• Par Mohamed Arezki Himeur
    (Algérie Confluences, juillet 2013)

    Le défunt écrivain Mouloud Féraoun l’avait bien souligné dans son roman « Les chemins qui montent » publié en 1957. Toutes les routes, tous les chemins et sentiers qui mènent vers Larba n’At Iraten (ex-Fort Natioonal), qui culmine à plus de 900 mètres d’altitude, sont en ascension. « Pour rejoindre Fort National, les chemins sont fort nombreux, on a beau choisir le sien, ce sont les chemins qui montent. » Il s’agit d’une adaptation un peu plus poétique de l’adage kabyle qui dit : « ansi is tkid i Larva, d asawen. »  A pied ou en voiture, l’habitant, le voyageur ou le tourisme est obligé de grimper pour rejoindre la ville.

    Ce 17 juin (2013), l’ascension a été des plus épuisantes, à cause de la canicule. Il a fait plus 40° à l’ombre à la mi-journée. Une chaleur torride, insupportable. Mais la ville ne sombre dans la nonchalance, l’apathie. La relâche, la sieste sont une pratique autant dire inconnue dans la contrée. Larba n’At Iraten grouillait de monde. Des piétons, hommes, femmes et enfants confondus, allaient dans tous les sens, vaquaient à leurs occupations. Les fourgons de transports de voyageurs assurant les liaisons avec Tizi Ouzou et les villages environnants tournaient sans interruption. Dès que l’un d’eux affichait complet, il prenait la route. Avec, tout au long du trajet, les derniers tubes des chanteurs en vogue de la région, dont les indétrônables Lounis Aït Menguellet, Matoub Lounès, Slimane Azem, cheikh El-Hasnaoui, Zedek Mouloud et bien d’autres.
    Larba n'At Iraten: la cime des chemins qui montent

    A Larba n’At Iraten, les boutiques sont ouvertes en permanence. Il est rare de voir un rideau baissé. Les cafés, les bars, les restaurants et autres gargotes  ne désemplissent pas. C’est l’une des rares villes où l’on peut se payer un bon bourguignon, un succulent sauté de veau, une savoureuse entrecôte plus large que l’assiette sur laquelle elle est servie pour la moitié du prix qu’on paie à Alger par exemple. C’est un endroit où l’on ne  risque pas de mourir de faim, encore moins de soif. Le service est permanent. Ce qui est logique dans une ville carrefour, passage obligé pour des habitants de plusieurs communes, villes et villages de la wilaya de Tizi Ouzou, mais aussi des voyageurs se rendant vers les wilayas de Béjaïa et Jijel, via le col de Tirourda et Beni Mansour.

    Les fameux « 12 S » et « 12 » sont, dans une certaine mesure, pour quelque chose dans la grande animation qui règne dans la ville. Ils obligent, chaque jour que Dieu fait, des centaines de personnes nées avant le milieu des années 1950 dans plusieurs daïras (sous préfectures) de la wilaya de Tizi Ouzou, notamment celles d’At Ouacif, At Douala, Iwadiyen et Dra El-Mizan, à faire le déplacement à Larba n’At Iraten pour se faire délivrer ce précieux document administratif. C’est, en effet, dans la mairie de cette ville, ex-commune mixte  de Fort National durant la colonisation, que sont délivrés les extraits de naissance connus sous les appellations de « 12 Spécial » et de « 12 ». Parfois, certaines personnes sont contraintes de faire plusieurs allers et retours pour se procurer le document, le « 12 spécial », faute de disponibilité du formulaire en quantité suffisante.

    Lien vers la chanson (vidéo) de Mokrane Agaoua sur Larba N'At Iraten interprétée par les Khouans du village At Atelli ---- https://www.youtube.com/watch?v=e9c1RFrEwb8

    Mais, qu’importe.  Larba n’At Iraten mérite bien une virée. La route, en lacets, qui y mène depuis la gare routière de l’Oued Aïssi, dans la périphérie est de Tizi Ouzou, traverse ou passe à la lisière de plusieurs  villages comme, pêle-mêle, Sikh Oumedour, Taksevt, Tamazirt, Adeni, At Hague, At Frah, Iredjen et Azouza. Avec, à chaque virage, une vue panoramique extraordinaire sur le plan d’eau du vaste barrage de Taksevt, les plaines de Tamda, Fréha et Iazzugen (Azzazga)  et sur l’imposant massif montagneux du Djurdjura.  En fait, le trajet de 27 km reliant Tizi Ouzou à Larba n’Ath Iraten mérite de figurer en bonne place sur les circuits touristiques.

    Le visiteur est accueilli à l’entrée de Larba n’At Iraten par une réplique des meules anciennes de moulin à huile. Quelques dizaines de mètres plus loin, une large plaque commémorative en marbre collée sur un mur rappelle, dans les trois langues kabyle, arabe et française, la résistance des At Iraten durant la colonisation française.
    Larba n'At Iraten: la cime des chemins qui montent

    La France coloniale a mis 27 ans après l’invasion de l’Algérie pour conquérir la Kabyle, faire tomber la forteresse de Larba n’At Iraten.  Elle a mobilisé, pour ce faire, autant d’hommes – 35.000 soldats environ commandés par 12 généraux, selon des officiers de l’armée coloniale de l’époque  – qu’elle avait utilisée lors de son débarquement à Sidi Fredj, le 14 juin 1830. Un auteur français de l’époque écrivait que « l’histoire impartiale est la pour dire que c’est injustement, c’est par un véritable abus de la force que la contrée a été attaquée et soumise ».

    Larba n’At Iraten est tombé le 24 juin 1857, après une bataille sanglante à Icherriden. Une bataille qui avait fait de nombreux morts, d’un côté comme de l’autre. Le nombre des victimes varie d’une source à une autre, d’un auteur à un autre. La forte résistance des autochtones avait  été reconnue par les envahisseurs. Les Kabyles avaient le droit d’être fiers de la résistance qu’ils avaient opposés à leurs adversaires, relevait le général Donop dans un livre intitulé « Lettres d’Algérie » édité en 1908 à Paris. Quatorze ans plus tard, lors du soulèvement de 1871 précisément, une autre bataille, aussi sanglante que la première, fut livrée aux troupes dirigées par le général Lallemand au même endroit. La stèle actuelle reflète cette résistance.  Elle est élevée sur l’emplacement d’un ancien monument dressé en 1895 par les autorités coloniales françaises en hommage à leurs troupes.

    Larba n’At Iraten était considéré par la France coloniale comme un point stratégique très important. Ce qui expliquait l’acharnement de ses troupes pour l’occuper. Sa chute avait d’ailleurs été qualifiée « d’épine plantée dans l’œil de la Kabylie. » Une jeune femme, âgée d’à peine 27 ans, Lalla Fadma n’Soumeur, surnommée par le maréchal Randon la « Jeanne d’Arc du Djurdjura »,  avait joué un rôle prépondérant lors de la bataille d’Icherriden. Capturée puis déportée et mise en résidence surveillée à Béni Slimane, dans la région de Médéa, elle mourut à l’âge de 33 ans. Reconnue résistante nationale en 1994 par les autorités algériennes, ses restes sont inhumés depuis au Carré des Martyrs du cimetière d’El Alia, dans la banlieue est d’Alger. Un musée dédié à sa mémoire est aménagé au village Takhlijt n’At Atsou, lieu de sa dernière résistance et de sa capture.

    Larba n'At Iraten: la cime des chemins qui montent

    L’autre personnalité reflétant la résistance des At Iraten contre la France coloniale était Abane Ramdane. La statue de cet architecte de la lutte de libération nationale trône au centre de Larba n’Ath Iraten.  Un musée est édifié à sa mémoire à Azouza, son village natal.

    Larba n’At Iraten possède une histoire fabuleuse. Mais, le présent est fait de morosité, de monotonie pour les jeunes. Les activités culturelles et artistiques sont très rares. Même l’évasion virtuelle, via Internet, leur est interdite en raison du faible débit de la connexion.

    M. A. H


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  • « C’était bien la peine de vivre ! », s’exclamait Florence-Léonide Charvin avant de rendre son dernier souffle dans sa villa, située dans l’une des plus petites ruelles du quartier du Télemly, à Alger.  Célébre tragédienne qui avait marqué son époque, Florence-Léonide Charvin était plus connue sous son nom d’artiste AGAR. Née le 18 septembre 1836 à Saint-Claude, dans le Jura (France), elle avait rendu l’âme chez elle à Alger le 15 août 1891 et inhumée le 31 du même mois de la même année au cimetière de Montparnasse à Paris.
    Mme AGAR, célèbre tragédienne « dégagée » de  la Comédie Française (1871)
    Elle avait connu une carrière artistique prodigieuse aux côtés de Rachel et de Sarah Bernhardt. Une carrière, malheureusement, brisée par la Comédie Française qui lui reprochait d’avoir chanté La Marseillaise lors d’un concert organisé par le gouvernement de la Commune (1871) au profit des victimes de la Commune.  « C’était un crime dans ce milieu très talon rouge de la Comédie Française qui n’a jamais caché sa prédilection pour les anciens régimes », écrivait en 1912 Ernest Mallebay, directeur de l’hebdomadaire les Annales Africaines paraissant à Alger (1912).
    Réadmise à la Comédie française, Agar claqua une nouvelle fois la porte de l’illustre institution et entrepris des tournées en France et en Europe.
    C’était sur scène, lors d’une représentation où elle déclamait Le Cimetière d’Eylau de Victor Hugo, en 1890, qu’elle fut frappée par la paralysie. Elle avait 58 ans. Venue s’établir à Alger avec son époux, elle rechuta une deuxième fois.  Alitée pendant trois jours, elle avait perdu l’usage de la parole et ne bougeait plus. Mme AGAR, célèbre tragédienne « dégagée » de  la Comédie Française (1871)
    « La mort secourable passa ; elle éteignit la petite veilleuse tremblotante dans cette âme qui faisait effort pour dégager ses ailes et s’envoler dans l’espace éthérés où cette prêtresse d’un Art immortel nous avait emportés si souvent », écrivait son ami Ernest Mallebey dans le même hebdomadaire.
    « Pitoyable à toute les infortunes, elle ne laissait jamais partir sans réconfort le malheureux qui s’adressait à elle », selon M. Mallebey. Une plaque en marbre, datant de 1917, dédiée à sa mémoire est toujours visible sur une façade de son ex-villa transformée aujourd’hui en jardin d’enfants.


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  • Il y a l’air, il y a la musique. Parfois, les deux ne sont pas sur le même tempo, sur la même gamme. C’est le cas pour le plan stratégique de développement d’Alger. Il y a une fausse note entre le plan et le travail réalisé sur le terrain. Les travaux portant sur la rénovation des immeubles et la réfection des trottoirs sont « artistiquement » bien bâclés, parfois inachevés. A la rue Mourad Didouche (ex-Michelet), principale artère de la ville (près du cinéma Algeria), le trottoir de droite est dallé tandis que celui de gauche est bitumé. Ce que prévoit le Plan…

    Le projet semble être bien ficelé. Du moins sur le papier. Son intitulé : Plan stratégique de développement d’Alger. Sa réalisation s’étalera sur 28 ans, de 2011 à 2029. L’objectif est de donner à la capitale algérienne, qui compte au bas mot 3,5 millions d’habitants, les contours d’une ville moderne où il fera bon vivre, attractive aussi bien pour ses habitants que pour des artistes, touristes et autres éventuels investisseurs. Une cité du 21ème siècle, qui s’inscrit dans la nouvelle géographie des métropoles mondiales qui est en train de se dessiner, selon les promoteurs de ce plan adopté par le gouvernement en 2011.

    Evidemment, le projet ne consiste pas seulement à procéder à la réfection des trottoirs, au badigeonnage des façades des immeubles décrépits, à repeindre les passages protégés des artères, à nettoyage les espaces publics et à réaménager les jardins. Ces opérations sont utiles et nécessaires. Mais le programme est beaucoup plus ambitieux que ces travaux d’embellissement. Il vise une totale transformation d’Alger, une restructuration et une requalification de la ville et de sa périphérie. Un passage obligé pour lui permettre de devenir un centre d’activités à valeur ajoutée dans les secteurs du commerce, de la finance, de l’immobilier, du tourisme, des télécoms, des technologies et dans bien d’autres domaines. C’est du moins l’objectif assigné à ce vaste plan.
    Alger : contours d’une future ville moderne
    La réalisation, loin de la ville, d’un nouveau port en eaux profondes, l’aménagement des berges de la baie d’Alger que la nature a façonné en forme de fer à cheval, l’augmentation des capacités d’accueil en passagers et en appareils de l’aéroport, la construction de plusieurs infrastructures culturels et sportives dans la périphérie de la ville, le développement du réseau ferroviaire et des autres moyens de transports (terrestres, aériens et maritimes) s’inscrivent dans cette optique. Ils devraient faire d’Alger un important hub, estiment les responsables de la ville.

    Les transformations sont déjà en cours, visibles, au niveau de la façade maritime de la wilaya (département) qui s’étend sur une cinquantaine de kilomètres, de Cap Caxine à l’ouest jusqu’au Lac de Reghaïa à l’est. Les petits ports de plaisance et les plages situés sur la baie d’Alger sont en travaux. C’est le cas de la plage et du petit port de Raïs Hamidou (ex-Pointe Pescade), à l’ouest de la ville, et des plages fétiches de R’mila, d’El-Kettani et de Qaâ Sour, dans le quartier populaire de Bab El-Oued. L’ancien site touristique de la pêcherie, qui abrite de nombreux restaurants spécialisés dans le poisson et les fruits de mer, situé en plein cœur de la ville, connaîtra, lui aussi, de gros aménagements. Ce qui lui permettrait de retrouver ses lettres de noblesse d’antan.

    La réhabilitation et la sauvegarde du Vieil Alger, la Casbah, figurent dans ce nouveau plan d’aménagement d’Alger. C’est aussi le cas pour tous les quartiers de la ville. Les dizaines de salles de cinémas abandonnées, livrées aux rats depuis de longues années vont être réhabilitées. Le centre de la capitale est sens dessus-dessous. Des travaux portant sur la réfection des bâtiments et des trottoirs, l’installation de nouvelles conduites de gaz et d’électricité ainsi que la réparation et le changement des conduites des eaux usées et de pluie sont en cours.

    Autrefois fréquentés par quelques téméraires pêcheurs à la ligne et des marginaux, les berges des « Sablettes », où Charles-Quint avait perdu la moitié de la sa  flotte et de ses hommes en 1541 pour cause de tempête, ont complètement changé de look. Elles constituent aujourd’hui un lieu d’attraction et de distractions pour des familles algéroises. Complantés de palmiers, le site offre aux visiteurs une promenade longue de plus de 3,5 km sur les  bords de la Méditerranée, des pistes de footing, des terrains de sports, des espaces de détente et de repos ainsi que différents aires de jeux pour enfants : toboggans, balançoires, trampolines  etc.

    Alger : contours d’une future ville moderne Les « Sablettes » drainent aussi  des familles des villes et villages des régions limitrophes de Boumerdès et Blida. Leur proximité avec la gare routière et la station des taxis inter-wilayas (interdépartementaux) y est pour beaucoup dans la grande affluence des visiteurs. Elles ne sont pas loin non plus de la future Grande mosquée d’Alger en construction et du Musée de l’Afrique en projet. Les « Sablettes » semblent faire partie du futur quartier culturel et artistique d’Alger. Celui-ci doit réunir le quartier de Riadh El-Feth qui abrite le monument aux morts de la guerre d’indépendance, deux Musées dédiés à la même période ainsi que diverses infrastructures culturelles et commerciales, le Bois des Arcades sous lequel blottissent les restaurants huppés d’Alger, une superbe villa mauresque connue sous le nom de Dar Abdeltif transformé de 1907 à 1962, durant la période coloniale,  en Villa Médicis, le Musée national des beaux-arts et la Bibliothèque nationale d’Algérie.

    La grotte de Cervantès se trouve dans le même périmètre. Captif pendant cinq ans, de 1575 à 1580, des Corsaires turcs qui avaient mis main basse sur Alger, l’auteur de Don Quichotte de la Manche et de La vie à Alger, Miguel de Cervantès de Saavedra, s’y était réfugié dans l’espoir, vain, d’échapper à ses geôliers.

    L’autre projet phare du Plan stratégique de développement d’Alger, le plus lourd en matière d’investissement (38 milliards de DZ) concerne la dépollution de l’oued El-Harrach et l’aménagement de ses berges sur environ 18 kilomètres. Les travaux ont démarré. Ils portent sur l’épuration de ses eaux, la réalisation de jardins avec des allées ombragées, l’aménagement de pelouses, de promenades, de pistes cyclables, de parcours de jogging, d’aires de jeux, de plages artificielles, d’espaces de loisirs et de détente.

    Alger : contours d’une future ville moderne
     
    Mais, en attendant la réalisation de tous ces projets, dont la concrétisation est liée à l’évolution du baril de pétrole, Alger-la-blanche offre déjà au visiteur une multitude de monuments historiques, de sites touristiques et de curiosités qui méritent un détour. Celui qui vadrouille une seule fois à travers ses artères et quartiers « garde en lui un inoubliable souvenir et un ardent désir de le revoir », soulignait, déjà en 1860, Charles Dubois, dans une « Notice sur Alger ». Ce jugement est valable aujourd’hui. Le touriste ou le visiteur est surpris, à chaque coin de rue, à chaque détour par une statue, une sculpture, une figurine, une belle façade ornée de stucs, un portique, un bout de balcon agrémenté de faïences ou une porte d’entrée ciselée d’un immeuble. Alger est un véritable Musée à ciel ouvert, mais ignoré par les promoteurs touristiques locaux et étrangers. Il était classé, entre le milieu du 19ème et les deux premières décennies du 20ème siècle, parmi les meilleures villes d’hivernage, accueillant des milliers d’Européens, dont des Anglais a qui on doit  la construction de plusieurs superbes villas néo-mauresques, encore debout, sur les hauteurs de la cité, notamment du côté des quartiers du Télemly, du Palais du Peuple et d’El-biar.

    Il est vrai que l’Algérie est l’un des rares pays des berges de la Méditerranée à avoir délaissé l’activité touristique qui se décline pourtant en trois formules et sur toute l’année : balnéaire, saharienne et climatique. Beaucoup reste à faire pour placer le pays sur les tablettes des destinations touristiques.

    M.A. Himeur


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  • Par: Mohamed Arezki Himeur
    Publié dans Algérie Confluences, 2013 (actualisé)

    « Je ne sais pas. » Sur une trentaine d’habitants interrogés, seul un connaissait le centre de torture d’El-Biar durant la guerre d’indépendance. Il s’agit d’un ancien moudjahid (combattant), 80 ans bien tassés, rencontré à l’intérieur de la permanence de l’Organisation des Moudjahidine. Un local dont les murs sont tapissés de coupures de presse et de portraits des martyrs de cette période. Les autres n’ont aucune idée du sinistre « Centre de tri » où les parachutistes du 10
    ème
    RP du général Massu pratiquaient la « gégène » à grande échelle.

    Beaucoup ignorait même son existence, alors que des centaines, voire des milliers de prisonniers algériens et des français favorables à l’indépendance de l’Algérie y furent, durant des années, atrocement torturés, parfois à mort. Comme c’est le cas de maître Ali Boumendjel, avocat à la cour d’Alger, et du mathématicien Maurice Audin. Pour tenter de faire parler Mohamed Touri, le célèbre comédien, les tortionnaires de Massu avaient torturé son épouse devant lui.

    Henri Aleg, directeur du quotidien communiste Alger Républicain rapporte dans le détail, dans son  livre « La Question », les épouvantables sévices infligés aux prisonniers transitant dans ce « Centre de tri ». Il fut, pour beaucoup d’entre eux, l’antichambre de la mort. L’immeuble témoin est toujours là, sur l’avenue Ali Khadja (ex-Georges Clémenceau), pas loin de l’ex-Monoprix, de l’autre côté de la rue. Il était en construction à l’époque des faits. Cependant, aucune plaque rappelant ces « bienfaits de la colonisation et de la civilisation » n’est apposée, par devoir de mémoire, au dessus de la porte d’entrée ou sur la façade de la bâtisse.

    Raïs Hamidou est passé par là

    El Biar est l’un des plus anciens quartiers d’Alger. Il a été érigé en commune de plein exercice en 1870, en même temps que Bologhine (ex-Saint Eugène) et Bouzaréah, sur les hauteurs de la ville. Il fut, du temps des Turcs, le quartier résidentiel de consuls et autres représentants diplomatiques européens auprès de la Régence turque. « A proprement parler, El-Biar n’est pas un village, c’est une agglomération compacte de villas élégantes et de splendides maisons mauresques.  Avant la conquête, tous ces environs étaient la résidence habituelle des consuls de diverses nations européennes », relevait l’Association française pour l’avancement des sciences lors de son congrès de 1881 à Alger.
    Il fut un « joli village » réunissant des « villas riches et élégantes » et des « maisons mauresques luxueuses et coquettes », pouvait-on lire dans un livret sur Alger édité en 1893. Trente cinq ans auparavant, un guide d’Alger et ses environs (1863) indiquait déjà qu’El Biar était « moins un village qu’un vaste quartier de beaux jardins dont les sites enchanteurs sont peuplés de villas élégantes, de magnifiques maisons mauresques et de fermes considérables ».

    La Villa des Oliviers, actuelle résidence de l’ambassadeur de France, et la Villa du Traité figurent parmi ces belles bâtisses. « C’est ici que les Turcs nous ont vendu aux Français », dira, en souriant, un employé de l’hôpital d’El Biar. Il faisait allusion au traité de capitulation du dey Hussein devant les conquérants français en 1830. C’était dans la Villa du Traité que fut rédigé l’acte de reddition du dernier Dey d’Alger.

    ALGER - El-Biar: le quartier de la "Question"Construite, semble-t-il, vers la fin du 17
    ème
    siècle, cette somptueuse villa fut attribuée en 1804 par le dey Mustapha Pacha au célèbre corsaire algérien Raïs Hamidou, après sa promotion au grade d’Amiral de la frotte maritime ottomane basée à Alger.  Elle était devenue, par suite, le quartier général du comte de Bourmont, général en chef du corps expéditionnaire français en Algérie, après l’expulsion de la famille de Raïs Hamidou. La villa, sise dans l’enceinte de l’hôpital d’El Biar, est dans un triste état. Elle est abandonnée et livrée aux aléas du temps et des intempéries.

    Ham Nghi, le roi déporté

    C’est dans l’une des anciennes villas parsemant le chemin 39 de Mustapha, actuel cheikh Bachir El-Ibrahimi, reliant l’ancien quartier de la colonne Voirol à El-biar, que fut interné le roi Ham Nghi, plus connu sous le nom de prince d’Annam. Symbole de la résistance contre la France coloniale dans son pays, l’actuel Vietnam, le prince Ung-Lich, son vrai nom, intronisé roi (du 2 août 1884 au 5 juillet 1885) à l’âge de 14 ans après le décès de son père, fut arrêté en 1888 et déporté à Alger en janvier 1889 où il y fut soumis à une « humiliante surveillance », allant jusqu’à la lecture de tout son courrier, selon un journal de l’époque. La surveillance fut ensuite levée, plutôt allégée, au cours des premières années de la décennie 1900, sous Charles Jonnart, alors gouverneur général de l’Algérie. Cette mesure était intervenue à la veille de son mariage le 10 novembre 1904 avec Melle Laloe, fille d’un président de la chambre de la cour d’Alger.
    Mort dans sa résidence à El Biar où il s’adonnait à sa passion, la peinture, le roi Ham Nghi n’était jamais été autorisé par les autorités françaises à se rendre, ne serait-ce qu’en visite éclaire, dans son pays natal. Mieux : les autorités coloniales opposèrent un net refus à sa demande de lui ramener ses deux jeunes neveux pour lui tenir compagnie, avec qui il pouvait parler du pays, échanger quelques mots dans sa langue maternelle.

    Ham Nghi avait vécu
    le même triste sort que le roi du Bénin, Béhanzin, exilé en Algérie après sa défaite et son arrestation par les forces coloniales françaises à la fin du 19ème siècle. Mort dans une chambre d’hôtel à Alger en 1906 et enterré à Bologhine, ses restes n’avaient été rapatriés au Bénin (ex-Dahomey) qu'en 1928. La reine Ranavalona III de Madagascar avait « goûté » aux mêmes « bienfaits de la colonisation et de la civilisation ». Elle avait rendu son dernier souffle à Alger au début du 20ème siècle sans avoir revu une dernière fois son île natale.


    L’admirable baie d’Alger en perspective

    Le balcon Saint-Raphaël, classé site pittoresque dès le début des années 1930 par le Conseil municipal de la ville d’Alger, est peu connu des Algérois et des étrangers vivant ou de passage dans la capitale. Il offre pourtant une admirable vue sur la baie d’Alger. Le terrain, qui s’étendait initialement sur mille cent (1.100) mètres carrées, avait été acheté par la commune d’El Biar à la société du Claridge. Les travaux d’aménagement de l’endroit avaient été engagés à la même période. Ils portaient sur la l’aménagement de la terrasse dans la partie haute et la réalisation d’un jardin public dans la partie base de la falaise, là ou cinq petits garçons du quartier de la grande Poste d’Alger furent assassinés par des islamistes armés durant la « décennie rouge ».

    Les salles obscures d’El Biar ont changé d’activité. Tout en gardant son appellation de Cinéma d’El-Biar, l’ex-Rex, ne programme plus de films. Il est devenu une salle de spectacles et de conférences, après avoir été agréablement aménagé par l’APC. El-Feth, ex-Beaulieu, situé sur la même avenue Ali Khodja, dont le hall est tapissé de coupures de presse sur la guerre d’indépendance et de portraits de martyrs, a troqué son statut de cinéma au profit de celui de salle des fêtes. Ainsi va le 7ème Art en Algérie…

    La place Kenendy (ex-Carnot), sur laquelle est érigé un monument à la mémoire des martyrs du quartier de la guerre de libération nationale, est inévitable. Toutes les grandes artères y débouchent. C’est le centre nerveux d’El Biar. Il est entouré du siège et des annexes de l’APC, du marché couvert, de la mosquée, d’une église transformée en centre culturel et de deux librairies. Le centre commercial creusé sous la placette a défiguré l’endroit. L’avenue Ali Khodja, artère principale, compte encore quelques « constructions à visage humain » : un rez-de-chaussée et un étage. Mais leurs  jours sont comptés. Car, des immeubles à plusieurs étages commencent déjà à pousser à proximité.

    M.A.Himeur


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    Par Mohamed Arezki Himeur,
    Publié dans Algérie Confluences, mars 2013

     

    Laâqiba. C’est la zone populeuse du quartier de Belcourt à Alger. Son nom rappelle une date historique de la guerre d’indépendance. Celle des manifestations, réprimée dans le sang par les forces coloniales, du 11 décembre 1960. Des manifestations qui avaient vu les habitants de cette zone et des quartiers limitrophes déferler sur le «Belcourt colonial », la partie européenne du quartier, pour  dire stop à la colonisation, crier haut et fort leur revendication : l’indépendance.

    Un imposant mémorial érigé à la mémoire des dizaines de victimes de la répression qui s’en était  suivie est visible, aujourd’hui, en contrebas de Laâqiba, sur l’avenue Mohamed Bélouizdad (ex-rue de Lyon). Ces manifestations, ayant fait tâche d’huile à travers le pays, avaient sonné définitivement le glas de la France coloniale en Algérie. Elles avaient dévoilé, aussi, à la face du monde, son visage monstrueux et sanguinaire. Comme le prouve la longue liste de noms des victimes gravés sur le mémorial. Un massacre. Un de plus. Un de trop, répercuté à travers le monde par les médias de l’époque.

    Pendant la période coloniale, Laâqiba, fut ghettoïsée. Le quartier vivait en marge de la partie européenne de Belcourt. Il avait ses propres mœurs et coutumes, ses boutiques, son marché et ses cafés maures. Son seul lien, ténu, avec « Belcourt colonial », étaient ses ouvriers employés dans les usines, fabriques et autres ateliers du quartier. Les colons s’y étaient installés depuis le milieu du 19ème siècle. Mais l’existence de Laâqiba, construite sur le flan de la montagne, était bien antérieure à celle du quartier européen. Elle abritait, selon la légende, des disciples de Sidi M’hamed Ben Abderrahmane Bou-Qobrin, fondateur de  la confrérie religieuse Rahmaniya.

    Laâqiba était, pendant la colonisation puis depuis l’indépendance, l’un des quartiers les plus fréquentés d’Alger. Il attirait, quotidiennement, beaucoup de monde. Certains venaient y faire des achats, s’approvisionner en fruits et légumes chez les marchands du coin. D’autres pour musarder, traînasser sans but précis, farfouiller dans les amas d’objets hétéroclites déballés parfois à même le sol.

    L’Arche à-vau-l’eau

    Parce qu’à Laâqiba, dans ses petites échoppes et ses étals de fortune, on trouvait de tout et à des prix accessibles aux petites bourses.  Les prix des fruits et légumes étaient inférieurs à ceux pratiqués ailleurs, dans d’autres endroits d’Alger. Le quartier tirait sa célébrité surtout de son « dlala », marché aux puces. Il était, jusqu’à ces dernières années, le quartier fétiche des Algérois.  Il ne l’est plus aujourd’hui. Il a perdu de son lustre d’antan. Ses bâtisses partent en lambeaux. C’est l’ache à-veau-l’eau. Certaines sont déjà à terre, d’autres complètement délabrées. Leurs jours sont comptés.

    Laâqiba subit la même tragique destin que la Casbah d’Alger. Négligée et oubliée depuis l’indépendance en 1962, Ignorée et dédaignée durant la période coloniale, parce qu’elle était un « village arabe », un quartier « indigène », elle n’a jamais, pour ainsi dire, connu des jours heureux, « une vie meilleure », pour reprendre une expression cher au FLN lorsqu’il était (il l’est toujours) seul maître à bord du bateau Algérie.

    En avril 1910, un élu « indigène » relevait, au cours d’une réunion du Conseil municipal de la ville d’Alger, que Laâqiba était « abandonnée » et ses ruelles se trouvaient dans « un mauvais état », alors que le quartier prenait une «grande extension » et se développait « rapidement ». Il avait demandé à la Mairie « de procéder à la mise en l’état de viabilité de ses rues et à leur classement ». Sans résultats.

    Treize ans plus tard (1932), un autre élu musulman soulignait, en pleine séance du Conseil municipal, que Laâqiba était « complètement dépourvu de canalisations d’eau ». Un autre membre de ce Conseil fut contraint par les habitants de Laâqiba, en 1939, de se rendre dans leur quartier « pour constater de visu l’état d’infection » dans lequel se trouvaient ses ruelles.

    Circulez, y a pas photo

    Belcourt fut, dès les débuts du siècle dernier, le quartier industriel d’Alger. Il abritait de nombreuses usines, des fabriques, des ateliers, les écuries de la société des Messageries (transports public et marchandises) fondée en 1885. Il abritait aussi les fameuses Halles centrales d’Alger. Construit en 1930 sur le site des abattoirs, ce marché de gros de fruits et légumes avait été rasé dans les années 1980, donnant naissance à une forêt de buildings qui obstruent la vue panoramique de la baie d’Alger.

    Dans le cas de Belcourt, Laâqiba comprise, les mots transformation, mutation et évolution n’ont pas le même sens qu’ailleurs. Du moins pour  l’instant.  Le quartier donne l’impression d’être livré à lui-même. Les bâtisses s’effondrent les unes après les autres. Le tissu urbain est sérieusement détérioré. Son avenir est brumeux.

    « Les habitants de Belcourt sont particulièrement gâtés : souvent, ils ont  deux beaux  films à voir, tandis que les Algérois du centre n’en ont jamais qu’un seul. Les uns ont le plaisir de la première vision, les autres la joie de pouvoir jouir d’un programme plus copieux », pouvait-on lire dans une édition de l’hebdomadaire « Les spectacles d’Alger » d’avril 1936.

    Qu’en est-il aujourd’hui ? Circulez, il n’y a rien à voir. « Y a pas photo », comme dirait l’autre. Les Mondial, Roxy, Camera, Select, Shahrazade n’existent plus. Les salles obscures ont rejoint les ténèbres. Elles ont disparu les unes après les autres. Elles ont été soit rasées, fermées ou transformées. Le Musset est en chantier. Mais on ne sait pas qu’elle destination -- cinématographie, culturelle ou commerciale -- prendra la future bâtisse.

    Le vaste local de l’ex-Monoprix, qui occupe le rez-de-chaussée d’un bâtiment, est converti en agence bancaire. La bâtisse du 93 rue Mohamed Bélouizdad, où résidait le père de « L’étranger », le prix Nobel Albert Camus, qui pourrait servir d’attraction touristique, offre une image pas belle à voir. Rien n’est fait, jusqu’ici, pour  promouvoir et rentabiliser, du point de vu touristique, la grotte de Cervantès, percée sur le flan d’une falaise à quelques centaines de mètres de la partie haute de Laâqiba. « L’avenir de Belcourt ? Dieu seul le sait », dira Ammi Mahmoud du haut de ses 82 ans.

    M.A. Himeur

     

     

     


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