• Karl Marx « dépoilé » par un barbier de la Casbah d’Alger

    Par : Mohamed Arezki Himeur
    Algérie Confluences, 11 Avril 2013

    "Quel bel homme !», avait du se dire Karl Marx, en se regardant dans le petit bout de glace que tendait généralement les barbiers de la Casbah à leurs clients. Le « prophète » du socialisme venait, pour la première fois de sa vie, de se séparer de son éternelle barbe. C’était au printemps 1882. Il s’était laissé « dépoiler », déplumer, par un barbier dans l’une des artères étroites et escarpées de ce vieux quartier d’Alger.
    « A cause du soleil, je me suis débarrassé de ma barbe de prophète et de ma toison, mais (comme mes filles me préfèrent avec),  je me suis fait photographier avant de sacrifier ma chevelure sur l’autel d’un barbier algérois…, » écrivait-il dans une lettre du 28 avril 1882 à son ami Friedrich Engels, cité dans « Alger la blanche, biographies d’une ville », de l’écrivain algérien Salah Guemriche (Edition Perrin, Paris, 2012).
    Prétexte peu convaincant, tiré par les cheveux. Car, il n’existe aucun « antagonisme » entre le soleil et la barbe. « On sait bien à quel point le soleil d’Alger peut-être rasant, mais de là à ce qu’il pousse un Karl Marx à se rendre à la Casbah pour se faire tondre la barbe, voilà qui n’est pas un poil marxisant », relève, avec une pointe d’humour, Salah Guemriche dans son ouvrage.
    Karl Marx avait débarqué au port d’Alger le 20 février 1882 à trois heures trente du matin. La mer n’était pas tendre avec lui. Il n’avait pas pu fermer l’œil durant le voyage. Sidi Boulegdour, le « vainqueur » de Charles-Quint, n’y était pour rien cette fois-ci. « Il a fait froid pendant la traversée et, bien que le bateau fût pourvu de tout le confort, je n’ai pas pu dormir les deux nuits en raison du bruit diabolique des machines, du vent etc. qui m’empêchaient de trouver le calme dans ma cabine, » relevait-il le lendemain de son arrivée, le 21 février, dans une lettre à son ami Engels.

    Convalescence gâchée par le mauvais temps

    Accueilli à son arrivée par Albert Fermé, un juge de paix, ancien ami de son gendre Charles Longuet, Karl Marx avait passé deux nuits au Grand Hôtel d’Orient, situé du côté de l’actuel square Port Saïd. Il avait rejoint, ensuite, l’hôtel Victoria, une petite pension familiale de deuxième catégorie, aujourd’hui disparue, bâtie à l’extrémité haute de l’actuel boulevard Mohamed V. Il était venu à Alger sur insistance de ses médecins et de son ami Engels pour se soigner d’une pleurésie.  Alger était classée, à l’époque, ville d’hivernage, accueillant des milliers d’Européens fuyants les rigueurs hivernales de leur continent.  Beaucoup d’entre eux venaient, sur conseils de leurs médecins, passer quelques semaines, voir quelques mois, à Alger en raison de « la douceur de son climat » et « l’uniformité » de sa température en hiver.
    Pour Marx, c’était la poisse. En plus d’une traversée cauchemardesque, le « camarade » trouvait un temps exécrable à Alger. « Il pleut toujours », confiait-il par courrier à son autre gendre, Paul Lafargue, le 20 mars 1882, un mois après son arrivée. « Le temps est si capricieux qu’il  varie d’une heure à l’autre, passant par toutes les phases ou tombant au contraire d’une extrémité à l’autre. Malgré tout, on constate une tendance vers une amélioration progressive, mais il faut attendre », ajoutait-il.
    Sa maladie et le mauvais temps constituaient les principaux sujets évoqués dans ses correspondances. Terrassé déjà par la mort deux mois auparavant de son épouse, qu’il qualifiait de « cette autre moitié de moi-même », rongé et affaibli par la maladie, Karl Marx était déconnecté, accordant peu d’intérêt aux « bienfaits de la colonisation » en Algérie. Il ne lisait qu’un seul journal local, Le Petit Colon, et quelques fois L’Egalité et Le Citoyen.
    Etant en convalescence, ses médecins lui avaient déconseillé tout effort intellectuel. Il avait émis quelques critiques acerbes contre la loi Warnier du 26 juillet 1873 qui détruisait  la propriété collective en Algérie. « Faire de la terre communautaire la propriété privée des usuriers » constituait un acte de « brigandage pur et simple », notait-il. Il avait, un quart de siècle auparavant, rédigé quelques articles « alimentaires » sur l’Algérie dans une revue scientifique américaine.

    Marx le « Maure » dans un café maure

    A Alger, durant son séjour de deux mois et 12 jours, le « camarade » Marx, surnommé le « Maure » par Engels, passait le plus clair de son temps à l’hôtel. Il faisait de courtes balades dans le quartier du Télemly. Mais, la maladie, conjuguée au mauvais temps, l’empêchaient de vadrouiller, comme il l’aurait souhaité, dans les rues d’Alger. Il était, cependant, subjugué par la vue panoramique qui se déployait sous ses yeux, depuis son hôtel : la baie d’Alger, des villas disposaient en amphithéâtre jusqu’à la mer et les sommets neigeux du Djurdjura. « Le Matin, à 8 heures, il n’est pas de plus
    enchanteur que ce panorama. », s’extasiait-il.
    Il s’était rendu une fois au Jardin du Hamma. « Avant de pénétrer dans le Jardin d’essai, nous bûmes du café, en plein air naturellement dans un café maure. Le Maure en prépare d’excellent… ». L’établissement se trouvait en face de l’entrée nord du Jardin, à côté de la fontaine du Hamma. « Karl Marx ne nous apprend pas grand-chose sur la situation sociale et politique dans la colonie française » d’Algérie, relevait Gilbert Badia dans son ouvrage « Karl Marx, lettres d’Alger et de la Côte d’Azur » (Le Temps des Cerises, 1997). Sur l’Algérien, le père du « Capital », dira que « le plus misérables des Maures surpasse le plus grand comédien d’Europe dans l’art de se draper et de prendre une attitude pleine de naturel, de grâce et de dignité ».
    Karl Marx en avait marre de « cette vie d’invalide » à laquelle l’avait réduit sa maladie. Il avait quitté Alger le 2 mai 1882 à bord du bateau le « Péluse », emportant dans sa tête des images de la sublime baie d’El-Bahdja et dans ses bagages quelques bijoux kabyles, dont des bracelets. Il est mort le 14 mars 1883 et enterré à Londres.

    M.A.H


    Tags Tags : , , , , , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :