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Plage Franco : un site mythique qui draine une foule de baigneurs



Ceux qui l'ont connue, fréquentée, foulée son sable fin, marché sur sa jetée, plongé dans son eau, « bu la tasse », en parlent avec amour, une pointe de nostalgie et, parfois, avec petit pincement au cœur.

La plage Franco de Raïs Hamidou (ex-Pointe Pescade), sur le littoral ouest de la capitale, fait chaque jour le plein. Elle fait partie des plages mythiques de l'Algérois. Ceux qui l'ont connue, fréquentée, foulé son sable fin, marché sur sa jetée, plongé dans son eau, « bu la tasse », en parlent avec amour, une pointe de nostalgie et, parfois, avec petit pincement de cœur. Parce que l'endroit a subi quelques dégradations. L'homme et les inondations sont passés par là. Mais elle demeure toujours, et certainement pour très longtemps encore, une plage qui draine des estivants et autres amoureux de la grande bleue.

La plage Franco a constitué pour des générations d'enfants d'Alger et de sa périphérie la « seconde étape » de leur « vie marine ». C'est ici qu'ils venaient après avoir, tout petits, accompli leur premier baptême de l'eau et fréquenté El Kettani (ex-Padovani) et R'mila à Bab El-oued, deux autres plages mythiques de l'Algérois.

Aujourd'hui encore, la plage Franco est très fréquentée. Elle attire, chaque jour pendant la saisons estivale, des centaines d'estivants d'Alger et de ses quartiers et localités limitrophes. Certains jours, notamment les week-ends, la plage est bondée de monde. Les parasols et les serviettes sont collés les uns aux autres tellement l'affluence est forte. Les femmes et les jeunes filles qui ont disparu de Franco durant les années rouges de 90, sont revenues. Elles sont généralement accompagnées par des enfants ou l'époux.

La plage Franco est propre, mais seulement le matin. Elle est nettoyage chaque jour, avant l'arrivée des estivants, par des agents de l'APPL. Mais le manque de civisme fait que le site devient, dès le début de l'après-midi, une sorte de porcherie. Le mot est juste. Des sachets, des bouteilles en plastique, des boites de fromage vides, du papier d'emballage, des cannettes, des gobelets en plastique sont abandonnés sur les lieux par des estivants. C'est affligeant ! « Le plus rigollot dans tout ça, c'est que les mêmes personnes qui ont abandonné ces déchets viendront quelques heures plus tard ou le lendemain vous balancer, sans rire, à la figure que la plage est sale », dira un employé de l'APPL rencontré sur les lieux. « Pourtant, ajoute-t-il, des poubelles sont installées sur tout la longueur de la plage ».

Des policiers en short et puls blancs et des agents de la protection civile portant la même tenue mais de couleur rouge, ce qui distinguent les uns et des autres, sont présents en permanence à Franco. Ils ont leurs quartiers sur place pour la durée de la saison estivale. Ils sillonnent la plage pour assurer la sécurité des estivants. En dépit de quelques « fausses notes », telle que les déchets semer sur le sable, l'ambiance est conviviale. Les estivants donnent l'impression de se connaître. A force de fréquenter cette plage, depuis parfois plusieurs années, ils ont fini par nouer des liens d'amitié. « J'aime bien cet endroit. J'habite Télemly, mais je viens ici chaque fois que j'ai un peu de temps libre pour me détendre, me balader sur la jetée et échanger quelques mots avec les pêcheurs et les badauds », nous confie Si Ouali, un retraité d'un peu plus d'une soixantaine d'années. « On étouffe à Alger. La vie est devenue insupportable à cause des bruits de toutes sortes », relève-t-il. « Les retraités sont maltraités », ajoute-t-il avec une pointe d'humour.

C'est vrai qu'il n'y a pas que des estivants qu'on rencontre à Franco. Certains viennent juste pour passer le temps en contemplant le bleu azur de la Méditerranée, à partir de la jetée ou de l'artère surplombant Franco. La plage, qui a la forme d'une baie, dispose d'une surface de 2.184 m2, sur une longueur de 114 mètres et une largeur de 21 mètres. Elle peut accueillir au même moment près de 600 estivants, selon l'Agence pour la promotion et la protection de littoral algérois (APPL).
La jetée qui lui fait face est l'endroit préféré et apprécié par les garçons et les adolescents. L'eau y'est plus propre et profonde, donc idéal pour la plongée. D'autres enfants optent pour les quatre imposants piliers plantés en file indienne en prolongement de la petite plage mitoyenne de La Rascasse. Ces gros blocs servaient, autrefois, de supports pour la voie ferrée du train de la cimenterie. Car, jusqu'aux années 50, le ciment était transportait par voie maritime. Aujourd'hui, ces pilastres, rongés par les vagues, servent de plongeoirs pour les baigneurs.

« On enregistre de temps à autre de graves accidents dans cette zone. En plongeant du haut de ces piliers, des baigneurs courent le risque de se cogner la tête contre les rochers qui tapissent les profondeurs de la plage », selon Malek, un enfant de Raïs Hamidou. « Il y a en réalité trois plages dans cette zone. Il y a Franco, la plus connue, mais aussi La Rascade et la plage du Club nautique », dit-il. Ces deux dernières plages, séparées par les fameux les piliers de l'ex-voie ferrée, sont interdites à la baignade, parce que pollution. La première par des eaux des rivières descendant des monts de Bouzaréah et la deuxième par des déchets de la cimenterie. Elles sont faiblement fréquentées par les baigneurs. La plage du Club nautique était déserte lors de notre passage. Il y'avait tout juste six adolescents en train de jouer une partie de football.

« L'eau n'est pas propre ici. Elle est polluée », dit l'un d'eux, en pointant un index sur une rigole d'eau blanchâtre provenant de la cimenterie. L'eau des rivages de la plage est de la même couleur et s'étend sur au moins deux mètres de large le long de la plage.
Par contre, de l'autre côte de la jetée de la plage Franco, du côté des rochers, le décor est tout autre. « Regardez cette eau. Elle est tellement limpide et propre qu'on peut voir les poissons danser à plusieurs mètres de profondeur », dit Kamel, un enfant de Bologhine, étudiant à l'université de Bab Ezzouar. « La mer, c'est l'avenir de l'Algérie. Le pays, avec ses 1.200 km de côtes, peut vivre à l'aise du secteur du tourisme et des richesses de la mer. Dommage que les responsables continuent de tourner le dos à l'un (la mer) et aux autres (ses richesses). Résultat : des Algériens passent leurs vacances en Tunisie ou ailleurs et nos poissons meurent de vieillesse faute d'une véritable flotte de pêche », constate-t-il.

La mer c'est le dada, la spécialité de Djamel Chaouch, qui enseigne, depuis de longues années, la plongée sous-marine, le secourisme et le sauvetage en mer. Il est aussi secrétaire général de Cœur Bleu d'Alger, une association scientifique fondée début août pour protéger l'écosystème, développer l'activité subaquatique, aider les scientifiques à découvrir le milieu marin et réaliser des documentaires sur ce milieu afin de sensibiliser la population sur les dangers de pollution de la mer.

Des déchets non biodégradables

Le 8 août, cette association avait organisé une opération de nettoyage à la plage Franco. Les plongeurs ont retiré de la mer, en l'espace de 45 minutes, l'équivalent de deux camions de déchets composés entre autres de pneus, de bouteilles, de cannettes, de sachets et jerricans en plastique etc. « Ca fait mal au cœur de voir ça », dira M. Chaouch. Les déchets retirés du ventre de la mer ne sont pas tous biodégradables. Il nous apprend que le petit sachet en plastique de quelques grammes fournit par les marchands de fruits et légumes met près de 400 ans – oui, 4 siècles – pour disparaître, se dissoudre. « Ce sachet détruit la faune et la flore sur un rayon de 4 mètres, parce qu'il dégage des toxines. Ce n'est pas gentil de le dire, mais la mer est devenu une poubelle », selon M. Chaouch.

La côte algéroise est touchée par la pollution. « Il faut la protéger », souligne-t-il. Aujourd'hui, cette protection est assurée par une planté marine qui lui procure plus de 70% de l'oxygénation. « C'est grâce à cette plante que certaines espèces de la faune et de la flore survivent. Le poisson a diminué, y compris la sardine, ce n'est plus comme avant », selon lui. Pour M. Chaouch, la protection du milieu marin « est une obligation morale ».

Lors du nettoyage à la plage Franco, de nombreux jeunes venus pour se baigner ont mis la main à la patte. « Ils ont participé à l'opération, ramassé avec nous les déchets. C'est le côté positif de l'opération. C'est encourageant », estime-t-il. Le Cœur bleu d'Alger envisage de multiplier les activités autour de la mer et de sa protection. « Les Algériens on tendance à tourner le dos à la mer », admet-il. « Si tu demandes à une maman si son enfant peut faire du judo, du football, elle dira oui sans trop réfléchir. Mais si tu lui parles de sport nautique, là elle refuse. Parce que dans sa tête, +lebhar yeblaâ+, la mer engloutie », ajoute M. Chaouch. La belle chanson d'El Badji illustre bien l'image qu'on se fait de la mer.

M. Chaouch a embarqué sa fille et son fils dans son amour pour la Méditerranée.  Sa fille a délaissé le judo et la natation qu'elle pratiquait jusqu'à l'âge de 12 ans pour la plongée sous-marine qu'elle pratique depuis 9 ans sous l'influence indirecte de son père. Elle est « fasciné » par la mer qui lui permet de vivre des  moments d'« évasion » et d'oublier « les tracas de la ville ». Elle étudie et pratique la plongée sous marine au Chabab riyadhi de Raïs Hamidou (CRRH) dont le siège se trouve sur la plage Franco. L'école enseigne la plongée sous marine, la chasse sous marine, le sauvetage, le secourisme et la nage avec palmes. Un vaste programme, mais les moyens font défaut. Le matériel nécessaire aux activités aquatiques exige un solide budget. Il faut au bas mot 120.000 dinars pour équiper, avec un matériel bas de gamme, un seul plongeur.

La formation théorique et pratique est assurée pour la somme de 7.000 dinars pour chacun des trois paliers. Elle est sanctionnée par un diplôme. Le CRRH propose deux formules : une bloquée et une autre le week-end. « Ce n'est pas évident pour un stagiaire de débourser une telle somme », dira Abdellah Allaf, trésorier de la section subaquatique du CRRH. Ce qui contraint les dirigeants du club à accepter la formule de « facilité de paiement » en deux ou trois versements. « Ailleurs, le coût de la formation est plus cher », dira-t-il. En dépit du coût, considéré élevé, les activités subaquatiques attirent de nombreux amateurs. Mais les moyens pédagogiques et matériels du CRRH sont limités. Les futurs élèves sont donc inscrits sur la liste d'attente.

Trait-d'union

L'attente, elle est aussi du côté du Club nautique. Ce restaurant est un lieu historique. Il est géré depuis 1963 par Ammi Kouider, un homme affable de 83 ans. Ammi Kouider est la mémoire vivante de ce lieu et des plages environnantes de Franco et de la Rascasse. Il a vu défilé dans le Club des dizaines de personnalités du monde de la culture : des écrivains, des poètes, des artistes, des hommes de théâtres et de cinéma. Le Club nautique était fréquenté par Kateb Yacine, Jean Senac, Mustapha Kateb, Sid Ali Kouiret, Rouiched et bien d'autres encore. Ils venaient soit pour se baigner, se restaurer, jouer une partie de football sur la plage ou tout simplement se détendre et bavarder entre amis.

Aujourd'hui, le Club dépérit. Les cabines réservées aux baigneurs ont disparu, emportées par les inondations. Les murs ont oublié ce qu'est une couche de peinture. Ils n'ont pas été caressés par le pinceau depuis des lustres. Les fenêtres de la belle terrasse, avec une vue imprenable sur la Méditerranée, n'ont plus de carreaux. Il ne fait pas de doute que la restauration du Club nautique pourrait donner un plus aux plages et petit port de Raïs Hamidou. S'il tient encore debout, c'est grâce aux habitués du quartier, des hommes âgés pour la plupart, qui viennent régulièrement pour siroter un café, un thé à la menthe ou une boisson gazeuse tout en admirant le beau tableau bleu azur qu'offre la Méditerranée.

Il est 20H00. La plage Franco commence à changer de décor et d'ambiance. Des familles entières débarquent sur la plage pour prendre le frais. D'autres baigneurs, des hommes, des adolescents et des enfants, ont pris le relais de ceux du jour. « Cette ambiance durera jusqu'aux environs de minuit. Tous les gens que tu vois habitent près de la plage. La plupart se connaissent. Tout le monde se connaît d'ailleurs ici, car Raïs Hamidou est une petite localité », dira un jeune plagiste. Et la plage Franco constitue, peut-on ajouter, un trait d'union pour raffermir les liens entre eux.

Mohamed Arezki Himeur

Le Cap, bimensuel, Alger
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