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Par Mohamed Arezki Himeur
Le Cap, bimensuel, Alger
Son plus
grand souhait, son vœu le plus cher serait de monter un jour, peut-être, une
opérette en Kabylie, avec un grand chorégraphe et un excellent ballet, qui se
produira dans de nombreux pays, comme l'Egypte, <st1:personname productid="la Turquie" w:st="on">la Turquie</st1:personname> ou, pourquoi pas, le
pays de l'Oncle Sam. « On a nos propres rythmes, nos propres mélodies et
nos propres accords. On peut monter une belle opérette ou un opéra, avec des
chants en Kabyle, qui fera le tour du monde. On a tout ce qu'il faut, au plan
artistique, pour réaliser un tel projet. C'est mon rêve ».
L'auteur de
ces mots, c'est Kamal Hamadi, compositeur, producteur radio, ancien chanteur, dramaturge
et comédien à l'occasion, dans ses pièces de théâtre radiophoniques. Un optimiste
jusqu'au bout des ongles. Certains de ses rêves des années 50 sont devenus réalité
aujourd'hui, comme celui de voir réaliser des films en Kabyle. C'est chose
faite. Des films ont vu le jour dans sa langue maternelle, les derniers en date
étant H'nifa de Ramrane Iftini et Mimezrane d'Ali Mouzaoui.
A 72 ans, le
22 décembre prochain, Kamel Hamadi est débordant d'énergie. Il travaille sans
relâche. Il continue encore, comme à ses débuts dans la carrière artistique qu'il
a épousé depuis plus d'un demi siècle, à écrire des chansons, des opérettes et
des pièces de théâtre radiophonique. « Il est toujours jeune, vif et
entreprenant », nous chuchotera à l'oreille son ami l'écrivain Abdelkader
Bendameche, lors de la soirée de la clôture du dernier festival chaabi organisé
durant le mois de ramadhan à Alger.
C'est cela
Kamel Hamadi. Il est constamment à l'écoute de ce qui se fait et se produit
dans le domaine de la chanson. A Alger, Paris ou ailleurs, il hante les lieux
ou vit la musique. Il suit de très près les pulsions de la chanson algérienne
dans son ensemble. Il s'intéresse à tous les genres. Il est au courant de tout
ce qui se fait aussi bien en Algérie qu'en France. Il est en mesure de vous
donner la dernière chanson mise sur le marché la veille.
Kamel
Hamadi, de son vrai nom Larbi Zeggane, est né le 22 décembre 1936 à Ath Daoud, dans
la commune de Yatafen, sur le flanc du majestueux Djurdjura. Il était encore
adolescent lorsqu'il a quitté son village natal pour aller chercher pitance en
ville. Car les montagneuses de Kabylie, hier comme aujourd'hui, n'ont jamais
nourris leurs enfants. Elles ont de tout temps été pourvoyeuses d'émigrants. C'était
au début des années 50. Après s'être rendu dans quelques villes du pays, notamment
Oran, il a décidé de jeter l'ancre, de s'installer à Alger où il a travaillé
comme apprenti couturier. Un métier qui l'a certainement aidé à toujours
chercher le mot précis, juste pour ses chansons, ses opérettes et pièces de théâtre
radiophonique dès ses débuts en 1953.
Un couturier de la chanson
L'inégalable
Slimane Azem a été pour beaucoup dans la décision de Kamel Hamadi d'embrasser la
carrière artistique. « Il nous a inoculé le vers (dduda) de la chanson
dans les veines. On voulait tous devenir des chanteurs comme lui », dira
Kamel Hamadi, qui n'a jamais raté, à l'époque, un des galas de son idole à
Alger. Slimane Azem avait donné une impulsion, un coup de fouet à la chanson Kabyle, souligne-t-il.
Montagnard
qui sait ce que « dire » signifie, Kamel Hamadi a le verbe facile et
imagé, qui sait mettre le mot qu'il faut à la place qu'il faut. Bien sûr, il a
été aidé et encouragé par certains artistes à ces débuts, notamment par Abdelkader Fethi (aujourd'hui gravement
malade et oublié), Rabie Boualem et Arab Ouzellague. C'était cette bande de
copains, amoureux de la musique, qui l'a d'ailleurs introduit à la radio. Abdelkader
Fethi a été le premier interprète de ses chansons. Celui-ci dirigeait à
l'époque un orchestre à la radio. « Il me demandait chaque semaine un
texte à chanter », nous a confié Kamel Hamadi. Il a ensuite composé des
chansons pour Karim Tahar, Rabie Boualem, Moh Akli, Arabe Ouzellague et bien
d'autres. Ils se rencontraient tous les dimanche, jour de repos de Kamel
Hamadi, pour discuter, échanger des idées, entre autres sur de la poésie, la
musique et de la chanson.
Les
chanteurs, à l'époque, se produisaient en direct à la radio. L'unique studio de
la rue Berthezène servait à la fois pour les répétitions et la diffusion en
direct des émissions. Malgré cette promiscuité, les artistes produisaient. Il y
avait une émulation et une entraide entre eux. « Ce qui fait défaut aujourd'hui »,
déplore M. Hamadi.
L'apprenti couturier
était un amoureux fou des films égyptiens. Il allait chaque soir, après le
travail, voir un film au Dounyazed ou à Djamila, deux salles de cinéma d'Alger spécialisées
dans la programmation des productions cinématographiques du pays du Nil. « Est-ce
que nous arriverons un jour à réaliser un film en Kabylie ? »,
s'interrogeait-il souvent à la sortie du cinéma.
Un beau
jour, il décide de passer à l'action. Il prend un cahier d'écolier et un stylo et
s'est mis s'initier à l'écriture. Il
rédige ce qu'il croyait être un scénario d'un film, en incorporant des chansons
de Slimane Azem, dont « A Moh à Moh » et « Atas i-savragh »
entre autres. « Mais c'est une
opérette ! », s'exclama Rabie Boualem en parcourant le texte.
« C'est quoi une opérette ? », demanda, surpris, Kamel Hamadi.
« Une comédie musicale », répondit-il. Comme M. Jourdin avec la
prose, Kamel Hamadi venait d'écrire une opérette sans le savoir. La mouture
présentait à direction de la radio comprenait ses propres chansons. Elle a été
acceptée et diffusée sous le titre de « D rrayik a si Méziane »
(c'est de ta faute, M. Méziane) sous le pseudonyme de Kamel Hamadi. C'était en
1954.
De la chanson au théâtre radiophonique
Le petit
apprenti couturier d'Ath Daoud était aux anges. Il était aussi subjugué par les
pièces de théâtre radiophonique de Mohamed Hilmi, Ali Abdoun, Mhidine Ath
Menguellat entre autres. Il a été surtout marqué par la pièce « Nnesva
thila » de Slimane Azem. Ce qui l'a guidé à produire, lui aussi, des
pièces pour la radio. Dans le même temps, il se lance dans la chanson en se
produisant, passage obligé, dans la fameuse émission « les chanteurs
amateurs » qu'animait à l'époque Cheikh Noureddine. Il a rejoint plus tard
l'orchestre d'Abdelkader Fethi. Son incursion dans le domaine de
l'interprétation a duré en tout 6 ou 7 ans, avec comme première chanson
« yidem, yidem ». L'une de ses plus belles chansons est celle
intitulée « Radhlaghd lhaq n-rekva (j'ai emprunté le coût du voyage) qui
raconte les déceptions, l'amère réalité et les mauvaises conditions de vie de
l'émigré. Elle est d'actualité encore aujourd'hui avec l'apparition du
phénomène « harga » (immigration clandestine).
La chanson
sur la fuite des cerveaux « Ma ghaven wid izawren » est un chef
d'œuvre. Elle est, elle aussi, encore d'actualité plus de 40 ans après sa
sortie au lendemain de l'indépendance. Kamel Hamadi a ensuite cessé de chanter.
« Je voulais être un bon compositeur qu'un chanteur moyen », nous
a-t-il confié.
Presque à
la même période, il bifurque vers la radio, en produisant et animant, à partir
de 1957, de très belles émissions telles que « lesrar n-ddunit » (les
trésors de la vie) qui a vécu plus d'une quinzaine d'années, entre Alger et
Paris. Certains poèmes écrits pour les besoins de cette émission ont été
chantées, des années plus tard, par des chanteurs tels que Lounis Aït
Menguellat (kraghd bdagh d-ilemzi) et Slimani (yir zwadj). Il avait aussi
produit et animé « Poème et mélodie » (de 1956 à 1958),
« Iferrahen » et « Music-hall si radio ».
Comme tous
les artistes de l'époque, Larbi Zeggane a pris le pseudonyme de Kamel Hamadi,
formé à partir de deux noms d'artistes égyptiens qu'il admirait, Kamel
Echennaoui et Imad Hamdi. Jusqu'aux années 60 et 70, l'artiste était mal vue, évité,
voir méprisé, dans la société conservatrice kabyle. Ce qui n'est plus le cas de
nos jours ou l'artiste, le vrai s'entend, jouit d'un grand respect.
L'enfant
d'Ath Daoud a, aujourd'hui, à son actif quelques 2.000 œuvres en kabyle mais
aussi en arabe interprétées par une centaine de chanteurs de plusieurs générations,
dont certains ont marqué la chanson algérienne de leur emprunte, à l'image de
cheikh El Hadj M'hamed El Anka, Youcef Abdjaoui, Karim Tahar, Abdelkader Fethi,
Boudjema ElAnkis, Hsissen, Lounis Aït Menguellat et bien d'autres.
« Cassure » entre anciens et nouveaux chanteurs
La nouvelle
cuvée de chanteurs navigue à vue, sans prendre conseils des
« anciens ». Il y a une sorte de cassure entre les nouveaux et les
anciens. Chaque chanteur travaille dans son petit coin. Pourtant, « ce
n'est pas une honte de se retrouver à 4 ou 5 pour écrire, composer une chanson.
Elle n'en sera que plus belle », dit M. Hamadi. L'explosion que
connaissent les moyens de communications exige de l'artiste une excellente
maîtrise de son travail. « Les choses ont changé. Avant, on ne pouvait
voir que la télévision algérienne. Maintenant, les gens disposent chez eux de
l'Internet qui diffuse à profusion tous les genres de musiques et de chansons,
dans toutes les langues. Le dernier d'entre nous peut capter, voir et écouter,
grâce à la parabole, des centaines de chaînes de télévision et de radio
émettant à travers le monde. Les mélomanes et les téléspectateur peuvent voir
la différence et conclure que l'Algérie est à la traîne dans domaine artistique »,
estime Kamel Hamadi. « On ne doit pas stagner. Si nos médecins sont
excellents, nos professeurs sont bons, il faudra que notre chanson le soit
aussi », souligne-t-il.
Pour relever
ce défi, l'entraide et la collaboration entre paroliers, compositeurs,
arrangeurs et interprètes sont nécessaires. « Ce jour-là, notre chanson
pourrait réellement franchir les frontières pour être écoutée en Inde ou en
Turquie », dira M. Hamadi. « Malheureusement, chez nous, le chanteur
veut tout faire lui-même : le texte, la musique, l'arrangement et
l'interprétation. C'est une maladie », déplore-t-il.
Ce n'est pas
non plus en plagiant ou en reprenant les anciennes œuvres célèbres qu'on pourra
aspirer atteindre cet objectif : celui de hisser la chanson algérienne. Ces
phénomènes (reprises et plagiat) font sortir Kamel Hamadi de son calme
habituel. Il les dénonce, comme l'ont fait d'autres chanteurs et poètes tels
que Ben Mohamed, Lounis Aït Menguellat, Hacène Ahrès et Slimane Chabi. Certains
« repreneurs » vont encore plus loin. Ils s'approprient carrément, sans
honte, les œuvres d'autres chanteurs disparus ou vivants. Pis encore, les
œuvres reprises sont dans la majorité des cas mal interprétées. Elles sont
plutôt « mâchées » que chantées, dira M. Hamadi.
« La
reprise d'une chanson exige une autorisation du compositeur ou de ses ayants
droits. De plus, la chanson doit être reprise telle quelle, en respectant et le
texte et la musique. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Les +repreneurs+ font
du n'importe quoi. Ils massacrent les œuvres reprises », constate avec
amertume Kamel Hamadi. « Pour eux, l'objectif est de vendre. Le
mercantilisme a tué la chanson algérienne », relève-t-il. Et si, par
malheur, « tu oses protester contre la reprise de ta chanson, le
+repreneur+ t'accusera, sans honte et sans gène, de vouloir le saboter. Donc,
on ferme les yeux, on bouche nos oreilles et on se tait », ajoute-t-il.
Chants anciens : la « fawdha » de la reprise
Trois
organismes peuvent et auraient du intervenir pour mettre le holà à cette
« fawdha ». Il s'agit de l'Office national des droits d'auteurs
(ONDA), de la radio algérienne et de <st1:personname productid="la Télévision. L" w:st="on">la Télévision. L</st1:personname>'une
des missions de l'ONDA est de défendre les artistes et de protéger leurs
œuvres. Lorsqu'on voit ces milliers de CD de chansons piratées vendus sur les
marchés, dans certaines boutiques des grandes villes comme Alger, ou à même le
trottoir et au vu et au su de tous, on se pose la question : que fait
l'ONDA ?
La radio et
la télévision, elles aussi, ont un rôle à jouer. Elles peuvent participer au
« nettoyage » de la scène artistique de ces prétendus
« artistes », qui ont bâti leur éphémère « carrière » sur
la reprise des œuvres de chanteurs célèbres et respectés. Des chanteurs qui ont
tout donné à la chanson sans rien avoir au retour. Elles peuvent contribuer en
interdisant, pourquoi pas, la diffusion des reprises.
Les studios
d'enregistrements et les éditeurs eux aussi sont concernés. Ils se doivent de
participer à la lutte contre le plagiat et les reprises. Ces phénomènes tuent
la création, selon bon nombre de chanteurs et paroliers. Et l'absence de
création met en danger de mort aussi leur activité. Des chanteurs rapportent
que certains éditeurs encouragent les reprises.
Mais le
vent commence à tourner. La situation évolue dans le bon sens. Les reprises
régressent. Elles n'ont plus le vent en poupe. Parce qu'il y a moins
d'acheteurs. De plus, les auditeurs et amateurs de la bonne chanson sont de
plus nombreux à protester, à fustiger les auteurs des reprises, estime M.
Hamadi. « C'est vraiment un crime de tuer, en mâchant le texte, l'âme
d'une belle chanson d'un Slimane Azem, cheikh El Hasnaoui ou Matoub
Lounès », relève-t-il.
Kamel
Hamadi a toujours été aux côtés des jeunes chanteurs. Il en a aidé beaucoup à
enregistrer, en les présentant aux « maisons de disques » (éditeurs).
Certains d'entre eux sont devenus aujourd'hui des vedettes tels que Idir,
Ferhat Imazighen Imoula, Djamel Allem, Noureddine Chenoud pour ne citer que
ceux-là. « J'ai fais ce que je pouvais faire. Je les ai aidé à obtenir ce
que moi je n'ai pas pu atteindre à mes débuts », dit-il. C'est cela Kamel
Hamadi. Hier comme aujourd'hui, il affiche toujours sa disponibilité à mettre ses
55 années d'expérience au service des jeunes chanteuses et chanteurs. Il le
fait déjà avec certains d'entre eux.