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  • Il n’y pas d’autres alternative. L’âne restera, pour longtemps encore, à la fois le maître et l’indispensable serviteur de La Casbah d’Alger. Comme cela se fait depuis au moins le début de la colonisation turque en 1515. Car il constitue le seul et unique moyen permettant la collecte et le transport des ordures ménagères et autres détritus hors de la cité.
    Les colons français ont reconduit pendant plus de 130 ans la même technique. C’est cette méthode aussi qui est utilisée depuis l’indépendance en 1962. Chaque matin, la «cavalerie» d’ânes se lance à l’assaut des ordures du quartier qui abrite, au bas mot, quelque 70 000 âmes.
    Cette opération mobilise, chaque jour que Dieu fait, une quarantaine de baudets. Elle dure une bonne partie de la journée. Les bêtes, conduites par des agents de l’entreprise Netcom, sillonnent, dès les premières lueurs du jour, les innombrables ruelles étroites, escarpées et traversées par des centaines d’escaliers pour transporter vers un endroit appelé «la fosse», situé en haut de La Casbah, des milliers de tonnes d’ordures.
    Les déchets sont ensuite déplacés par des camions vers les décharges publiques en dehors d’Alger. «La quantité de déchets ménagers augmente durant le mois sacré de Ramadhan. Les poubelles et les terrains vagues sont remplis quotidiennement de déchets ménagers. Les Algériens sont prix d’une véritable frénésie d’achats. Ils achètent et consomment beaucoup plus que pendant les onze autres mois de l’année», constate un vieil homme, natif du quartier. «Regardez ce gaspillage».
    Notre vieil homme pointe son index sur un sachet noir éventré, laissant échapper une grande quantité de morceaux de pain, des restes de la chorba de la veille et des légumes avariés. «Sans ces inoffensives bêtes, La Casbah d’Alger serait ensevelie depuis très longtemps déjà sous les ordures et détritus», relève-t-il.
    Pour lui, La Casbah ne connaîtra jamais de propreté en raison de l’indiscipline, du laisser-aller et du manque de civisme de ses habitants. Ces derniers jettent n’importe où leurs ordures, en multipliant, par ricochet, les décharges sauvages dans des emplacements et sur les gravats des bâtisses effondrées. «Les agents de l’entreprise de ramassage des ordures sont dépassés. Ils ne peuvent rien faire. Car l’assainissement, la salubrité de ce vieux quartier passe par la participation de ses habitants. Ce n’est pas le cas actuellement », souligne-t-il.
    La Fondation Casbah a pris, à la veille du Ramadhan, une louable initiative. Celle d’organiser, durant ce mois de piété, des journées de volontariat afin de nettoyer certaines zones de la Haute Casbah, tels que les ilots Sidi Ramdane et Bourahla. Mais il ne faut pas se leurrer. Il faudra plus que des journées de volontariat pour permettre à «El-Djazaïr qdima», le vieil Alger, de retrouver son lustre d’antan, ne seraitce que celui des années 1960 et du début des années 1970.
    Quel que soit le programme adopté en faveur de la sauvegarde et de la propreté de La Casbah, celui-ci sera incomplet s’il fait l’impasse, ignore l’intégration et la participation de l’âne. Le recours à la race asine est incontournable pour assurer l’assainissement du quartier.
    «Messieurs, permettez-moi de vous dire que La Casbah est toujours aussi sale. Est-ce qu’on ne prévoit pas de mesures immédiates ?», lançait un conseiller municipal de la ville d’Alger. «Pas immédiatement (…). La difficulté vient, vous le savez, de ce que nous n’avons pas d’ânes en nombre suffisant pour l’enlèvement des ordures…», répliquait le maire au cours d’un débat du Conseil municipal de la ville d’Alger. C’était en… 1943.

    L’âne, un opprimé sans fiel et sans rancunes

    En juin 2009, la wilaya d’Alger avait lancé un appel d’offre pour l’acquisition de 20 ânes destinés à la collecte des ordures domestiques. Critères de sélection retenus : une bonne constitution physique, une bonne santé, être âgé entre quatre et huit ans, avoir une taille supérieure à 1,15 m, avoir un poids de plus de 100 kg, disposer d'un carnet de santé et être habitué au climat d'Alger.
    «On ne saurait imaginer un animal plus patient, plus infatigable, plus utile enfin que ces pauvres ânons d’Alger, que tout le monde maltraite et auxquels on est cependant sans cesse obligé d’avoir recours», écrivait, en 1861, Charles Dubois dans «Notice sur Alger».
    Un cahier des charges établi en 1904 par le Conseil municipal de la ville d’Alger stipulait que les ânes utilisés pour le transport des ordures domestiques et autres gravats «devront toujours être en état de faire un bon service». Le document précisait qu’il était «expressément interdit (…) de faire travailler des animaux blessés».
    Les bêtes étaient soumises à des visites mensuelles du vétérinaire municipal. Celui-ci pouvait intervenir, aussi, à tout moment pour «s’assurer que toutes les bêtes sont en bonne santé». Le texte ajoutait que l’entreprise chargée de la collecte et du transport des ordures était «tenu d’avoir tout son matériel et toute sa cavalerie en parfait état d’entretien et de propreté ». En est-il de même aujourd’hui ? L’âne traîne, comme un boulet, une réputation peu flatteuse. Pour l’être humain, il n’y a pas pire insulte que celle d’être traité d’âne, c’est-à-dire d’idiot, d’inintelligent, d’ignare, de ridicule, d’entêté, de quelqu’un qui fonce tête baissée.
    L’âne est pourtant «la première et la plus précieuse conquête des peuples pasteurs. Il a gardé ses antiques vertus dans un esclavage devenu de plus en plus rigoureux. L’injustice des hommes n’a pas ébranlé sa docilité, son courage, sa tempérance. C’est un sage sous une écorce un peu rude, mais non sans grâce, un opprimé sans fiel, un serviteur sans exigences et sans rancunes », écrivait Charles Lagarde (1885). «C’est, de tous les animaux domestiques, celui qui consomme le moins et produit le plus» (Aimé Bouvier, 1891).
    L’âne a inspiré de nombreux poètes fabulistes comme La Fontaine, des écrivains comme la comtesse de Ségur (Mémoires d’un âne), R-L. Stenvensen (Voyage avec un âne dans les Cévennes) et Juan Ràmon Jirez, Prix Nobel de littérature en 1956 (Mon âne et moi).Dans les «Mémoires d’un âne» de la comtesse de Ségur, un âne avait profité d’un hiver fort rude qui l’avait contraint à garder l’écurie pour écrire ses mémoires. Mémoires dans lesquels il relevait, entre autres, que «ceux que vous croyez les plus bêtes ne le sont pas autant qu’ils le paraissent ; qu’un âne a, tout comme les autres, un coeur pour aimer ses maîtres, être heureux ou malheureux, être un ami ou un ennemi, tout pauvre âne qu’il est».

    M.A.H

     


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  • Par Mohamed Arezki Himeur
    Djiri Magazine, mai 2011, Alger

    Ce n’est pas une anecdote ou une blague à la mascarienne. Après avoir été la capitale de l’Émir Abdelkader - pour ne pas remonter trop dans le temps - puis le berceau de l’excellent «jus de raison» préféré de Bacchus, ensuite la terre fertile de la pomme de terre, après l’arrachage de la vigne décidée, à fin des années 1960, sous le règne du président Houari Boumédiène, Mascara fut aussi une ville ayant vu pousser, comme des champignons, de nombreux journaux durant la période coloniale. Le réveil, Le Progrès, Le Petit mascarien, L’Avenir de Mascara, L’Impérial, La Liberté, La Tribune, Mascarien, Le Caméléon, etc. faisaient partie des titres fondés dans cette ville de l’ouest algérien.

    À des centaines de kilomètres de là, un petit village côtier de Kabylie, Tigzirt, avait son canard, Le Réveil de Tigzirt (1896), un hebdomadaire tiré à quelques dizaines d’exemplaires, destinés aux premiers colons ayant jeté l’ancre dans le coin, en détruisant les vestiges antiques pour construire leurs maisons. Ce qui fera écrire à un de leurs coreligionnaire, à la fin du 19ème siècle, Mr Boissier, que «trois siècles de domination turque ont fait moins de mal aux ruines de l’Algérie que les soixante années de domination française qui viennent de s’écouler.»
    Le village mitoyen de Dellys, qui fut pendant les premières années de la colonisation, la rampe de lancement, la plaque tournante de la soldatesque coloniale, lâchée comme une nuée de sauterelles sur la Kabylie du Djurdjura, comptait, lui aussi, une gazette : L’Étoile de Dellys (1921). Ce fut le cas aussi pour Ménerville (actuel Thénia) où furent édités, entre autres, Le Réveil (1923) et L’Avenir (1921). Du côté du versant sud du Djurdjura, la presse locale fut florissante.
    L’ancien fort romain d’Auzia, actuel Sour El-Ghozlane (Aumale durant la colonisation), comptait plusieurs titres, dont Le Journal (1895), Le Réveil (1896), L’Écho (1908) et Le Courrier. Ce fut le cas aussi pour Bouira qui abritait Le Réveil de Bouira (1896), Le Réveil des colons (1896), Le Petit Bouira, Le Pauvre colon (1895) et Le Cèdre (1911). Ce dernier couvrait une zone géographique allant de Lakhdaria à Tazmalt, en passant, entre autres, par Bouira, Sour El-Ghozlane, Beni Mansour, M’Chedallah, Aïn Bessem et Dra El-Mizan.
    On peut citer encore, à titre indicatif, le petit village de Rouiba (Le Progrès, 1896), Sédrata (L’Écho, 1923), Touggourt (Le Scorpion), Médéa (L’Écho du Sud, 1868, et Le Courrier de Médéa publié au 19ème siècle), Batna (L’Aurès et L’Écho du Sahara), Guelma (L’Avenir, Le Fouet, Le Courrier et La Marouna), Jijel (Le Patriote ,1895, Le Croissant Djidjellien,1921, L’Avenir,1932, La Lanterne, La Guerre aux abus, L’Impérial), Tébessa (Tébésien), Biskra (L’Avenir), Mostaganem (Le Petit Mostaganémois et Le Messager, 1890), Sétif (Le Réveil, 1884, Le Courrier et Le Progrès), Ténès (Écho ténésien) et Cherchell (Le phare de Cherchell).
    Les petits faubourgs de Bab El-Oued et Bouzaréah et le village de Aïn Taya (à Alger) avaient, eux aussi, leurs périodiques. Ce fut le cas également pour Boufarik, Miliana, Aïn Témouchent, Mila et El-Eulma (ex-Satint Arnaud).
    En fait, presque chaque ville ou village d’Algérie, où des colons avaient pris pied, en expropriant et en chassant de leurs terres les Algériens, disposait de son ou ses journaux (quotidiens, hebdomadaires, bihebdomadaires, bimensuels, mensuels etc.)
    Les grandes villes de l’époque comme Alger, Oran, Constantine et les villages tels que Tizi-Ouzou, Bejaïa, Blida et Skikda avaient vu naître et disparaître une panoplie de journaux. Une quinzaine de titres furent lancés successivement à Tizi-Ouzou, dont Le Djurdjura (1885), Le Courrier (1885), Le Petit Kabyle (1886), La Kabylie pittoresque (1887), Le Réveil (1893), Le Montagnard de la Kabylie (1897), Kabylie, L’Écho de Kabylie (1914), L’Écho de Tizi-Ouzou (1921) entre autres.
    De nombreux journaux furent édités à Bejaïa (ex-Bougie), dont Le Bougiote, L’Avenir, Le Phare, Bougie Soir, La Vérité, La Matraque, Le Canard, l’Oued-Sahel, Le Cri de Bougie et Le Blagueur. Il en fut de même pour la ville des roses. Blida comptait, en effet, de nombreux titres. Skikda, ex-Philippeville, figurait parmi les villages ou la presse locale fut très développée. Au moins une vingtaine de titres y furent édités, entre 1887 et 1939.

    La presse au service de la colonisation

    En 1866 déjà, le nombre de journaux édités en Algérie, s’élevait à quinze, sans compter quelques revues littéraires et scientifiques. Ils furent publiés essentiellement à Alger (6), Constantine (5) et Oran (4). Quinze ans plus tard (1884), le nombre grimpa à 74. Les plus anciens titres étaient Le Moniteur algérien (1832), journal officiel des autorités coloniales, et L’Akhbar (1839), également journal colonial, tiré, à ses débuts, sur une feuille pas plus grande « que deux fois la main.»
    La grande majorité était éditée en français. Mais il y avait aussi une petite poignée paraissant en espagnol, tels que La Fraternidad et El-Putuet, et en arabe comme L’Akhbar, El-Mountakheb, Mobacher à titre d’exemples. Il y avait des journaux et périodiques de différentes catégoriques et tendances : politiques, partisans, coloniaux mais aussi sportifs, touristiques, humoristiques et artistiques. Certains avaient eu une existence éphémère : le temps d’une campagne électorale.
    L’ensemble de ces titres, tous courants et tendances politiques et idéologiques confondus, menaient le même combat, poursuivaient le même objectif : coloniser le pays, s’approprier ses terres agricoles, s’accaparer ses richesses et asservir ses habitants. Leur point commun est qu’ils étaient faits par des colons, pour des colons, pour défendre la colonisation dans toutes ses hideuses facettes.
    Quelques périodiques lancés par des Algériens, furent vite torpillés par des confrères, des colons et/ou leur administration. Le premier à vivre cette mésaventure fut El-Hack, un périodique fondé par de jeunes Algériens à Annaba (ex-Bône). Sa création avait été accueillie froidement, suivie d’une menace à peine voilée proférée par des journaux coloniaux.
    «Nous souhaitons la bienvenue à notre nouveau confrère, à condition toutefois qu’il ne s’écarte pas du programme qu’il a publié», écrivait le bihebdomadaire La Gazette algérienne dans sont édition N° 61 du 2 août 1893. «En se renfermant purement et simplement dans les questions concernant le bien être et l’instruction des indigènes, les jeunes rédacteurs du Hack peuvent s’assurer la prospérité de leur publication», ajoutait La Gazette algérienne. El-Hack n’avait pu tenir face aux fortes pressions exercées sur lui. Il disparut des étals.
    La presse fut utilisée comme arme de combat contre les «indigènes» et pour la colonisation. Après le lancement de L’Akhbar, un interprète arabisant français, Georges Voisin, de son vrai nom Thomas Urbain, écrivait : «nous avons créé un journal en langue arabe qui, deux fois par mois, porte les nouvelles officielles dans toutes les tribus ; c’est une arme puissante pour lutter contre les calomnies et les faux bruits qui étaient colportés sur les marchés hebdomadaires où se forme et se manifeste ce qu’on pourrait appeler l’opinion publique indigène.» (cf : L’Algérie pour les Algériens, Gorges Voisin, 1861).
    Une année auparavant, un autre auteur défendait la même thèse. Celle d’une presse ayant joué un rôle important dans la colonisation de l’Algérie. «Personne, du reste, mieux que le ministre actuel de l’Algérie (Ndr : le prince Napoléon), n’est à même de reconnaître l’efficacité de la presse et d’apprécier la nature des services qu’elle est appelée à rendre en matière de colonisation», relevait Wilfrid de Fonvielle, dans son livre L’empereur en Algérie (1860). Huit ans plus tard (1868), Charles Desprez, écrivait dans Alger naguère et maintenant que «la colonisation (…) n’aura pas moins à remercier la presse que l’épée et la charrue de leur concours.»
    Lors du 28ème anniversaire du débarquement de Sidi Ferruch, le 14 juin 1830, L’Akhbar s’était insurgé contre le fait que cet anniversaire ne fut pas célébré avec faste. «La France arborant en Afrique le drapeau du christianisme et de la civilisation, tout ce passé, tout cet avenir, toute cette sublime mission qui inaugurait le 14 juin 1830, c’est bien quelque chose dont notre nation peut-être fière. Ce jour devrait être fêté solennellement en Algérie. Comment se fait-il qu’il est passé inaperçu», s’interrogea-t-il.

    Gutenberg dans un bivouac

    La presse, comme le précisent les écrits coloniaux de l’époque, avait joué un rôle d’appui important à la colonisation. Ce fut son «bras écrit». D’ailleurs, le tout premier journal publié sur la terre algérienne avait vu le jour dans les bivouacs du corps expéditionnaire français à Sidi Ferruch.
    C’était le 26 juin 1830, soit 13 jours après le débarquement du Maréchal de Bourmont et de ses troupes embarqués à bord de 500 bâtiments, 60 chalands, 150 chaloupes et 200 canots. Son titre : L’Estafette, devenue après la prise d’Alger, le 5 juillet, L’Estafette d’Alger.
    Sa mission : donner les nouvelles de l’armée et de son avancée. Son éditeur, Jean Toussaint Merle, était venu - avec une imprimerie, deux compositeurs et deux imprimeurs - à bord d’un vaisseau de l’armada du Maréchal de Bourmont. Il était reparti le 7 juillet 1830 pour Toulon, son point d’embarquement, deux jours après la chute d’Alger.
    M-J. Merle n’était pas seulement journaliste. Il était aussi le secrétaire particulier du Maréchal de Bourmont, selon Le Journal des débats politiques et littéraires (n° 981) du 23 mars 1943, édité à Clermont-Ferrand (France).
    Deux tentes «suffirent pour abriter» l’imprimerie, écrira Jean-Toussaint Merle, qui introduisit la machine Gutenberg en Algérie, baptisée l’Africaine. Il présenta son journal comme «un bulletin de l’armée française.» Des cris à la gloire de la France et de son roi «éclatèrent quand on distribua à tout le monde les premiers exemplaires d’une relation de notre débarquement et de nos premières victoires», indiquait-il dans un livre intitulé Anecdotes historiques et politiques pour servir à l’histoire de la conquête d’Alger en 1830.
    L’idée d’utiliser la presse pour soutenir la colonisation, comme il l’avait fait, lui, pour le corps expéditionnaire, fut reprise et employée, pendant plus de 130 ans, par les colons à travers le pays, dans tous les villages et toutes les régions où ils s’étaient installés, sur des terres confisquées aux «indigènes» algériens.
    La grande majorité des journaux qui avait emboité le pas à l’Estafette, utilisait le même sous-titre : «pour la défense des intérêts de la région.» Il s’agissait, bien entendu, des intérêts des colons. Ceux des Algériens, des indigènes, comme on appelait les Algériens à l’époque, étaient ignorés, bafoués, inexistants. Certains journaux dénonçaient parfois des abus, d’autres prônaient le rapprochement avec les Algériens. Mais ils se gardaient de remettre en cause la colonisation, de scier la branche sur laquelle ils étaient assis, sachant qu’eux-mêmes faisaient partie de la colonisation de peuplement pratiquée à grande échelle en Algérie.
    La presse nationaliste, venue un siècle après le début de la colonisation, pouvait difficilement faire contrepoids au rouleau compresseur de la presse coloniale mise en place depuis 1830. Il y avait eu plusieurs périodiques créés depuis cette date jusqu’à la veille du déclenchement de la guerre de libération nationale en 1954.
    Leur existence fut éphémère, du fait des pressions et des interdictions exercées par l’administration coloniale. Certains disparurent au bout de quelques numéros seulement.

    Presse régionale : le parent pauvre

    L’Algérie compte actuellement près de 80 quotidiens nationaux, beaucoup plus que dans les pays inventeurs, et pionniers dans le domaine de la presse écrite. L’Allemagne, la France, la Belgique, les États-Unis, les Pays-Bas, l’Autriche, les pays de l’ancienne sphère socialiste comptent beaucoup moins de titres nationaux.
    Dans ces pays, la presse régionale et locale domine. Ce qui n’est pas le cas en Algérie. Ce créneau fait figure de parent pauvre, délaissé, ne comptant qu’une poignée de titres, paraissant surtout à Oran et Constantine, alors qu’elle devait être plus forte du point de vue numérique.
    Un récent sondage réalisé au Canada par l’institut Léger Marketing au profit de «Hebdos Québec» a montré que l’intérêt des Québécois pour l’information locale a nettement augmenté, au cours des cinq dernières années. 80% des sondés estimaient que «leur journal local est un rouage important de la démocratie.»  Les résultats du sondage confirment «le retour en force de la nouvelle de proximité», selon le directeur général d’Hebdos Québec.
    Le constat, en Algérie, est vite établi : la presse régionale, très développée durant la période coloniale est, aujourd’hui, quantitativement faible. Elle occupe un strapontin. Bien évidemment, certains quotidiens nationaux éditent des pages régionales et locales. L’initiative est excellente, mais insuffisante. Car, il n’y a qu’un journal régional ou local qui peut prendre en charge, dans le détail, l’information régionale et locale, l’information de proximité en quelque sorte qui fait le succès de nombreux périodiques à travers le monde.
    Des journaux de ce type peuvent s’imposer à Alger, Tizi-Ouzou, Bejaïa, Blida, Chlef, Tlemcen, Jijel, Setif, Sidi Bel-Abbès et dans de nombreuses autres villes du pays. À condition, bien entendu, qu’ils axent leurs efforts, mettent l’accent essentiellement sur les nouvelles de leur aire géographique, qu’ils soient réalisés selon les règles et normes journalistiques.
    Les journaux régionaux, dont la diffusion peut, bien évidemment, s’étendre à d’autres régions du pays pour répondre à la demande des «expatriés» régionaux, peuvent se développer et, pourquoi pas, prospérer grâce à la petite publicité locale (vente et location d’appartements et villas, vente de terrains, location de véhicules, hôtels, restaurants, agences de voyages et de tourisme, offres de services des entreprises de travaux publics, grands magasins, écoles de formation, offres d’emploi, échanges, pensées, condoléances etc.) qui est, mine de rien, une source non négligeable de financement. Il suffit, d’ailleurs, de parcourir certains quotidiens nationaux pour relever qu’un grand nombre d’annonces de ce genre viennent justement de leurs bureaux régionaux.
    La difficulté réside, pour mener un bien un projet de journal régional ou local, dans l’obtention de l’agrément. Un obstacle que les quotidiens nationaux existants peuvent contourner en lançant des éditions régionales et locales indépendantes, avec administration, rédaction et services techniques installés dans le chef-lieu de la région concernée.
    Car tôt ou tard, un changement interviendra dans le paysage de la presse écrite algérienne. Avec le vent de changement qui souffle sur le monde arabe et islamique, il pourrait intervenir plus tôt que prévu. Il sera imposé par les réalités politiques et économiques. Des titres nationaux, d’une assise fragile, vivant aujourd’hui grâce à un financement indirecte de l’État, via la publicité institutionnelle, risquent d’y laisser des plumes, dans le cas où cette source de financement venait, pour une raison ou une autre, à tarir.
    Dans une telle perspective, les seuls journaux qui échapperaient à l’éventuelle disparition des étals, seront ceux qui auraient négocié le virage, en prenant des mesures adéquates pour un redéploiement régional en temps opportun. C’est-à-dire, aujourd’hui.
    Mais ce n’est pas tout. Le succès d’un tel redéploiement passe, inévitablement, par la mise en place d’un plan de management. Un plan rigoureux, mené par des managers formés dans le domaine. Parce qu’un journal n’est pas seulement une affaire de journalistes, il est aussi celle des managers et des gestionnaires. Le journal doit être, en un mot, pensé et géré comme une véritable entreprise économique. Comme cela se passe sous d’autres cieux.

    La presse régionale en ligne n’est pas loin

    L’irruption de la presse en ligne commence à perturber, à déranger l’ordre établi. Le bouleversement ne fait que commencer. Le loup est dans la bergerie, pourrait-on dire. Des quotidiens nationaux en ressentent, déjà, les conséquences, les contrecoups. La menace est sérieuse pour les titres qui ne songent pas, dès aujourd’hui, à imaginer une réponse adéquate. Une réplique basée sur l’intégration du numérique dans leur éventuel et inévitable, redéploiement. Le quotidien El Watan est, pour l’instant, le seul titre à entreprendre, depuis quelques mois déjà, une démarche dans ce sens.
    Le redéploiement risque d’être davantage compliqué dans le cas où la presse en ligne prend une longueur d’avance sur le support papier. Car, avec les prodigieuses possibilités qu’offre Internet, des projets de sites d’information régionaux et locaux - avec textes, photos, audio et vidéos à l’appui - ne tarderont pas à faire leur apparition. Car l’Algérie ne vit pas en vase clos. Elle fait partie d’un train mondial à grande vitesse.
    Le développement faramineux des blogs et des réseaux sociaux annonce déjà la couleur. Il en est le signal, le premier pas dans cette direction. Un défi pour la presse traditionnelle. Car la presse numérique détournera une partie du «nerf de la guerre», c’est-à-dire des recettes publicitaires.
    Le financement de ce nouveau media proviendrait, en effet, de la publicité régionale et locale. Des annonceurs installés ailleurs, dans d’autres régions du pays où à l’étranger, pourraient opter en faveur d’un site web régional comme support publicitaire de leurs produits et/ou services. Parce que l’avantage réside dans le fait que les visiteurs du site choisi, constituent pour eux la cible visée et identifiée.
    Dans les pays développés, la majorité des journaux, qu’ils soient nationaux ou régionaux, multiplient les initiatives et les innovations, parfois originales, sur le web. Il s’agit, pour eux, de faire face au déclin du support papier, en tentant de créer une complémentarité entre le papier et le web. Certains titres sont allés plus loin en abandonnant carrément le support papier. Ils ont migré vers Internet et le support Ipad.

    Innover ou disparaître

    En France, la presse papier est confrontée à «une crise structurelle, d’ajustement avec l’arrivée du numérique et de l’évolution du mode de consommation de l’information», selon Pierre Viansson Ponté, un vieux routier de la presse, aujourd’hui président du Syndicat de la presse quotidienne régionale française.
    Cette crise a «rattrapé» la presse régionale «et a eu un impact non seulement sur nos économies, mais aussi sur le capital des entreprises», relevait-il dans un entretien au quotidien français Le Figaro (buzz média du 25/11/2010). Ce qui a contraint cette presse à une gouvernance «resserrée», c’est-à-dire à une concentration des titres, autour de onze groupes et entreprises de presse.
    De plus, au lieu de faire chacun cavalier seul, ces groupes et entreprises ont décidé de combiner leurs efforts en lançant, depuis fin septembre dernier, une plateforme numérique commune de la presse régionale sur Ipad. Les 35 000 téléchargements enregistrés les premières semaines, équivalaient à un millier d’abonnements/jour, selon Mr Ponté. «Ça me paraît un peu un bon résultat qu’on devrait accroître et embellir», ajoutera-t-il.
    Une démarche à méditer en Algérie, afin de faire face aux mutations, évolutions et innovations qui sont en train de chambouler, de fond en comble, le paysage médiatique à travers le monde, la presse écrite en tête. C’est une «refondation» de la presse qui est en cours actuellement. Elle touche non seulement le support papier, mais aussi la radio, la télévision, les agences de presse et tous les médias traditionnels.
    Évidemment, le support papier ne disparaîtra pas totalement du nouveau paysage médiatique en construction. Certains titres réussiront à tirer leur épingle du jeu, estiment des spécialistes. Ils argumentent leurs analyses en citant les exemples de la radio et de la télévision. L’arrivée de ces deux médias n’a pas «tué» le support papier.
    Ce support survivra-t-il à l’invasion d’Internet ? L’avenir nous le dira. D’autant que le Web lui-même ne cesse d’évoluer, d’enregistrer de nouvelles conquêtes dans le domaine de l’information et de la communication. Au rythme actuel, Facebook, Twitter, YouTube et autres apparaîtront, dans quelques mois, comme des réseaux ringards, désuets et «périmés», pour reprendre une expression en vogue chez les jeunes Algériens.

    M
    .A.H


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