• Dar Abdeltif: "villa Médicis algérienne"

    Par Mohamed Arezki Himeur
    Revue Tassili, 2012

    Une superbe résidence. Qui n’a aucune proximité avec les hideuses « choses » qu’on appelle aujourd’hui villas, poussant comme des champignons un peu partout à travers le pays. Dar Abdeltif, blotti au cœur des bois des Arcades -- à quelques mètres du Musée national des beaux-arts -- est un véritable joyau architectural. Le visiteur est émerveillé par le style de la construction, son admirable patio, sa piscine et sa terrasse offrant une magnifique vue sur Alger et sa baie. L’autre point qui retient son attention est la répartition judicieuse des pièces et des espaces ainsi que leur éclairage naturel.Dar Abdeltif: "villa Médicis algérienne"
    Dar Abdeltif a été pendant un peu plus d’un demi-siècle, du 15 avril 1907 jusqu’en 1961, la « villa Médicis algérienne », à l’image des villas Velasquez de Madrid et Médicis de Rome. Il a hébergé, durant cette période, près de quatre vingt-dix peintres et sculpteurs de renom, sélectionnés sur concours parmi « la crème artistique » française de l’époque.
    Les premiers lauréats furent Paul Jouve, dessinateur-sculpteur, et Léon Cauvy, artiste peintre. Etienne Dinet faisait partie de la première commission composée de 17 membres présidée par Léone Bénédicte, Conservateur du Musée du Luxembourg, chargée de la sélection des heureux boursiers – un ou deux tous les deux ans -- pris en charge par le gouvernement français.
    Les heureux élus « ne sont astreint à aucune espèce de scolarité ; ils peuvent s’absenter de la villa comme ils l’entendent. Nulle obligation de travaux ne leur est imposée ; ils doivent seulement une œuvre au Musée d’Alger », selon Larousse illustré universel du XIX siècle, 1933/1934.
    La villa Abdeltif avait subi quelques aménagements en 1905 avant d’être mise à la disposition des artistes deux années plus tard. Les travaux avaient été réalisés par l’architecte français Darbeda. C’est un certain Arsène Alexandre qui avait soufflé l’idée de transformer la bâtisse de la famille Abdeltif en une résidence pour les artistes. Il est vrai que dans un cadre semblable, baignant dans une luxuriante verdure, les artistes ne peuvent que produire des œuvres de bonnes factures.

    Superbe résidence des artistes

    Chargé par le gouverneur général Jonnart de faire un rapport sur l’état des lieux des Arts en Algérie, Arsène Alexandre avait prôné la création d’une « Maison des artistes » et désigné, pour ce faire, la villa Abdeltif qui tombait en ruine parce que laissée à l’abandon après son expropriation par les autorités coloniales en 1846. « Cette sorte de villa Médicis et en même temps ce Künstler Hause d’Alger deviendrait vite aussi célèbre qu’envié », écrivait-il. « Sa terrasse, sa colonnade, sa cour intérieur encore décorée de brillantes céramiques, son entourage de luxuriante verdure en feraient un séjour enviable », ajoutait M. Alexandre.
    Le plus ancien acte de propriété de la bâtisse, édifiée sur des terrains qu’on appelle les Bois des Arcades, date de 1715. Le premier ou l’un de ses premiers propriétaires fut Mohamed Agha. Son fils, Ali, l’avait vendue à Ali Ben Mohamed, dit le teinturier, lecteur à la grande mosquée malékite d’Alger.
    La propriété avait été cédée ensuite à un janissaire, Hadj Mohamed Khodja, qui serait ministre de la marine, avant d’être acquise en 1795 par Sid Mahmoud Abdeltif. Celui-ci avait prévu, en cas d’extinction de la lignée de sa famille, la donation de la moitié de la propriété à la Mecque et Médine et l’autre moitié aux muezzins de la grande mosquée d’Alger.Dar Abdeltif: "villa Médicis algérienne"
    En 1830, le corps expéditionnaires français avait réquisitionné la villa pour en faire une infirmerie au profit des militaires. Elle fut restituée par la suite à la famille Abdeltif. Mais pas pour longtemps. Elle fut reprise de nouveau par les Domaines en 1846 et annexée plus tard au Jardin d’essai du Hamma.
    Un décret d’avril 1861 signé par le maréchal Pélissier, duc de Malakoff, stipulait dans son Article 3 que « la maison mauresque, sise sur les terrains annexés au jardin pour la culture forestière, servira au dépôt et à l’exposition permanente des produits de l’établissement ».

    L’expropriation du domaine Abdeltif (la bâtisse et le massif montagneux) avait été précédée et suivie par une série de mesures semblables ayant touché plusieurs propriétés dans le secteur, sous prétexte d’élargir la superficie du Jardin d’essai du Hamma.
    Les terrains appartenaient en majorité à des dignitaires turcs installés dans le sillage des frères Arroudj qui avaient pris le contrôle d’Alger, après avoir assassiné le roi Salim Ettoumi.

    Un monument historique à visiter
     

     

    En 1866, la villa avait été transformée en service hospitalier sous l’appellation de « l’ambulance du Hamma » pour recevoir et soigner les cholériques et les pestiférés. L’établissement avait accueilli – entre le jour de son ouverture le 22 août 1866 et celui de sa fermeture le 5 décembre de la même année -- des malades d’Alger, mais aussi de la périphérie de la ville ainsi que les cas de choléra qui s’étaient déclarés au niveau de l’hôpital civil (actuel Mustapha Pacha). Sur les 78 malades admis – 33 musulmans et 45 européens – 24 avaient été guéris.
    La villa avait été abandonnée pendant des années avant d’être transformée en résidence pour les artistes à compter de 1907. A partir de 1966, elle avait connu quelques travaux de réparation et de confortement. Mais l’opération de restauration consistante n’avait été entamée qu’en 2003, portant sur la réparation des structures de la bâtisse. Elle avait aussi permis de réaliser quelques découvertes « tels que le système d’irrigation du jardin, les sous-sols remblayés, une fontaine ottomane ensevelie etc. », selon l’Agence algérienne pour le rayonnement culturel (AARC).
    Depuis 2005, cette ancienne résidence de villégiature des anciens dignitaires dela Régence d’Alger est convertie en siège de l’AARC. Cet établissement est chargé de deux missions principales : a)– promouvoir dans le monde le patrimoine, la culture et les arts d’Algérie, en mettant en valeur leur richesse et leur diversité sur les critères d’originalité ; b) –accueillir les expressions étrangères dans notre pays et susciter des courants d’échanges internationaux entres les disciplines et les artistes, fondés sur l’excellence et la découverte. Son champ d’action va du patrimoine à la littérature, en passant par les arts de scène, la musique, les arts visuels et le cinéma.

     

    Dar Abdeltif: "villa Médicis algérienne"

     La villa Abdeltif est classée monument historique depuis 1922. Elle est toute indiquée pour figurer dans un circuit touristique et une promenade. Car elle se trouve dans un périmètre abritant le Musée national des beaux-arts, la grotte de Cervantès, Maqam Chahid (santuaire des martyrs), les Musées de Riadh El-Fath, le Jardin d’essai du Hamma, la Bibliothèque nationale, la fontaine du Hamma qui alimentait en eau potable une partie d’Alger au temps des Turcs et le Mausolée de Sidi M’hamed Bou-Qobrine.
    Le métro ainsi que les deux lignes téléphériques du Hamma et de Sidi M’hamed, reliant respectivement le quartier du Hamma à Riadh El-Fath et Diar El-Mahçoul, facilitent les déplacements et les randonnées.

    M.A. Himeur

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