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Ait Ouabane: l'éternelle résistance
Par Mohamed Arezki Himeur
(publié en 2013 dans Algérie Confluences)
A son épouse qui lui demandait, à son retour à maison tard le soir, où il était passé de toute la journée, un taximen algérois répondit qu’il était parti en course dans un village du bout du monde. Il s’agit d’Ath Ouavane construit à près de 1.200 mètres d’altitude, sur le flan abrupt du col du même nom (Tizi n’Ath Ouavane) qui trône, lui, à environ 1.700 mètres d’altitude, sur le massif montagneux du Djurdjura, à 70 km au sud-est de Tizi Ouzou (170 km à l’est d’Alger).
Rejoindre Ath Ouavane, un des 13 villages de la commune d’Akbil, n’est pas une tâche facile. La signalisation routière fait défaut. Comme partout ailleurs en Algérie, en zones montagneuses et enclavées. Il est relié au monde extérieur par une seule route étroite, parfois impraticable en hiver, parce qu’obstruée par des montagnes de neige isolant du même coup, pendant des jours, voire des semaines, Ath Ouavane des villages environnants.
Ath Ouavane a durement souffert durant la guerre d’indépendance. Il a été l’un des premiers villages de Kabylie à faire l’objet de bombardements intenses et répétés au napalm des forces armées coloniales. Parce qu’il abritait le premier Poste de commandement (PC) des moudjahidine de la wilaya III. Le PC était installé dans la maison du défunt Dda Bélaïd, un homme respecté aussi bien par ses coreligionnaires que par les chefs des combattants de la région, y compris par le colonel Amirouche, Krim Belkacem et Abane Ramdane notamment. Arrêté et torturé, Dda Bélaïd a été tué, plutôt assassiné, par les militaires français sur la place du village, devant les habitants.
Le premier « accrochage » entre Ath Ouavane et la France coloniale remonte aux débuts du siècle dernier. Les habitants du village ont réussi à tenir tête, à faire courber l’échine à un arrogant administrateur de la commune mixte du Djurdjura basée à Aïn El-Hammam (ex-Michelet). Celui-ci a fait recours à tous les moyens répressifs de la colonisation pour déposséder et priver ce village montagneux et enclavé de sa principale et unique richesse : l’eau d’une source utilisée, depuis les temps immémoriaux, par les habitants pour l’arrosage des potagers et des petits jardins familiaux. Mais sans succès. Les habitants d’Ath Ouavane ne s’étaient pas laissés-faire. Ils ont réagi en portant l’affaire devant la justice.
Irrité par la ténacité de ces « indigènes » qui lui tenaient tête, l’administrateur les a acculés en faisant tomber sur eux « une véritable pluie de procès-verbaux », selon l’hebdomadaire L’Algérie politique et littéraire du 05 octobre 1913. « Et, sous prétexte de contraventions forestières, les malheureux sont condamnés à l'amende et à la prison », précise la publication. En dépit de ces dures sanctions, les habitants d’Ath Ouavane n’ont pas fléchi. Mieux : grâce à leur opiniâtreté et mobilisation, ils ont réussi à récupérer leur source. Et ils ont, par la même occasion, remporté une grande victoire face à l’arrogant administrateur qui croyait les Kabyles finis, terrassés pour toujours, après la défaite de Fatma N’soumeur en 1857 à Icherriden, près de Larba N’At Iraten (ex-Fort National), son arrestation et sa déportation à Béni Slimane, dans la région de Médéa, où elle mourut quelque temps plus tard.
Il est vrai que l’affaire de la source a pris des proportions importantes. Elle a fait beaucoup de bruit. Au point d’amener la section d’Alger de la Ligue des droits de l’Homme à effectuer une enquête qui a établi « le bien fondé de la plainte des habitants d’Ait-Ouabane.»
Ce fait historique explique, peut-être, l’amour que portent les habitants d’Ath Ouavane à ce précieux liquide, source de vie, qu’ils utilisent et répartissent entre eux avec équité. Leurs aïeux ont mis en place un système ingénieux, fait de rigoles reliées les unes aux autres, pour l'irrigation des jardins et des potagers. Ce village est vraisemblablement le seul, en Kabylie, à utiliser ce procédé qui ressemble à celui des foggaras de certaines oasis et régions du sud algérien.
La mise en route de ce système de répartition équitable de l’eau qui déboule d’une source située au dessus du village a lieu à fin mai ou début juin de chaque année. L’opération est accompagnée, le même jour, par « timechret », un rituel ancestral consistant à immoler plusieurs veaux et bœufs. Les bêtes sont achetées grâce aux dons financiers et aux cotisations annuelles des villageois.
Le principe de « timechret » fait une totale abstraction des classes sociales. Tout habitant du village des deux sexes, résident ou non-résident, riche ou pauvre, bébé ou vieillard, ouvre droit à une part égale à celles des autres. Le produit du sacrifice – viande et abats -- est réparti en fonction du nombre des membres de chaque famille. A titre d’exemple, un couple bénéficie de deux parts, tandis qu’une famille de quatre membres ouvre droit à quatre parts.
Le rituel de Timechret dépasse le cadre d’une fête ordinaire, coutumière. Il constitue, en réalité, une opportunité pour les habitants d’un village de se retrouver l’espace d’une journée dans une ambiance conviviale. Une ambiance rééditée périodiquement, ici à Ath Ouavane, à travers diverses manifestations culturelles, artisanales et économiques organisées par des associations du village animées uniquement par des bénévoles.
Réputé pour son piment « très piquant » et sa célèbre forêt considérée, dès les débuts du siècle dernier déjà, comme « l’un des arboretums naturels les plus riches et l’une des stations botaniques les plus remarquables de tout le Nord de l’Afrique », Ath Ouavane, incrusté dans la surface du Parc national du Djurdjura, est revenu de très loin. Il a été complètement enseveli par un éboulement de montagne qui a fait 300 morts environ en janvier 1850. Sur les 80 familles vivant dans le village, seules neuf personnes ont survécu, selon la Revue Africaine de 1904.
M.A.H.
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