• Par: Mohamed Arezki Himeur
    Liberté, 12 septembre 2010

    Il est toujours là, avec ses racines bien ancrées sous terre, ses lianes pendantes aussi solides que les amarres d’un navire. L’arbre de Tarzan constitue l’une des attractions du Jardin d’essai d’El-Hamma. Surtout pour les personnes âgées, celles des “années Tarzan”, qui ont vu des films de ce personnage de fiction créé en 1912 par le romancier américain Edgar Rice Burroughs.
    Le Jardin d’essai d’El-Hamma aurait servi, semble-t-il, de décor naturel au tournage, en 1932, de "Tarzan, l’homme singe" du réalisateur américain Woodbridge Strong Van Dyke. Le personnage de ce seigneur de la jungle a été campé à l’écran, dans ce long métrage, par Johnny Weissmüller, acteur américain d’origine austro-hongroise. Tarzan, personnage de fiction connu à travers le monde, a inspiré plusieurs écrivains, réalisateurs et créateurs de bande dessinée.
    « Tarzan, l’homme singe » a été tourné dans une partie du Jardin d’essai qu’on appelle le Jardin anglais. L’endroit garde encore aujourd’hui son aspect d’une forêt tropicale, avec ses arbres géants lancés à l’assaut du ciel. Au détour d’une allée, on tombe sur une sorte de petite île entourée d’eau.
    À quelques mètres de là, le fameux arbre de Tarzan recouvre de ses longues branches et de ses feuillages un petit lac ovale dans lequel barbote une demi-douzaine de canards. “Je n’ai aucune idée du personnage ni des films et bandes dessinées qui lui ont été consacrés”, dira Tahar, un jeune étudiant d’une vingtaine d’années.
    Tahar, enfant de Belcourt, est un habitué du Jardin d’essai d’El-Hamma. Il y vient régulièrement, généralement en compagnie d’amis du quartier ou de proches parents de passage à Alger. “C’est un endroit fantastique, agréable, très calme, qui me donne l’impression de vivre, l’espace de quelques heures, en montagne, loin des tumultes de la ville”, dit-il. C’est ici qu’il se réfugie, depuis la période où il était lycéen, pour réviser ses cours ou se détendre, après des nuits blanches passées à préparer les examens. Il n’y a pas de bon plan pour visiter le Jardin d’essai, apprécier son inégalable beauté. Un véritable joyeux implanté en plein cœur d’Alger.

    On peut se balader sur la même allée toute une journée sans se lasser, relève Bélaïd, enseignant à la retraite, qui prépare, dit-il, un petit livre trilingue – français, kabyle et arabe – sur les arbres, les plantes et les herbes. Un ouvrage dédié aux écoliers, destiné à combler une des lacunes du système scolaire algérien. “Il y a des collégiens et des lycéens qui sont incapables de vous décrire ce qu’est un cerisier. Beaucoup d’étudiants n’ont jamais mis les pieds dans un musée”, ajoute-t-il.
     “Voilà une bonne initiative”, lâche Bélaïd en apercevant un groupe d’enfants qui font une entrée bruyante dans le jardin, encadrés par deux jeunes hommes. L’excursion de ces enfants est organisée et prise en charge par une association de protection de l’environnement d’un village près de Rouiba. Les enfants étaient aux anges. Ils se dirigent, d’instinct, tout droit vers le Parc zoologique, le site favori des enfants, qui fait face à l’entrée principale du Jardin d’essai.
    L’intérieur du zoo grouille de monde, en majorité des enfants accompagnés de leurs parents. Les bambins voltigent d’un endroit à un autre pour contempler de plus près les animaux, heureux de voir en chair et en os des lions, léopards, crocodiles, autruches, renards, vautours, alligators, gazelles, fennecs et autres animaux qu’ils n’ont vus, jusqu’ici, pour la plupart d’entre eux, qu’à travers le petit écran.

    Les visiteurs  viennent de partout

    Les animaux semblent faire de vieux os au Jardin d’essai d’El-Hamma. Certains ont même battu le record de longévité. C’est le cas d’Hector, le plus vieux condor de la Cordillère des Andes, mort à la fin du mois de juillet dernier. Hector faisait partie des tout premiers pensionnaires du zoo, créé par Joseph d’Ange et son épouse en 1900. Il avait à l’époque 9 ans. “C’est au microclimat du Jardin d’essais qu’Hector doit sa longévité”, écrivait en 1992 Afrique Magazine (n°88-89).
    Jacqueline a vécu 99 ans et 4 mois dans ce jardin. Elle est morte en avril 1990. Cette femelle alligator du Mississipi d’Amérique du Nord est née en janvier 1891. Elle avait 11 ans lorsqu’elle avait débarqué à Alger en 1900, à l’occasion de l’inauguration du parc zoologique du Jardin d’essai d’El-Hamma. “Cet animal détient le record mondial de longévité dans son espèce”, peut-on lire sur une plaque posée près du cadavre de l’animal empaillé, entreposé dans une salle à l’entrée nord (côté mer) du jardin.
    Les visiteurs viennent de partout, des régions limitrophes de Boumerdès et Blida, mais aussi d’Aïn Defla, de Tipasa, Chef, Médéa, Bouira et Tizi Ouzou. Il y a aussi, parmi eux, des étrangers et des émigrés algériens. Les uns et les autres profitent de leur séjour en Algérie pour effectuer, en compagnie de l’épouse et des enfants, une escapade au jardin.
    Une fois la virée du zoo terminée, les visiteurs entament de longues promenades à travers les différentes allées du site. Le jardin ne désemplit pas. Il draine, chaque jour que Dieu fait, une foule nombreuse. L’affluence est assez importante pendant ce Ramadhan, un mois qui, généralement, ne se prête pas aux déplacements. Il est plutôt propice aux “visites” dans les marchés des fruits et légumes, à Boufarik capitale de la z’labia et Megtaâ Kheira réputé comme étant le plus grand marché de viande de dinde à ciel ouvert.
    Contrairement à ce qu’on peut penser, le Jardin d’essai n’est pas déserté pendant ce mois sacré. Il accueille chaque jour des centaines de visiteurs. Certains, généralement des habitués des lieux, prennent place sur des bancs à l’ombre d’arbres géants, au moment où d’autres flânent à travers les longues allées ombragées des nolinas, des cocos, des ficus, des palmiers, des yuccas, des platanes, des bambous, des dracenas ou du côté du carré botanique et de celui des plantes utiles.
    “Il y a des gens qui vivent depuis de longues années à Alger et qui n’ont jamais mis les pieds au Jardin d’essai. J’en suis un. Je vis à Alger depuis la fin des années 60 et c’est la première fois que je visite ce merveilleux site”, dira Saïd, fonctionnaire. Il était accompagné de son épouse et de deux enfants, deux charmantes petites filles émerveillées par le zoo et l’immensité du jardin. “C’est quand même assez cher l’accès au jardin (60 DA pour l’adulte et 30 DA pour l’enfant) et au zoo (mêmes tarifs). Une famille moyenne de 5 personnes doit débourser 420 DA juste pour pouvoir accéder au jardin et au zoo.
    À cette somme, s’ajoutent les frais de déplacements (bus ou taxi). C’est une dépense qu’on ne peut pas se permettre régulièrement. Les responsables du jardin doivent imaginer une autre formule pour rentabiliser le site et attirer plus de visiteurs”, ajoute-t-il. Il est vrai que la gestion et l’entretien du jardin et des animaux pensionnaires n’est pas une mince affaire. Cela doit coûter excessivement cher.

    Réservoir d’air pur d’Alger

    Le Jardin d’essai d’El-Hamma a été créé en 1832. Il renferme plusieurs espèces de faune et une flore représentant l’ensemble des continents de la planète. Il est à la fois une promenade, une pépinière, un jardin d’acclimatation et un jardin botanique.
    Le site a été sérieusement endommagé, voire saccagé, durant la Seconde Guerre mondiale. Réquisitionné dès novembre 1942 par les troupes alliées qui y ont installé des ateliers de réparation de véhicules notamment, le Jardin d’essai d’El-Hamma a été durement affecté par les bombardements des forces aériennes allemandes. Sa restauration, qui a nécessité du temps et de l’argent, s’est achevée en juillet 1947.
    Pour rester dans l’histoire, il convient de rappeler que c’était sur l’emplacement de ce jardin que l’empereur Charles-Quint (1550-1558) échoua lamentablement quatre siècles auparavant, en 1541 précisément, dans une tentative d’occuper Alger. Son expédition a tourné au désastre.
    Il avait mordu de la boue dans les marécages de ce qui deviendra plus tard le Jardin d’essai d’El-Hamma. Il avait bu la tasse sur les rivages du site, après la désintégration de sa flotte par la tempête. Une flotte, très forte, comprenant 65 galères de combat et 451 navires de transport à bord desquels se trouvaient 12 300 matelots et plus de 22 000 hommes de troupe.
    Charles-Quint n’avait pas réussi dans son entreprise de mettre à genoux Alger. Ses “troupes campèrent sur la colline dominant la ville et construisirent une forteresse sur l’emplacement du Fort-l’Empereur. Mais l’échec fut complet. Charles-Quint fut vaincu et eut grande peine à regagner sa flotte. Battus d’une effroyable tempête, nombre de ses vaisseaux sombrèrent ; des milliers d’hommes périrent ou furent faits prisonniers”, peut-on lire dans le guide Alger et ses environs édité en 1923. Le “séjour colonial” de Charles-Quint a été des plus courts de toute l’histoire de colonisations. Il a duré en tout et pour tout une semaine.
    Il a débarqué le 23 octobre 1541 pour réembarquer le 31 du même mois, dans une débandade indescriptible, “les débris de son armée sur les vaisseaux échappés à la tempête du 26 octobre”, selon le même guide.
    “J’ai visité plusieurs fois le jardin d’El-Hamma en mars, en avril et en mai, chaque fois, je lui trouvais un charme nouveau”, écrivait en 1874 Jean-Jules Clamageran dans un livre intitulé L’Algérie : impressions de voyage. “C’est une merveille qui n’a assurément pas sa pareille en Europe”, attestait treize années plus tard (1887) M. J. Baudel dans son ouvrage Un an Alger, excursions et souvenirs.
    “Ici, dans une après-midi, soulignait M. Baudel, on peut passer sommairement en revue la flore des cinq parties du monde ; mais le Jardin d’essais n’est pas seulement un lieu d’études pour les botanistes, c’est aussi un lieu de poésie et de repos.” Il est aussi, peut-on ajouter aujourd’hui, un réservoir d’air pur de la capitale, celui qui fournit une bonne part de l’oxygène que respirent ses habitants.

    M. A. Himeur


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  • Par: Mohamed Arezki Himeur
    Liberté, Alger, 1er août 2010

    L’information n’est plus l’apanage des medias, des journalistes et autres professionnels de la communication. Internet est désormais passé par là. Il a chamboulé, chambardé la donne, en favorisant un développement sans précédent de ce qu’on appelle l’information citoyenne,  avec en prime des photos et vidéos à l’appui.
    Un essor qui n’est, semble-t-il, qu’à ces balbutiements. « C’est le temps des vérités. Les mensonges ne passeront plus. La toile fait une sorte de contrepoids aux politiques des pouvoirs. Et les dictatures ne peuvent plus sévir à huis clos », estiment quelques jeunes rencontrés à l’entrée d’un cybercafé dans un quartier d’Alger.
    A quelques mètres de là, dans une autre artère, un responsable local, âgé d’un peu plus d’une soixantaine d’années, s’échinait à tailler un crayon avec un petit canif usé. Il n’arrivait pas à se familiariser avec l’ordinateur qui « encombrait » son bureau. Une image qui explique en partie l’écart, plutôt le gouffre, séparant les jeunes d’une partie des générations précédentes, néophytes dans le domaine des nouvelles technologies de l’information.
    Au moment ou des responsables butent sur les touches de leurs claviers, à la recherche de la virgule, du point ou du « chapeau » (accent circonflexe) , de jeunes adolescents survolent le monde, via la toile, à la recherche d’un ami vivant quelque part dans une ville africaine, en Europe ou en Amérique du Nord, d’un document dans la Bibliothèque du Congrès américain ou de The London Library, d’une photo d’un petit village perdu dans le désert australien ou, tout simplement, celle de son quartier, sa rue ou son village sur Google Maps pour la présenter sur son blog.
    Les réseaux sociaux comme Facebook et  Twitter, pour ne citer que ces deux exemples, constituent une autre belle invention de l’homme, faisant de la terre un « village planétaire », comme l’écrivait il y a 43 ans (1967) le philosophe et sociologue canadien Marshall McLuhan dans son livre « The Medium is the Message ».
    Des émeutes et heurts entre jeunes manifestations et forces de sécurité font, grâce au téléphone mobile, avec vidéo à l’appui, le tour du monde quelques instants après leur survenance. « A force de répéter, sans trop y croire, que l’Algérie est une maison de verre, les responsables sont surpris, irrités aussi, de constater que les jeunes ont mis leur slogan en pratique, Online », dira Hamid, 23 ans, « un enfant de la toile » où il passe le plus claire de son temps, que ce soit à la maison ou dans un cybercafé avec des amis.
    Pour lui et des dizaines de milliers de jeunes, Internet n’a aucun secret. Ils passent d’un site à un autre, d’un domaine à un autre, d’un pays à un autre et d’une langue à une autre par le truchement de la traduction Online sans difficultés, juste avec un petit clic la ou il faut. Ils jettent l’ancre là où ils veulent, même dans le désert du Ténéré, discutent avec qui ils veulent, écrivent sur tout ce qui leur tient à cœur, sur leur joie, peine, leur passion, leur colère et leur espoir.

    Les interdits volent en éclats

    Les voyages forment la jeunesse, dit-on. Et le voyage, par les temps qui courent, est gratis, à l’œil. C’est le cas de le dire. On peut faire le tour du monde, visiter n’importe quelle ville, n’importe village ou patelin sans quitter son siège. Et le monopole et la censure n’y peuvent rien. L’histoire des paraboles collectives introduites durant les années 80 en Algérie est là pour rappeler que l’interdit, la censure, y compris par la pratique des prix et des taxes exorbitants pour décourager les plus intrépides, ont toujours stimulé la création et l’invention dans tous les domaines.
    Outre les réseaux sociaux comme Facebook et Twiter, le blog connaît un engouement en Algérie. Il permet la circulation de l’information entre les différents acteurs d’un secteur, d’un groupe social, des habitants d’un village ou d’un quartier. Les blogs jouent le rôle de trait d’union, sont devenus des plates-formes de discussions et de débats dans certains villages. Ils permettent à un bon nombre de leurs habitants, surtout des jeunes, vivants à l’étranger ou dans une autre région du pays, de participer à la vie de leur lieu de naissance.
    Le recours à une éventuelle utilisation future de Skype ou d’un autre moyen de communication de ce type, transportant voix et images, dans les débats des Assemblées des villages (tajmat), n’est pas à écarter. Déjà, dans certains endroits, des vieilles recourent à cet outil pour parler, et voir « en chair et en os » leurs enfants installés à l’autre bout du monde.

     

    Tout en étant une plate-forme d’échange, le blog donne, ce qui n’est pas rien, la parole aux voix marginalisées. Il constitue aussi un moyen de proposition et, également, de pression sur les autorités locales qui ne peuvent pas ne pas en tenir compte. Ce n’est pas tous les blogs qui s’assignent un tel objectif. Beaucoup de bloggers veulent juste faire connaître leurs passions, leurs villages, ses habitants, ses potentialités, ses hommes et femmes illustres, ses difficultés et ses espoirs.
    « Au début, j’ai juste fais des photos pour mon plaisir. Par la suite, j’ai eu l’idée de créer un blog pour faire découvrir mon village et ses habitants. Pourquoi ? Parce que j’adore mon villages, ses habitants », peut-on lire sur le blog du village de Zouvga, en Kabylie.

    Son but est de « permettre à tous les émigrés du village, en France ou ailleurs, de pouvoir faire un tour virtuel au village et de revoir la famille et les amis », précise-t-il.
    Tifrit-Info lancé par un habitant de Tifrit n’Ath Oumalek se propose d’informer en rassemblant « l’essentiel de l’information » circulant sur le Web. « Il se veut être un site pour la communauté algérienne et berbère en France et dans le monde », écrit son auteur.

    Espace d’échange, d’expression, de proposition et de pression

    Bouharoun, à 50 km à l’ouest d’Alger, dans la région de Tipaza dispose d’un blog renfermant essentiellement des photos de la ville, du port, de bateaux et des fermes de la zone. « Sa beauté et son calme n’ont pas d’égal », estime le concepteur du blog. « Son hymne, une musique douce jouer par un orchestre composé de vagues qui vous bercent et vous ensorcellent. Son parfum est un subtil mélange d’odeur de la mer, de poisson frais et de terre fertile », souligne-t-il.
    Le blog d’Ath Ali Ouharzoune est de « faire connaître le village », de permettre à ses internautes « de se retrouver ».
    Un internaute émigré résume, schématiquement, l’intérêt et le rôle de trait d’union que joue le blog. « Merci pour ce voyage qui m’a permis de revoir ma famille, mes amis et mon village », écrit-il dans un message envoyé au blog de Tassaft Ouguemoune, dans le Djurdjura.

    Ighil Lmal voit plus loin, vise plus haut. Le but de ce blog « est d’abordé des questions qui dépassent Ighil Lmal, c’est-à-dire la transmission de mémoire, la difficulté de créer un tissu social et associatif et bien d’autres questions qui agitent la Kabyle », annonce son auteur.

    Ath Mansour va, à quelques nuances près, dans le même sens. Ce blog se présente comme un « espace » et « un moyen d’expression » sur le vie et l’histoire de l’Aârch (tribu) d’Ath Mansour.
    « Son premier objectif est de faire une analyse globale de l’environnement social, économique et culturel de notre commune pour en tirer les points forts à consolider par des actions concrètes, tout comme pour en identifier les points faibles à corriger en vue d’une nouvelle dynamique de développement associant toutes les catégories socioprofessionnelles dans ce grand chantier », écrit son auteur.
    « Son second objectif est d’accompagner nos jeunes, surtout chômeurs, à créer de nouvelles richesses en intégrant notre démarche dans les divers dispositifs d’aide à l’emploi des jeunes et autres mécanismes d’encouragement du développement rural et agricole ». Le  blog renferme des informations sur les activités et les projets locaux.
    Sur le site d’Ait Bouyahia, créé par un jeune vivant au Canada, mais le cœur battant la chamade pour le village, un débat est engagé sur les voies et moyens de donner un nouveau souffre aux associations chargées de l’environnement, de la solidarité, des activités culturelles et sportives. Dans un message publié sur le site, un enfant du village suggère, à partir de Paris, la création d’un fonds financier de soutien à ces associations.
    Le blog d’Ath Adelli, dans la commune d’Illilten (Kabylie) ouvre sur une présentation exhaustive du village depuis sa fondation jusqu’à nos jours, et des zones qui l’entourent comme la massif montagne d’Azrou n’Thour. Son auteur décoche quelques fléchettes en direction des pouvoirs publics qui ont abandonné les orphelins et les veuves des 64 martyrs de la lutte de libération nationale. « Ceux qui nous ont gouverné depuis l’indépendance n’ont pas cessé de piller ce beau et riche pays », relève l’animateur du blog. Durant cette guerre, le village Ath Adelli comptait 600 habitants.

    Internet : diversité indiscutable dans un espace infini

    « Privé d’instruction, autodidacte, rétrogradé injustement après 30 ans d’ancienneté puis mis à la retraire, j’essaie de m’exprimer à travers cet espace », écrit Idir Ait Mohand de Ath Saada, un village accroché à l’un des flancs du Djurdjura. C’est quoi un blog ? « J’ai essayé de réfléchir à la question et plus j’y pense,  plus je me perds dans ce méli-mélo qu’est cette toile du net s’étendant à l’infini », écrit-il.
    « Un blog peut être comparé à une embarcation voguant au gré du vent sur cet immense océan du web. De l’insignifiant radeau à la plus petite voile, de l’imposant porte-avions et autres sous-marins en passant par une multitude de paquebots, la gamme est très variée. Chacun peut s’offrir sa propre croisière et naviguer ainsi en eaux troubles ou limpides selon son désire », ajoute-t-il.
    Ce bloggeur ne blague pas. Il sait de quoi il en retourne. Pour avoir, vraisemblablement, « longtemps rouler sa bosse » sur la toile. Sa description du Web est poétique, mais juste et pertinente. Il existe, comme il le souligne, une « diversité indiscutable » dans « cet espace infini » de la toile.
    « Tels des soldats, les blogs se livrent une bataille acharnée pour remporter quelques points supplémentaires qui les aideraient à monter en grade. On ne peut pas arriver dans ces armées aux couleurs multiples, avec le grade de général. Il va de soi que le bidasse, engagé volontaire, doit passer par l’apprentissage avant d’ambitionner une brillante carrière qui fera de lui, peut-être, un haut gradé aux nombreuses décorations : (le haut de gamme, le top des blogs avec tous les privilèges qui leur siéent) ».
    Dommage que ce blogueur a décidé de se retirer, de prendre ses distances. Cependant, dit-il à ses amis du web, « si j’ai décidé de larguer les amarres, c’est pour ambitionner une autre aventure ». Dans ce cas, souhaitons-lui en chœur bon vent.
    Le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) « a profondément bouleversé les modes de gouvernances, les principes de participation politiques et le schémas de la relation entre les hommes. Elles ne laissent indifférents aucune sphère de la société », écrivait en 2006 Mamadou Ndiaye dans une thèse de doctorat intitulée « E-gouvernance et démocratie en Afrique : le Sénégal dans la mondialisation des pratiques ».
    M. Ndiaye ajoutait que « déjà en 2000, dans les dernières lignes de sa Galaxie Internet, Manuel Castells nous lançait un avertissement en nous faisant comprendre que si nous nous occupions pas des réseaux, les réseaux, eux, s’occuperaient de nous ; la vie en société, désormais, est nécessairement confronté à la vie des réseaux ».
    C’est désormais à ce niveau, celui de la maîtrise des nouvelles technologies de l’information, que se joue, déjà, le développement, l’évolution, l’indépendance, la bonne gouvernance d’un pays. C’est donc dans sens qu’il faudra agir, prendre des initiatives audacieuses afin de réduire « la fracture numérique ».

    M.A.Himeur



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  • Par: Mohamed Arezki Himeur
    Liberté, 29 juillet 2010

    Les baigneurs doivent slalomer, depuis le parking jusqu’à la plage, entre des blocs de béton, des tonnes de rond à béton, des madriers, des truelles, des marteaux, des briques, des quintaux de ciment et de sable et supporter, pendant qu’ils se dorent au soleil, le bruit infernal de la bétonnière.

    Oui, je suis déçu, répond Idir à l’agent de sécurité qui lui demandait pourquoi cette tristesse sur son visage. Son compagnon, Tarik, l’était également. Les deux amis sont visiblement contrariés, décontenancés, affichant une mine tristounette, après avoir effectué un petit tour à travers les artères et les plages de Tigzirt. Ils ont pris le départ d’Alger, dimanche 10 juillet, à 7h. La circulation automobile était fluide. C’était toujours ainsi à l’aller. Trois heures plus tard, ils se retrouvent sur l’esplanade des ruines antiques de Tigzirt, avec une superbe vue sur la Méditerranée, le port retapé à neuf, l’îlot, le magnifique jardin public construit sur le port, la grande plage, la plage Tassalest et, au loin à l’est, sur le sommet d’une montagne, Taksebt qui abrite d’autres vestiges antiques.
    Tigzirt a tout pour plaire et drainer les touristes et les visiteurs. Idir et son ami Tarik ont préparé cette escapade d’une journée depuis plusieurs semaines déjà. Ils sont venus, ce dimanche, en éclaireurs, avec pour mission de prendre la température, de se renseigner sur les commodités offertes aux touristes. Ils ont fait le déplacement dans le but de préparer, pour eux, pour des amis et leurs proches, un séjour d’une dizaine de jours de vacances dans cette cité antique.
    Idir, Tarik et leurs amis, originaires de différentes régions du pays, ont l’habitude de passer les vacances d’été ensemble, tantôt dans une région, tantôt dans une autre, dans des établissements hôteliers ou des villages de toile (campings). C’est un excellent moyen, une formule idéale, estiment-ils, pour connaître le pays, ses villes et villages côtiers, apprécier ses différents paysages, découvrir la culture, les us et coutumes propres à chaque région, à chaque endroit de la façade côtière algérienne qui s’étend sur plus de 1 200 km.
    Ils ont passé la précédente saison estivale à Mostaganem. Ils ont opté cette année pour la région de Tizi Ouzou. Leur choix s’est porté sur Tigzirt, une ville réputée pour son calme, l’accueil et le respect de ses habitants pour les étrangers, la propreté de ses plages. C’est une ville qui offre aux touristes une multitude de sites antiques qui méritent d’être visités. Elle a de tout temps était une destination prisée des estivants et des vacanciers. Ce n’est malheureusement pas le cas cette année. La ville n’a pas drainé la grande foule. Le rush touristique attendu n’a pas eu lieu. Les dix premiers jours du mois de juillet ont été médiocres, pour reprendre une expression de Rabah, un commerçant. Les causes ? Elles sont multiples, estime-t-il.
    Idir et Tarik sont quelque peu déçus. “C’est affligeant de voir ça”, lance Idir, en pointant l’index vers Tassalest, la plus grande plage de la ville, qui s’étend sur quelque 900 mètres de long.
    La plage est devenue un vaste chantier, s’étendant sur une grande superficie, à quelques mètres seulement de l’eau. Avant de faire le premier plongeon, les baigneurs doivent slalomer, depuis le parking jusqu’à la plage, entre des blocs de béton, des tonnes de rond à béton, des madriers, des truelles, des marteaux, des briques, des quintaux de ciment et de sable et supporter, pendant qu’ils se doraient au soleil, le bruit infernal de la bétonnière. La présence de tous ces matériaux fait courir des risques pour les estivants. Le danger est permanent, surtout pour les enfants qui aiment bien jouer, galoper sur les plages.

    Les causes sont nombreuses

    Le choix de la période pour entreprendre ces travaux n’est pas judicieux, estiment bon nombre de Tigzirtois. Ils devaient être réalisés avant la haute saison touristique, relèvent-ils. Il est vrai qu’il n’est pas agréable, après une année de labeur, de passer des vacances dans une ambiance pareille.
    Les travaux portent sur la réalisation d’une sorte de promenade tout le long de plage, à quelques mètres de l’eau, rendant, du même coup, l’espace réservé aux baigneurs trop étroit.
    La saison estivale, réduite de presque de moitié cette année en raison du Ramadhan, s’annonce compromise pour les hôteliers et les commerçants. Le taux d’affluence des touristes et des vacanciers, durant les dix premiers jours de juillet, est malingre. Les opérateurs du tourisme et les commerçants s’apprêtent déjà à entériner ce constat, amer pour tous.
    Le 10 juillet, les touristes n’étaient pas encore au rendez-vous. Ils ne se bousculaient pas dans les hôtels, restaurants et autres crémeries de la ville.
    Beaucoup de logeurs, habitués à louer leurs appartements et villas pendant la saison estivale, n’ont pu le faire cette année, faute de touristes en grand nombre. Des offres de location ont, pour la première fois, été placardées sur des vitrines de certains magasins de la ville. Ce qui ne se faisait pas autrefois. Parce que la demande de location était plus forte que l’offre.
    Donc, les propriétaires qui mettaient leurs maisons en location n’avaient pas besoin de recourir aux annonces pour trouver des locataires. Le bouche à oreille, les réseaux d’amis, de parents et de connaissances fonctionnaient à merveille, suffisaient amplement.
    La Coupe du monde, l’approche du mois de Ramadhan, la crise économique avancées pour expliquer, justifier la maigre affluence des touristes ne tiennent pas la route, estiment des Tigzirtois. Les raisons sont à rechercher ailleurs : dans la malpropreté des plages et les chantiers comme celui lancé à Tassalest. À ces deux défaillances s’ajoutent la pénurie endémique de l’eau potable et celle du lait : deux produits très demandés par les touristes et vacanciers.
    Les pénuries d’eau durent parfois plusieurs jours, nous a-t-on dit. Que font les autorités locales ? “Elles sont en vacances”, répliquent, avec ironie quelques jeunes, assis à même le sol, près du siège de l’APC.
    Inutile de sortir d’une grande école pour établir le diagnostic que le tourisme a subi un net recul cette année à Tigzrit. Il suffit, pour ce faire, de se balader sur la rue principale qui traverse d’un bout à l’autre la cité, de se déplacer vers le port ou de faire une virée dans les restaurants, les cafés et les crémeries de la ville pour le constater. Cette démarche, effectuée un jour de la semaine, constitue un bon indicateur permettant de mesurer, de faire une estimation de la présence des touristes. Les plages donnent une fausse idée sur l’affluence touristique, car elles sont, pour une large part, fréquentées par des baigneurs des villes et villages de la région, qui rejoignent leurs foyers avant le coucher du soleil.
    Les crémeries, spécialisées dans la vente de crème glacée, sont aussi un excellent indicateur. Parce qu’elles attirent généralement de nombreux touristes. Ce n’est pas le cas cette année. Les clients sont moins nombreux.
    Autre fausse note : l’absence d’une animation artistique, qui avait fait, dans le passé, les beaux jours de Tigzirt. Il y avait une vie nocturne familiale. Les touristes et les habitants veillaient jusqu’à l’aube, soit sur l’esplanade du site des vestiges antiques surplombant le port et la Méditerranée, soit du côté de la grande plage. Il y a trois ans environ, une formidable ambiance régnait sur cette plage. Elle était envahie chaque nuit par des dizaines de familles, des centaines de personnes qui venaient prendre le frais, déguster une glace, un café, un thé ou siroter une limonade. Rien de tout cela, cette année.

    Recul du tourisme à Azeffoun aussi

    Les deux animateurs qui ont fait les beaux jours de ces lieux sont toujours là, à Tigzirt, pas très loin de l’Office national du tourisme (ONT), dont le bureau se trouve sur l’artère principale. Les services chargés de préparer et d’organiser la saison estivale, et ils sont nombreux, semblent avoir omis d’inclure dans le programme l’animation artistique et culturelle.
    Décidément, les gestionnaires des villes côtières de la wilaya de Tizi Ouzou semblent s’être donné le mot. Une longue et large promenade est en cours de construction à la lisière de la plage du centre d’Azeffoun. Cette ville et Tigzirt sont situées sur la même façade maritime. Elles sont distantes de 39 km seulement. Mais pour aller de l’une à l’autre, c’est la croix et la bannière. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, aucun bus ou fourgon de transport de voyageurs, pourtant par centaines à sillonner dans tous les sens la wilaya de Tizi Ouzou, n’assure la liaison directe entre les deux villes. Les deux cités sont isolées l’une de l’autre. Pour aller de Tigzirt vers Azeffoun, où vice-versa, le voyageur est contraint de faire le détour, long et éreintant, par Tizi Ouzou et Fréha.
    Azeffoun vit la même situation que la ville voisine de Tigzirt. Ici aussi, le tourisme est  en net recul. La plage du Caroubier, donnée en concession à un privé, est la seule à connaître une grande affluence. Elle draine, chaque jour, des centaines, voire des milliers, de baigneurs. Ce sont essentiellement des habitants des villes et villages de la région de Tizi Ouzou.
    L’activité commerciale est affectée de plein fouet. Les magasins sont abondamment achalandés de produits liés à la mer. Les bouées pour enfants, les shorts, les maillots de bain, les parasols, les crèmes solaires et les jouets en plastique exposés devant les boutiques, y compris sur les trottoirs par endroits, sont livrés à la poussière. “Si ça continue comme ça, les toiles d’araignée vont obstruer l’entrée de nos boutiques et les tiroirs-caisses”, dira avec humour l’un des commerçants, œil mi-clos, cloué par un soleil de plomb sur une chaise en plastique.
    À Azeffoun, il n’existe aucun organisme public chargé de renseigner ou d’orienter le touriste. Une aberration pour une ville touristique, entourait de vestiges historiques.
    Dans cette région comme dans celle de Tigzirt, l’activité touristique peut être développée tout au long de l’année. Car, en dehors de la saison estivale, ces deux zones maritimes disposent de nombreux sites archéologiques à proposer aux visiteurs, aux universités, lycées, collèges et écoles, dans le cadre d’un tourisme culturel, comme cela se fait ailleurs, sous d’autres cieux.
    Cependant, une telle démarche passe, bien évidemment, par la mise en valeur et la préservation des lieux, mais aussi par la formation de guides et une campagne publicitaire bien ciblée.

    M.A.H


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  • Par Mohamed Arezki Himeur
    Le Cap, bimensuel, Alger

    Gabriel Mwènè Okoundji, né le 9 avril 1962 à Okondo-Ewo, au Congo Brazzaville, fait partie de cette catégorie de poètes qui ont marqué la poésie africaine. Ses poèmes pourraient, eux aussi, connaître la même aubaine et se transmettre aux générations futures. Il est aujourd’hui considéré comme l’une des figures les plus marquantes de la nouvelle génération de poètes africains d’expression française.
    «Le poète est avant tout un héritier du souffle humain. Qu’importe si ce souffle vient d’Algérie, de Haïti, du Canada, de la Finlande ou d’ailleurs », dira-t-il. Il estime que c’est dans la poésie que réside l’essentiel, le fondamental. Par temps de doute, c’est la poésie, la parole du poète qui permet d’indiquer à l’être humain la direction à prendre.
    «La poésie, c’est la vie, c’est le souffle. Le chant poétique est avant tout ce qui rappelle à l’homme qu’il ne faut jamais désespérer malgré la blessure. Toute vie à sa charge de questionnements, d’interrogations. Mais ce poids, on ne peut le supporter que dans le chant de la parole poétique», souligne-t-il.
    Gabriel Mwènè Okoundji estime qu’un poète a un rôle à jouer dans la société. Bien évidemment, la littérature romanesque est aussi importante. Son lectorat est beaucoup plus important que celui de la poésie. «Mais au soir de l’existence d’un poète, lorsqu’il ne sera plus sur terre, ce qui continuera de témoigner de sa mémoire, c’est la parole poétique. Qu’importe qu’on ne retienne qu’un vers ou qu’un seul mot de son poème. Même si son nom n’est pas évoqué, il aura quand même transmis la sève de l’existence, de la vie.
    C’est quoi la vie ? C’est d’accepter de mourir. Une fois le corps mort, il redevient ce sable qui se recompose pour redonner encore la vie à ceux qui continueront le chemin», dira M. Okoundji. Pour lui, «la sève fondamentale de l’existence ne se trouve que dans la poésie».
    Gabriel Mwènè Okoundji est considéré par l’écrivain congolais Alain Mabanckou, auteur de «Verre cassé», de «Mémoires de porc-épic»  et de «Black bazar», comme l’«un des plus brillants poètes africains, de loin, de très loin!». Il a notamment publié «Au matin de la parole» (2009), «Prière aux Ancêtres» (2008) qui a reçu le prix PoésieYvelines l’année de sa parution, «Bono, le guetteur de signes» (2005), «Vent fou me frappe» (2003), «L’âme blessée d’un éléphant noir» (2002), «Second poème» (1998) et «Cycle d’un ciel bleu» (1996), son premier recueil.
    Il a aussi enregistré en 2008 un CD de poèmes sous le titre de «Souffle de l’horizon Tégué, destinée d'une parole humaine». Il participe à de nombreux festivals, ateliers d’écriture poétique et à des lectures de poésie un peu partout dans le monde. Il était parmi les hommes de lettres et de culture invités lors du dernier Festival panafricain d’Alger. Il était heureux d’avoir participé à cette rencontre, d’avoir vu «cette Afrique qui a défilé avec orgueil, dans sa diversité et dans sa vigueur». Cette manifestation constituait une occasion de dire «que nous sommes tous de la même racine. Et toute racine a un tronc», dira-t-il.

    Tante Ampili « représente la lumière »

    Gabriel Mwènè Okoundji se considère avant tout comme un «porteur de parole» ancestrale. Malgré le fait qu’il vive hors de son pays depuis de longues années, il est fortement attaché à sa culture ancestrale, à la culture traditionnelle. Il s’attelle, aujourd’hui, dans sa quête poétique, à essayer de donner, de communiquer aux autres, l’intelligence de la parole qu’il avait entendue lorsqu’il était chez lui, dans son pays, au Congo Brazzaville. Il se sent, d’abord et avant tout, porteur d’une parole que lui a transmise sa tante maternelle, Bernadette Ampili.
    «Cette femme, au travers du conte, du chant, du pleur, savait faire féconder la lumière d’un mot. Elle avait cette capacité de soulever l’émotion de quiconque savait écouter ce qu’elle disait », dit M. Okoundji.
    C’est cette parole-là, qualifiée par lui de «matière principale», qu’il voudrait, avec une obstination toute poétique, partager avec un Algérien, un Canadien, un Français, un Congolais et d’autres personnes. «Une parole somme toute banale, mais qui vaut son pesant d’or pour qui sait écouter», souligne-t-il.
    Tante Ampili constitue pour lui un repère, une balise. Elle représente pour lui beaucoup de choses. «Je dirais quelle représente la lumière, la force que je peux avoir pour me lever le matin malgré la blessure inhérente à l’existence humaine. C’est elle qui m’aide à tenir face à l’interrogation permanente qu’on peut avoir en se disant en quoi consiste l’équilibre de l’être humain sur terre», dit-il.
    Il y a tante Ampili, mais il y a aussi un autre personnage qui a marqué Gabriel Mwènè Okoundji. C’est papa Pampou, son oncle, «un homme magnifique qui m’a appris à regarder l’horizon», répète-t-il. Un jour, M. Okoundji donne une conférence, au Congo. Papa Pampou était là, dans la salle, parmi l’assistance. Le poète termine sa conférence en disant que «tous les chemins mènent à Rome». Cette phrase «maladroite», estime-t-il, n’a pas échappé à son oncle. «Qui t’a appris que tous les chemins mènent à Rome ?», lui demande papa Pampou. «C’est bien, ça peut mener à Rome. Mais Rome n’est qu’une escale parmi d’autres escales. Car tous les chemins mènent à la mort», lui assène-t-il.
    C’est vrai, admet M. Okoundji, que Rome comme Alger, Paris, Haïti ne sont que des escales d’une existence qui commence avec la naissance et qui se termine avec la mort. Mais avant la mort, il y a la vie. Une vie qui permet à l’être humain de dire à l’autre sa dimension d’être, relève-t-il. «On naît pour mourir», mais, la «mort» la plus dure est l’oubli.
    «Toute chose qui naît, qui vit est appelée à mourir. Ça on n’y peut rien. Mais la mort qu’il faut craindre, la plus injuste, la plus difficile, la plus insupportable pour l’être humain, c’est l’oubli», estime M. Okoundji. «Papa Pampou appelle la seconde mort le fait que plus personne sur terre ne pourra plus se souvenir de qui on était, lorsque plus une mémoire ne pourra plus témoigner de notre parole, de notre visage», ajoute-t-il.
    M. Okoundji ne veut pas que tante Ampili et papa Pampou, ses deux repères, ne sombrent dans un tel oubli. Tant qu’il vit, tant qu’il existera et tant qu’il pourra «donner parole» (parler), il est résolu à évoquer, à invoquer leurs mémoires. «C’est une façon de les faire vivre», dit-il. Pour perpétuer la mémoire des hommes politiques et autres hommes illustres, on a trouvé la parade en donnant leurs noms à des rues, boulevards, aéroports, stades, hôpitaux etc.

    «Même si le geste est long, la terre est patiente»

    Par contre, les sages vivant dans les coins isolés, dans des villages perdus dans la brousse et les montagnes, mais pétris dans la littérature orale, la culture ancestrale sont ignorés, négligés. Pour ces êtres là, «comme tante Ampili, papa Pampou et leurs semblables en Algérie, c’est à nous, leurs enfants, d’essayer de retarder le plus possible cette seconde mort», estime M. Okoundji.
    Psychologue clinicien dans un hôpital et chargé d’enseignement aux universités à Bordeaux, Garbriel Mwènè Okoundji vit depuis plus d’une vingtaine d’années en France. C’est dans ce pays qu’il a édité ses ouvrages. «J’ai beaucoup plus de lecteurs en France, en Occident, que dans mon propre pays, qu’en Afrique. Pourquoi ? Parce que la diffusion du livre est difficile, parce que le prix du livre est assez élevé en Afrique. Donc, forcément, il y a moins de lecteurs», dit notre interlocuteur.
    Pour qui écrit-il ? M. Okoundji s’est posé la question à plusieurs reprises. «Je me suis rassuré en disant, qu’après tout, le plus important pour moi est d’essayer de faire signe. Qu’importe si ce signe est entendu par un Canadien, un Finlandais ou un Chinois.
    C’est à lui ce que le chant poétique donne à entendre », dit l’auteur de «Prière aux ancêtres». Le signe n’atteindra peut-être pas les Congolais, mais «il sera peut-être perçu par un Gabonais, un Sénégalais et un Martiniquais. A condition que je puisse le donner, le transmettre avec la force, la conviction et la clarté avec laquelle je l’ai reçu», ajoute-t-il.
    Pour pouvoir atteindre ce but, il faudra passer par l’édition. Ce qui est loin d’être une sinécure. C’est difficile pour tout écrivain africain qui débute. C’est encore plus difficile pour un poète, car «le lectorat de la poésie est très faible». Il faut beaucoup de patience et de ténacité pour ne pas rendre le tablier, déposer le stylo. «J’ai toujours cru qu’une oeuvre, lorsqu’elle a quelque chose d’authentique, lorsqu’elle a du souffle, finit toujours par trouver un éditeur. A condition d’avoir un bon écrit. Donc, le tout, c’est d’avoir de la patience», estime M. Okoundji. «Même si le geste est long, la terre est patiente», ajoute-t-il, en faisant vraisemblablement allusion à l’agriculteur, le travailleur de la terre.
    Au fait, c’est quoi un bon écrit ? Personne ne le sait. Un texte peut être bien compris, apprécié et ressenti par un lecteur, mais incompréhensible et rejeté par un autre. Le plus important, dit M. Okoundji, c’est d’être soi-même convaincu de ce qu’on écrit. «Il ne s’agit pas de se dire, j’écris, c’est à la mode. Ou bien je vais écrire un roman parce que c’est le roman qui marche, qui se vend. Il s’agit de se dire : j’ai quelque chose à dire, j’ai un témoignage à apporter et le témoigner avec ses tripes, sa conviction, son obstination… avec son souffle tout simplement», souligne-t-il. «Parce que quand on a à donner ce souffle de soi, relève-t-il, il finit toujours par faire écho chez l’autre, chez celui qui l’entend, qui le lit».

     « L’équilibre de l’univers sur les genoux d’une fourmi »

    Le chant poétique rappelle à l’être humain que la vie est fragile. «L’équilibre de la terre, l’équilibre de l’univers repose sur les genoux d’une fourmi», comme disaient tante Ampili et papa Pampou. Une expression proche de celle de chez nous qui disait que l’univers repose sur la corne d’un boeuf. Et que les secousses telluriques et autres séismes sont provoqués par le déplacement de l’univers de la corne à l’autre.
    M. Okoundji a fait des études supérieures, travaille comme psychologue clinicien dans un hôpital et enseigne «la parole scientifique» (psychologie) à l’université. Mais «je demeure avant tout l’élève de ma tante Ampili et de papa Pampou», martèle M. Okoundji.
    L’auteur de «Vent fou me frappe» a animé plusieurs conférences et récitals de poésie en Afrique, notamment au Congo, au Tchad et au Burundi à l’invitation, dans la plupart des cas, du Centre culturel français.
    «En Afrique, les politiques comprennent assez difficilement la culture. Ce ne sont pas des poètes. Ils viennent vers le poète seulement lorsque quelqu’un leur dit que tel poète est important. Ils viennent vers lui sans l’avoir lu ou écouté», dit M. Okoundji. «Mais il ne faut jamais jouer dans cette cour-là», ajoute-t-il avec une pointe d’ironie. ‘’Qui s’y frotte, s’y pique’’, dit l’adage.
    M. Okoundji a toujours maintenu une distance entre lui et les politiques. «Oui, bien sûr, quand on écrit, on a envie d’être reconnu, que ce qu’on écrit ait un écho. Car ce sont des graines qu’on sème. On a envie de les voir germer un jour. Mais cela se fera par des voies tout à fait miraculeuses, qui nous laisseront propres», dit-il. «Je ne cherche pas à être, à paraître, ni à semer au-delà de ce que je peux produire», ajoute-t-il.
    M. Okoundji ignore les raisons de l’absence d’une association ou d’une union des écrivains africains. «Je ne suis qu’un poète. Je ne suis pas dans la cour de ceux qui écrivent des livres. Mais, j’ai remarqué, qu’effectivement, il manque une cohésion, une unité» chez les hommes de lettres du continent.
    Cependant, il arrive, de temps à autre, que des écrivains et des poètes se rencontrent pour, en petits groupes, donner des conférences, animer des récitals de poésie et participer à des ateliers d’écriture. En Afrique, comme lors du Festival panafricain d’Alger, en Europe ou ailleurs.

    M .A. H.


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  • Par Mohamed Arezki Himeur
    Le Cap, bimensuel, Alger

    Parce que, pour certains, pour beaucoup même, ce mot signifie fiançailles ou mariages, suivis de décibels à faire éclater les tympans et des nuits blanches en perspectives.  Mais il faut faire un distinguo entre les «bendir». Il y a l’instrument de percussion, l’outil roi des fêtes folkloriques très apprécié en Algérie et au Maghreb, mais il y a aussi l’autre, «El bendir». Celui-ci ne provoque aucun décibel, mais il fait Tilt dans la tête, titille les neurones et procure un réel plaisir à le parcourir. Il s’agit d’«El Bendir», un magazine algérien de bande dessinée. Un «mensuel pas comme les autres», selon ses promoteurs.
    L’idée de sa création remonte à 2008, à l’occasion du Festival international de la bande dessinée d’Alger. Les participants voulaient un journal à eux, pour s’exprimer, se faire connaître, faire voir et apprécier ce qu’ils font. D’ailleurs, à l’unisson, ils ont mis en relief «la nécessité absolue de disposer d’un journal spécialisé pour leur permettre d’exister». C’est désormais chose faite. Ils ont réussi à créer cet espace vital pour le développement de cet outil d’expression qu’est la bande dessinée, la BD pour les initiés.
    En effet, une année plus tard, le projet a été concrétisé. Le numéro «double zéro» a vu le jour. C’est en automne dernier. Il a été lancé par un groupe de dessinateurs, parmi lesquels figurent des «fous» (de la BD s’entend) des années 70 comme Slim, Haroun, Melouah ou Aïder.
    A leurs côtés, la relève, le crayon bien affûté, est prête à croquer les travers de la société et de la politique, les imperfections, les bêtises, les sottises, les sornettes et les fadaises des uns et des autres. C’est le cas, pour ne citer que quelques uns, des Natsu, Togui, Nime, Islem, Noun et le Hic qui «sévissent» déjà, au grand bonheur des amoureux de la BD et de la caricature, dans la presse quotidienne.
    Pour les vieux «routiers» comme pour les jeunes qui commencent à faire leurs premiers pas dans la BD, El Bendir constitue un espace qui leur permettra de donner libre cours à leur crayon, à leur talent, à leur savoir-faire.
    A tout seigneur, tout honneur. C’est le père, le géniteur du duo d’enfer Bouzid et Zina, Slim pour ne pas le nommer, qui donne le La, ouvre le bal. C’est à lui qu’échoit l’insigne honneur de «chauffer le bendir», avec une belle histoire sur «Alger au temps des Turcs» et des «Deys qui sont installés et désinstallés démocratiquement par les Janissaires».
    Haroun fait un come-back avec de «Nouvelles aventures de M’Quidech» qui sauve des «harraga d’une mort certaine», pour reprendre une expression en vogue dans la presse locale. Mieux : il a aussi réussi à récupérer l’argent remis par les harraga au passeur.
    Une autre histoire de harga croquée par Aïder dans «Les aventures de Sindbad El-Harrague». Il s’agit de la première harga, qui s’étalera vraisemblablement sur plusieurs numéros d’El Bendir.
    Des histoires suivies par d’autres planches aussi croustillantes les unes que les autres. Le lecteur trouvera aussi des entretiens, des reportages, des informations «sur ce qui se fait ici et ailleurs», lit-on dans l’introduction.

    Une BD pour tous les âges et toutes les langues

    Le choix du titre El Bendir  n’a pas été décidé au hasard, selon le dessinateur Le Hic, auteur de «Nage avec ta mer». «C’est pour pouvoir faire beaucoup de bruit», dit-il avec le sourire en coin. «Mais graphiquement, dans Bendir il y a les deux lettres B et D, qu’on a mises en évidence dans le logo de la revue, et qui donne Bande Dessinée», relève-t-il.
    El Bendir est un magazine algérien, mais ouvert sur d’autres horizons, sur des dessinateurs d’autres pays. Dans ce numéro «double zéro», figurent justement le gabonais Pahé, le béninois Didier Viode et le congolais Barly Baruti. D’autres dessinateurs africains et de Madagascar seront présents dans les prochains numéros. El Bendir est né pour faire du bruit, mais il a décidé de s’ouvrir aux bruits des crayons qui résonnent ailleurs, sous d’autres cieux.
    S’agissant des dessinateurs algériens, un appel leur a été lancé pour se joindre à l’aventure. «Il y a des Bédéistes qu’on connaît, qui nous ont rejoints. Pour les autres, ils nous ont promis d’être là pour les prochains numéros. Pour le moment, on n’a pas eu de refus. Et ça ne serait pas intelligent de refuser une offre de ce genre», nous a confié Le Hic. D’autant que ce magazine «est ouvert à tous les dessinateurs algériens, africains, à toutes les langues et aux dessinateurs de tous âges», dira l’auteur de «Nage avec ta mer».
    Le lectorat ciblé ? «Des lecteurs âgés de 7 à 77 ans, selon la formule consacrée. Les enfants peuvent être séduits par les dessins et les couleurs, tandis que les adultes peuvent être attirés et intéressés par le texte, le plaisir de lire et de se divertir», estime Le Hic.
    Pour l’auteur de «Nage avec ta mer», El Bendir abordera évidemment des sujets politiques. Mais «ça ne sera pas vu de la même manière» que dans des dessins de presse. Ils seront traités sous un angle différent, comme cela doit se faire dans une publication de bande dessinée. «Il y aura de la politique. Moi je suis d’avis que tout est éminemment politique. Quand on fait un sujet sur les harraga, c’est de la politique. Quand on évoque la violence dans les stades, c’est de la politique», estime-t-il.
    Cependant, les sujets seront traités «sous un angle qui colle à l’esprit de la bande dessinée», souligne-t-il. «La politique ne se résume pas au fait de dessiner un homme politique. La politique, c’est tout. Les embouteillages dans les rues d’Alger, c’est de la politique», relève Le Hic.
    C’est vrai que beaucoup diront que c’est une gageure de lancer une revue de BD en Algérie au moment où on parle de crise de la presse dans le pays. «S’il y a une crise dans la presse, c’est parce que, justement, celle-ci n’a pas su se diversifier», soutient-t-il. «Le premier réflexe des éditeurs, c’est de créer des quotidiens nationaux d’information. Or, ce créneau est saturé. Pour les plus intelligents d’entre eux, ils créent des hebdomadaires d’information générale. ça, sa passe encore», dira Le Hic. Pour lui, le créneau des publications spécialistes est négligé.
    L’auteur de «Nage avec ta mer» est convaincu qu’il y a une bonne place pour un magazine de bande dessinée en Algérie. «S’il n’y a pas de place pour la BD, cela veut dire qu’il ne peut pas y avoir de place pour la musique, le cinéma etc.»,  estime-t-il. Car malgré les moments tragiques et de douleurs de la décennie 90, la vie continue.
    Tant qu’il y aura des fêtes, l’instrument de percussion qu’est le bendir continuera de résonner. Puisse le mensuel El Bendir faire du bruit plus longtemps que ses prédécesseurs El-Manchar et M’Quidech.

    M. A. H.


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