaldoun d'Alger. Le comédien et chanteur M'henni Amroune  venait de balancer un
    pavé dans la mare de la censure et du déni identitaire. Debout sur scène, pointant son index en direction de la salle, l'air grave, il criait d'une voix forte : “Regardez derrière vous...”, suivi d'un court texte dit sous forme de sketch.
    C'était au début des années 70. Tout le monde s'était retourné. Mais les spectateurs ont vite compris. Ce n'était pas les membres des forces de sécurité chargés d'assurer l'ordre qui étaient visés par la sortie tonitruante et courageuse, jouée avec brio, l'artiste.

    En fait, M'henni, comédien à la Chaîne II (berbère) de la radio algérienne, a invité les spectateurs à scruter le passé, à lire l'histoire du pays. Il a enchaîné avec la chanson Achu id-sebba inighem, dans laquelle l'auteur, Slimane Azem, s'interrogeait sur le sort d'une figue sèche. Pourquoi s'est-elle laissée investir par le vermisseau ? Une chanson éminemment politique, qui fait allusion à la situation en Algérie au lendemain de l'Indépendance.

    La sortie de M'henni n'était pas une simple anecdote. C'était un cri du cœur contre le déni identitaire et les fossoyeurs de la mémoire.

    La suppression de l'enseignement du berbère dispensé par Mouloud Mammeri à l'Université d'Alger, la mise hors la loi des émissions enfantines et sportives à la Chaîne II et la forte réduction de la puissance des émetteurs de cette même chaîne s'inscrivaient dans cette logique qui veut faire table rase du passé. Mais c'est l'effet inverse qui s'est produit. La répression et la censure ont été, peut-on dire, salutaires. Ils ont incité les défenseurs de l'identité amazighe à plus d'ingéniosité, d'habilité et d'adresse dans leur riposte. Elles ont donné naissance à une nouvelle forme de chansons “engagées” dans ce combat.

    C'est le même M'henni Amroun qui avait donné le la avec Jeddi (mon ancêtre). Une chanson qui dénonçait l'entreprise de falsification de l'histoire du pays : “Tu m'as vanté ton ancêtre et tes parents, alors que mon ancêtre tu l'as enseveli sous une dalle.”

    Plus tard, Halli Ali, jeune enseignant, a enregistré une chanson sur “le burnous” hérité de ses parents. Une référence à la fois au passé et à l'identité. La chanson de Idir « amurth ou mazigh » (pays berbère) écrite par le poète Ben Mohamed, celles d'Imazighen Imoula telles que Assif yetchayi (l'oued m'a englouti) et Aqchich d'ouâatar (l'enfant et le mendiant),
    ainsi que celle de Méziane Rachid consacrée à l'héroïne Lalla Fadhma n'Soumeur sont de la même veine. Elles s'inscrivaient dans le même combat identitaire.

    La petite poignée d'interprètes du début des années 70 a été rejointe, plus tard, par d'autres chanteurs. De dignes successeurs et héritiers de Farid Ali, membre de la troupe artistique du FLN, qui a été le premier, en pleine guerre
    d'indépendance, à soulever le problème identitaire dans Avrid ik-ihwan aghit. Emprunte n'importe quel chemin, n'oublie pas que tu es amazigh de souche, dit-il en substance.

    Jeddi et les fossoyeurs de la mémoire

    La chanson kabyle, comme l'attestent ces exemples, a été à l'avant-garde du combat. Elle a joué un grand rôle dans la sensibilisation et la mobilisation autour de la revendication identitaire. Si elle a réussi à passer entre les mailles de la censure, c'est en partie parce que la signification d'un mot, la subtilité des textes, des messages, des images et des symboles véhiculés ont échappé aux gardiens du temple.

    Lorsque Halli Ali chante le burnous que lui ont légué ses parents, il est vrai que la symbolique peut échapper à quelqu'un qui ne maîtrise pas les subtilités, “tireqqaqin” comme on dit, de la langue. Pour ce dernier, un burnous signifie
    seulement une sorte de drap en laine utilisé en hiver pour se protéger du froid, de la neige et de la pluie, alors qu'il avait pris, au début des années 70, une autre signification : celle de référent identitaire et culturel. Le développement de ce genre de chansons a été aidé par les secteurs de l'édition et de la vente des disques qui échappaient au contrôle de l'Etat. Ces activités étaient assurées par des studios d'enregistrement, des éditeurs et des vendeurs privés.

    Lors des galas organisés à Alger, en Kabylie ou ailleurs, des “chansons contestataires et identitaires” sont glissées dans les programmes. Ces rendez-vous ont permis de raffermir la mobilisation, de développer les contacts et les échanges entre ceux qui portent la revendication dans le cœur. Les chanteurs n'étaient, en fait, que le reflet d'une situation, d'un climat de combat mené dans d'autres secteurs et sur d'autres fronts.

    Les excursions organisées par des étudiants de la cité universitaire de Ben Aknoun constituaient, en réalité, le prolongement des cours dispensés par Mouloud Mammeri qui, lui-même, faisait partie des excursionnistes. La poésie,
    la radio où des “berbéristes” ont réussi à s'introduire comme producteurs d'émissions, le théâtre, les collèges, les lycées, l'université et même l'état civil, où des pères devaient batailler dur, pendant de longs mois, pour imposer des noms berbères choisis pour leurs nouveau-nés ont tous concouru à faire avancer le combat identitaire.

    Ce sont tous ces faits, toutes ces actions et bien d'autres encore qui ont abouti à Avril 80 et aux résultats arrachés depuis. Le combat identitaire mené par le biais de la chanson kabyle, cela mérite d'être relevé, a déteint sur
    d'autres régions du pays, donnant naissance, pour ne citer que ces deux exemples, à des chanteurs comme Adel Mzab (Mozabite) et à des groupes comme Ichenouiyen de la région de Tipasa.

    M.A. Himeur


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  • Amroune M'henni, comédien, auteur, interprète, producteur, animateur chaine berbère de la radio algérienne.


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  • Amroune M'henni

    Comédien, auteur-interprète, humoriste, producteur et animateur d'émissions radiophoniques à la chaîne berbère de la radio algérienne depuis 1963 à fin des années 90.


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  • Par Mohamed Arezki Himeur

    Ils étaient tous là. Des proches, des amis, des admirateurs, des artistes, des journalistes, des étudiants, de simples citoyens… Le village d’Ath Sidi Athmane était envahi le 5 mars 2012, dès les premières heures de la matinée, par une foule nombreuse. Elle est venue accompagner le poète et homme de radio Mohamed Ben Hanafi, décédé la veille à l’âge de 85 ans,  à sa dernière demeure.
    Qui est Mohamed Ben Hanafi ?
    Fin des années 60. La chanson féminine kabyle était confrontée à un gros problème : celui de la relève. Les chanteuses se faisaient de plus en plus rares. Il n’y avait presque plus de nouvelles voix sur la scène artistique pour poursuivre dans la voie tracée par la petite poignée de chanteuses qui ont cassé les tabous entre 1930 et 1950, voire même avant.
    Mohamed Ben Hanafi avait été le premier à prendre à bras le corps ce problème. Il s’était mis à la recherche de nouvelles voix, de nouveaux talents. Il faisait, pour ce faire, la tournée des lycées et collèges de Tizi Ouzou et d’Alger. Une démarche concluante puisqu’elle avait permis de réaliser une sorte de « soudure » entre les anciennes et de nouvelles chanteuses. Cela s’était passé à la fin des années 1960 et au début des années 1970.
    Les légendaires chorales féminines des jeunes filles des lycées Fadma N’Soumeur et El-Khansa de Tizi Ouzou, d’où est sortie la talentueuse Malika Domrane, est là pour confirmer, indéniablement, que Si L’Hanafi, comme l’appelaient ses admirateurs, a beaucoup fait, donné et apporté à la chanson et la poésie kabyles. Nouara, Malha, Chabha et bien d’autres chanteuses ont été ses élèves. Ses textes ont été chantés par de nombreuses chanteuses et chanteurs, dont certains sont devenus de grandes vedettes de la chanson kabyle.
    Artiste jusqu’au bout des angles, Si L’Hanafi s’était lancé, à partir du début des années 1970, dans l’organisation à perte de spectacles, à perte. En effet, au lieu de gagner de l’argent, de faire fortune, le poète et des artistes qui participaient aux galas, comme Nouara, Mouloud Habib, Dali Omar, Medjahed Hamid, Hassen Abassi, Halli Ali et Mohamed Aouachta pour ne citer que ces exemples, en déboursaient de leurs poches pour pouvoir payer le fisc et l’Office des droits d’auteurs.
    C’était cela Si L’Hanafi. C’était sa manière à lui faire vivre la chanson kabyle, d’encourager les nouveaux chanteurs à faire mieux, en les mettant en contact direct avec les spectateurs, très exigeants à l’époque.
    Force est de reconnaître que le moment choisi pour organiser les spectacles n’était pas fortuit. Calculée ou pas, la démarche coïncidait avec l’arrêt des cours en tamazight de Mouloud Mammeri à la Fac centrale, la suppression des émissions enfantines, l’arrêt de la couverture des matches de football en kabyle à la chaîne 2, la réduction drastique de la puissance des émetteurs de cette même chaîne et le lancement tambour battant la politique d’arabisation dans le pays.

    Une vie pour la Culture

    Les galas constituaient aussi, à l’époque, une occasion pour les « berbéristes » (les défenseurs de tamazight) de s’échanger des nouvelles, de distribuer sous le burnous les documents édités par l’Académie Berbère basée à Paris et des revues ronéotypées clandestines, comme « Itij » (le soleil), éditées par des lycéens et collégiens en Algérie.
    Né le 7 février 1927 au village d’Ath Sidi Athmane, dans la commune de Larba n’Ath Ouacifs (région de Tizi Ouzou), Mohamed Ben Hanafi était responsable d’une zone de l’Armée de libération nationale (ALN) dans la région de Tiaret (ouest algérien) durant la guerre de libération nationale. Mais il ne parlait jamais, sinon rarement, de cette période de sa vie.
    Il n’avait fait, disait-il, que son devoir de patriote et d’Algérien épris de liberté. Une fois l’indépendance acquise, Si L’Hanafi a tourné la page. Il n’avait même tenté de faire valoir ses droits d’ancien combattant de la guerre d’indépendance. Il s’était consacré corps et âme à sa passion : la poésie, la sienne mais aussi celles de ces prédécesseurs qui ont laissé une empreinte indélébile dans la poésie kabyle, à l’image de Si Mohand Ou M’hand, Ahmed Lemseyah, Youcef Oulefki, Smaïl Azikiou…
    Ses débuts dans la poésie remontent au début des années 1950. Arrivé à Alger en 1963 où il s’était installé comme tailleur à la basse Casbah, Si L’Hanafi avait rejoint quelques mois plus tard la chaîne 2 comme producteur et animateur d’émissions en freelance (cachetier). Sa première émission fut « Leqlam ajdid » (la nouvelle plume), suivie, près de 50 ans durant, par de nombreuses autres émissions toutes liées à la poésie, les traditions, les contes et autres sujets de la culture orale.
    Il avait édité, au milieu des années 1960, un petit livret de poèmes sur les presses du quotidien El Moudjahid. Homme humble, poète modeste, Si Mohamed Ben Hanafi maîtrisait parfaitement la langue kabyle et, surtout, ses subtilités. Ce qui n’est pas peu dire.
    La chaîne 2 et le Haut commissariat à l’amazighité (HCA) lui avaient organisés deux hommages bien mérités, respectivement le 7 février 2008 et le 1er septembre 2010, pour son apport à la culture kabyle en particulier et berbère en générale.
    Adieu l’artiste.

    M.A.H


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