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Par arez le 29 Décembre 2017 à 21:44
Par Mohamed Arezki Himeur
C’est elle qui accueille le visiteur ou le voyageur qui débarque à Tizi Ouzou, en Kabylie, à 100 km à l’est d’Alger. Elle attire son regard dès qu’il entre dans la ville, quel que soit l’accès emprunté. Elle est partout présente. Elle s’affiche dans chaque ruelle, dans tous les quartiers de la cité. Elle occupe la position de vedette dans de nombreuses vitrines. Elle, c’est la robe traditionnelle kabyle, réputée pour son style, ses couleurs vives et chatoyantes. Elle a connu, depuis les années 1970, une évolution prodigieuse. Au point de devenir, aujourd’hui, une tenue très appréciée dans les grandes fêtes familiales, particulièrement lors des mariages.
Portée, autrefois, uniquement dans les villages perchés comme des nids d’aigle sur les hautes montagnes du Djurdjura, cette robe a gagné du terrain. Elle est d’abord descendue des cimes pour s’imposer à Tizi Ouzou, métropole de la Kabylie, puis à Alger, grâce à l’actrice franco-algérienne Marie-Josée Nat qui l’avait bien portée dans le film « L’opium et le bâton », tiré du roman du même nom de l’écrivain Mouloud Mammeri, évoquant un dramatique épisode de la guerre d’Algérie (1954/1962) tournée en Kabylie. Elle a ensuite conquis d’autres contrées du pays avant de franchir, depuis quelques années, la Méditerranée pour s’établir, timidement il vrai, chez certaines familles originaires de Kabylie installées notamment en France et au Canada.
Cette tenue vestimentaire féminine compte, en gros, trois grandes variantes. Il y a la robe portée par les vieilles dames chichement brodées, celle de tous les jours utilisées par les villageoises et celle, bien sûr, vêtue à l’occasion des fêtes de mariages. Elle a connu des changements importants au niveau de la découpe. Le style n’a cessé de s’améliorer, tout en gardant, bien entendu, les broderies riches en couleurs inspirées des motifs traditionnels.
A la fin du 19ème siècle et le début du 20ème siècle, la robe kabyle était constituée d’une seule pièce en laine blanche tissée, couvrant le corps des épaules jusqu’aux chevilles. Elle était ouverte au milieu par une fente arrondie permettant d’introduire la tête et la portée.
L’utile et l’agréable
La première grande amélioration du style et de la forme s’étaient produits entre les deux grandes guerres mondiales (1914/1918 et 1939/1945), avec l’apparition, en Kabylie, du tissu industriel imprimé. Celui-ci fut introduit dans la région par des émigrés locaux en France et des Kabyles démobilisés de l’armée française à la fin de ces deux conflits.
La robe était cousue et la fente du buste avait pris la forme de V, avec une ouverture légèrement plus large du côté de la poitrine. Elle est richement décorée de motifs brodés et de dentelles multicolores au niveau de la poitrine, des épaules, des manches et dans la partie basse. Elle est attachée, selon les circonstances et les endroits (villes, villages, champs, fontaines etc.), soit par un « agous », dont une variété s’appelle « agous n’tarayoul » (ceinturon du tirailleur), large de 10 à 12 centimètres enroulé plusieurs fois autour de la taille, soit par un « assarou », une ceinture réalisée à l’aide d’un assortiment de fils de laine multicolores tressés, portant aux deux extrémités des pompons. Une troisième ceinture qu’on appelle « ounoudh », comportant un nœud au niveau du bas du dos, sert de support lorsqu’il s’agit de porter une cruche d’eau ou un volumineux fagot de bois. Le port d’une robe kabyle sans ceinture hors de la chambre à coucher est indécent.
Aujourd’hui encore, la partie haute de la robe, côté poitrine, est utilisée par les vieilles femmes comme une grande poche pour fourrer leurs maigres économies, leurs bijoux ou tout simplement ramener quelques fruits de leurs champs (pommes, oranges, mandarines, grenades, glands etc.)
« La robe est généralement accompagnée par deux autres pièces de tissu. La première s’appelle dans la langue locale « amendil ». Il s’agit d’un foulard de couleur noire, jaune, orange ou rouge. Les femmes le plient en triangle, le posent sur la nuque et le nouent ensuite par les deux extrémités au dessus du front de façon à tenir leur chevelure. Le visage de la femme qui le porte, ses oreilles et son cou apparaissent. Il n’a donc aucune apparentée avec l’écharpe islamique », selon Melle Nouara Kemil, membre d’une association culturelle activant dans la région de Tizi Ouzou.
« La deuxième pièce est « timahremth », une sorte de manille teinté en longueur à l’aide de couleurs rouge, orange, jaune et noir. Les femmes la nouent autour de la taille et l’attachent, en même temps que la robe, avec une ceinture composée de plusieurs fils de laine multicolores tressés », ajoutera Melle Kemil.
Symbole identitaire
La production de la robe kabyle et de ses accessoires ont connu ces dernières années un véritable boom. De petits ateliers, employant généralement entre 5 et 10 personnes, ont vu le jour dans de nombreux villages et agglomérations. L’activité fait vivre des milliers de personnes. Elle s’est répandue à travers l’ensemble de la Kabylie.
Cette tenue vestimentaire féminine occupe une place de choix au niveau de la Maison de l’artisanat de Tizi Ouzou. L’endroit abrite des dizaines de boutiques où sont vendus les produits artisanaux de la région, tels que tapis, bijoux en argent et poteries. Des expositions, des manifestations commerciales et des défilés de mode sont organisés régulièrement autour de cette robe à l’initiative des associations culturelles et des municipalités. L’élection de Miss Kabyle, qui se déroule le 12 janvier (jour de l’An berbère) de chaque année à Tizi Ouzou, constitue une occasion pour mesurer et apprécier l’évolution du costume féminin kabyle (robe et accessoires).
Cette tenue aurait pu disparaître sous la pression de la modernité, dont le torrent avait commencé dès les premières années de l’indépendance à emporter, petit à petit, les tenues, les ustensiles de cuisine et les outils traditionnels. Sa mutation avait commencé dans les écoles de couture des sœurs blanches, durant la période coloniale. Mais sa modernisation, entamée dès le début des années 1970, est l’œuvre de la talentueuse styliste et couturière Khadidja, encouragée par un groupe d’intellectuels et d’artistes, tels que Kateb Yacine (écrivain et dramaturge), M’hamed Issiakhem (artiste peintre), Ben Mohamed (poète) et bien d’autres.
La robe kabyle avait, à la même période, pris la forme d’un symbole identitaire. Elle était utilisée comme outil de résistance contre le déni identitaire entretenu par le pouvoir algérien envers les habitants de Kabyle, parce qu’ils s’accrochaient à leur langue et à leur culture. Ce n’était pas un hasard si la robe s’affichait, à l’époque, dans toutes les fêtes familiales et même nationales. Cette vague avait coïncidé avec l’émergence du mouvement de revendication identitaire berbère portée par des étudiants, lycéens, enseignants, poètes, chanteurs et une poignée d’intellectuels.
M.A. Himeur
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Par arez le 26 Novembre 2015 à 16:51
Par Mohamed Arezki Himeur
(magazine ancien, légèrement actualisé)
Déjeuner à l’ombre d’un olivier, dans une oliveraie touffue, avec en prime une vue imprenable et éblouissante sur les majestueuses montagnes du Djurdjura, c’est l’agréable et premier « menu » qu’offre aux clients l’Auberge des oliviers. Cela n’a rien d’une carte postale, figée, sans âme. C’est une image vraie, palpable, peut-on écrire. C’est le panorama, saisissant par sa beauté, qui accueille automobilistes et voyageurs qui empruntent le RN30 allant de l’Oued Aïssi à Dra El-Mizan, au sud de Tizi Ouzou.
L’Auberge des oliviers se trouve à Mechtras, à environ 35 km au sud de Tizi Ouzou, sur la route reliant les Ouadhias et Dra El-Mizan, en passant par Tizi N’tléta. Ammi Saïd, le maître des lieux, passe d’une table à une autre. Il veille au bon accueil et à la satisfaction des clients. Chez lui, la devise qui dit que le client est roi n’est pas un vain mot.
Le client qui débarque pour la première fois est agréablement surpris par le site et le décor. L’auberge est installée en contrebas d’un champ d’oliviers en pente douce. Elle est entourée de fils barbelés et de haies de cactus. Elle comprend quatre salles de restauration, une terrasse et un large champ d’oliviers aménagé pour accueillir et mettre à l’aise les clients désirant déjeuner en pleine aire. Une table et des chaises sont placées sous chaque olivier, sur des plateformes édifiées à cet effet et reliées les unes les autres par des allées cimentées, encadrées de platebandes verdoyantes et de fleurs. L’olivier sert de parasol en été.
L’établissement, qui fait face à la montagne du Djurdjura, affiche presque complet les week-ends. Surtout lorsque le soleil et le beau temps sont du rendez-vous. Les clients sont pour la majorité d’entre eux des habitants des villages des communes environnantes. Ils viennent ici pour se détendre, réduire le stress accumulé en ville pendant la semaine.
Parmi eux se trouvent aussi les spécialistes de la bonne fourchette, les amateurs de la viande de veau. Parce qu’ici, la viande de veau, tendre, charnue et appétissante, est dans tous les plats. C’est la principale, pour ne pas dire l’unique, viande consommée dans la région : en sauce, grillée, méchoui... Les connaisseurs se ruent surtout les morceaux de veau avec os et les tendrons.
Une ballade, entre amis, dans cette partie de la région de Tizi Ouzou, est généralement ponctuée par une halte culinaire à l’Auberge des oliviers. « Nous sommes des habitués de l’établissement. On y vient au moins un week-end sur deux. C’est un endroit calme, tranquille et les plats ne sont pas chers », dira Amar. Lui et ses amis sont descendus d’un village d’Iboudrarène, une commune accrochée sur l’un des flans des cimes du Djurdjura.
Malek est venu d’Ath Douala. Il travaille dans le sud algérien. Il vient régulièrement, pendant ses journées de récupération, pour « faire le plein de viande de veau fraîche » avant de regagner son désert, rejoindre son poste de travail à Hassi Messaoud.
L’Auberge des oliviers est, dans la plupart des cas, une halte pour les « vadrouilleurs et touristes locaux », après une ballade vers le fabuleux plan d’eau de Taksebt, une visite chez les bijoutiers d’Ath Yenni ou après quelques achats dans les boutiques de poterie et de robes kabyles des Ouadhias. En effet, si les villages d’Ath Yenni sont connus pour leurs bijoux en argent, ceux des Ouardhias sont eux aussi réputés, du moins dans la région de Tizi Ouzou, pour le style et les motifs des robes qu’ils confectionnent. Les femmes de la région excellent dans cette activité. Avant de vous attabler à l’Auberge des oliviers, faites un détour touristique et historique au village d’Ighil Imoula, où fut tirée la Déclaration du 1er novembre 1954 marquant le début de la guerre d’indépendance (1954/1962).
Le touriste-voyageur peut faire une escapade à Ath Smail afin de se recueillir sur la tombe de Sidi M’hamed Ben Abderrahmane Bou-Qobrine, fondateur de la confrérie religieuse Rahmaniya (oui, oui, Sidi M’hamed a deux tombes : l’une à Ath Smail, près de Boghni, l’autre au quartier du Hamma à Alger).
Un détour du côté de la station climatique de Thala Guilef (fontaine du sanglier, 1000 mètres d’altitude) est recommandé. L’autre itinéraire conseillé aux vadrouilleurs est celui menant vers à Agouni Gueghrane (village de Slimane Azem) et, surtout, à Ath Elkaïd, un des rares villages où on peut encore observer l’architecture traditionnelle des maisons kabyles, construites à l’aide de la pierre, de la terre et du bois. Le village, abandonné, continue sa descente aux enfers. La majorité des bâtisses sont dans un état de délabrement avancé. - M.A.H
Village traditionnel d'Ath El-Kaïd en ruines
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Par arez le 10 Novembre 2015 à 10:52
Par : Mohamed Arezki Himeur
Publié en partie dans Algérie Confluences, 23 mai 2013Sidi Belloua est pour Tizi Ouzou ce que Sidi Abderrahmane Thaâlibi est pour Alger, le saint tutélaire de la ville des genêts et de la vallée des Amraouas. Il est perché, comme un nid d’aigle, à quelques sept cents mètres d’altitude, sur le sommet du mont de Redjaouna. Le village éponyme, un des plus populeux de Kabylie, est divisé en deux parties : Lvor et Techt. C’est l’endroit choisi par Sidi Belloua pour s’y installer, vivre et mourir il y a de cela plusieurs siècles.
Un auteur français du 19ème siècle, cité par Louis Piesse dans « Itinéraire de l’Algérie, de Tunis et de Tanger » (1882), relevait que grimper jusqu’au sommet de Redjaouna n’était pas, à l’époque, une sinécure. Mais « si vous avez un jarret de Zouave ou de chasseur de chamois, soulignait-il, montez ces pentes rapides et vous serez dédommagé en arrivant au sommet ».
Autres temps, autres commandités. Aujourd’hui, le village de Redjaoua, qui surplombe Tizi Ouzou, est desservi par une noria de fourgons de transport de voyageurs. Ils font la navette entre le village et la ville des genêts, avec des arrêts facultatifs sur le chemin, notamment devant le Sanatorium. Aujourd’hui encore, certains jeunes Redjaounis éprouvent du plaisir, lorsque le beau temps est de la partie, à escalader ou à dévaler la pente abrupte, à travers champs et forêt, qui sépare la haute ville de Tizi Ouzou (Aïn Hallouf) et Redjaouna. Ammi Ahmed, qui active depuis de longues années dans une œuvre caritative de la capitale du Djurdjura, l’avait fait à maintes reprises. « Du temps de ma jeunesse, bien sûr », nous a-t-il confié.
La route menant vers Sidi Belloua est sinueuse et étroite par endroit. Le mausolée du saint homme draine chaque jour de nombreux visiteurs. Les pèlerins viennent, en majorité, des villes et villages de la région. Cependant, des voyageurs et étrangers de passages dans la ville des genêts n’hésitent pas à grimper à travers une route construite sur le flan de la montagne jusqu’au sommet de Redjaouna, afin de se recueillir sur le tombeau de « Abou Allioua », petit fils de cheikh Sidi Athmane, originaire de Seguia El-hamra et oued Edhaheb, dans l’actuel Sahara occidental.
La « waâda » (offrande) du jeudi
Un monument à la mémoire des martyrs de la guerre d’indépendance (1954/1962) est érigé à l’entrée du site abritant le mausolée et la zaouia du saint homme ainsi que, fausse note, les émetteurs de la radio et de la télévision algérienne. La foule est plus nombreuse le jeudi, jour de la « waâda », une cérémonie hebdomadaire caractérisée par la lecture du Coran et des chants religieux. Les visiteurs se recueillent sur la sépulture du cheikh placée dans une chambre et drapé d’un coupon de tissu de couleur verte.
Ils peuvent ensuite faire quelques pas et s’introduire dans deux petites pièces contigües d’à peine deux mètres carrées chacune, complètement isolées de tout bruit extérieur, où Sidi Belloua, de son vivant, se retirait pour se consacrer à la lecture du coran, à la réflexion et à la méditation. Deux pièces hermétiques, donnant l’une sur l’autre, constamment illuminées avec des bougies posées à même le sol par des pèlerins. On y pénètre par la pièce abritant le sépulcre du saint homme en courbant le buste pour éviter de heurter de la tête les étroites et basses ouvertures.
Jeudi, les visiteurs viennent généralement en famille. La restauration est assurée pour tout le monde, avec le traditionnel couscous accompagné de viande de veau et de mouton. Un vrai régal pour les amateurs, nombreux, de ce met local, préparé grâce aux offrandes de différentes natures (argent, bœufs et moutons sur pied) des pèlerins, bienfaiteurs et autres visiteurs.
Une fois le recueillement terminée, les visiteurs se répandent, à l’extérieur, autour du mausolée pour admirer le magnifique et époustouflant panorama qui se déroule sous leurs yeux, dans toutes les directions, de l’est à l’ouest, du sud au nord. Une vue splendide qui porte, selon le versant choisi, sur le majestueux Djurdjura, Larba n’At Iraten, At Yenni, Aïn El Hammam, At Douala, Ihesnaouen, la vallée du Sébaou, Fréha, Azazga, la gigantesque forêt d’Akfadou, une partie du féérique bassin du barrage de Taksebt , At Ouaguenoun, Makouda, Mizrana, Sidi Daoud, la plaine de Boukhalfa etc. Aux pieds de Sidi Belloua, s’étale Tizi Ouzou, une ville qui s’étire et croît à vue d’œil, y compris du côté du massif de Redjaoua où le béton grignote chaque jour du terrain.
Un fief de la lutte anticolonialiste
A quelques dizaines de mètres du mausolée, se trouve une école coranique comprenant des salles de cours, des dortoirs pour apprenants originaires d’autres régions du pays, une grande salle de prière, une bibliothèque, des bureaux et des logements d’astreinte pour l’imam et les enseignants. Construit en 1946, l’édifice fut détruit en 1957 par l’armée française pour « son rôle dans l’éveil des consciences » des Algériens contre le colonialisme français. D’autres zaouias de la région furent également interdites d’activité. C’est le cas notamment de la zaouia d’Akal Aberkane, fermé sous les ordres du capitaine Georges Oudinot, chef de la SAS (Section administrative spécialisée) à Beni Douala, à 17 km au sud de Tizi Ouzou.
Sidi Belloua ou « Abou Allioua » est le petit fils de cheikh Sidi Athmane. Accompagné de ses trois enfants -- Mohamed Ben Sidi Athmane, Sid Belkacem et Sid Ahmed Ben Athmane – cheikh Sidi Athmane était en route pour Baghdad afin de se recueillir sur le tombeau de Sidi Abdelkader Djilali, lorsqu’il fut surpris par la mort sur les montagnes du Djurdjura. Ses trois enfants s’étaient ensuite établis dans trois endroits de Kabylie, dont l’un, Sid Ahmed Ben Athmane, connu sous le nom de « Abou Allioua », s’était installé sur le sommet du mont de Redjaouna.
Le nom de Sidi Belloua, plus facile à prononcer pour les habitants de la région, n’est donc qu’une déformation de « Abou Allioua ». Le Saint n’a pas laissé de descendance, selon une succincte généalogie rédigée et reproduite par plusieurs cheikhs de zaouias de la région de Kabylie.
Beaucoup d’inepties ont été dites et écrites sur l’identité de Sidi Belloua. Le saint homme était présenté tantôt comme un baron, tantôt comme un descendant des ducs de Bourgogne de la maison de Valois ou comme un prête français, un certain père Valois. Ce qui est tout à fait absurde. Autrement, son mausolée n’aurait jamais subi les foudres et les affres des forces coloniales.
Appareil judiciaire colonial battu en brèche
Durant la colonisation, la presse locale avait tenté de discréditer la mémoire du défunt saint en le présentant comme un charlatan. Sans succès. « Ce marabout est le plus célèbre de la contrée : un sentiment de vénération profonde et de terreur religieuse s’attache à ce nom de Sidi Belloua que les Kabyles de la région ne prononcent jamais à la légère », pouvait-on lire dans « La Kabylie Pittoresque », dans son édition n° 3 du 20 mars 1887.
Le périodique, qui paraissait trois fois par mois (les 1, 10 et 20 de chaque mois) à Tizi Ouzou, avait relevé que la considération dont jouissait Sidi Belloua était plus forte que l’appareil judiciaire colonial. Un algérien devant un tribunal, « qui ne se fera pas scrupules de déguiser la vérité à nos juges revêtus de tout l'appareil magistral, ne saura point soutenir son mensonge devant cet amas de pierres qui recouvre les cendres » de Sidi Belloua, soulignait-il.
Ce genre d’ « amas de pierres », existant un peu partout en Algérie, fut le fer de lance du combat anticolonialiste. C’était de ces endroits que partaient les révoltes et les insurrections contre les forces coloniales, dont l’une des plus importantes fut celle de 1871.
Une légende rapporte que durant la conquête de la Kabylie, « les Français voulant surveiller ces populations remuantes, toujours prêtes à secouer le joug, entreprirent de couronner les hauteurs du Belloua d'un poste d'observation. Les matériaux s'amoncelaient à la cime; déjà le poste sortait de terre. Sidi Belloua ne pouvait supporter plus longtemps semblable profanation. Une nuit, revêtu d'un burnous que les vers avaient respecté, immense, plus blanc que cette blancheur de la nuit qui l'enveloppait, il sortit de son tombeau. D'une voix stridente il appela à son aide la foudre exterminatrice d'Allah. A cet appel l'horizon fut subitement éclairé de feux couleur de sang ; les éclairs sillonnèrent la vue ; le tonnerre fit résonner ses sinistres grondements bientôt suivi d'un fracas épouvantable.
La foudre laissant après elle une acre odeur de soufre venait de renverser le poste édifié avec tant de peine. Depuis cette nuit mémorable deux lions se sont faits les gardiens nocturnes du marabout et le défendent contre de nouvelles tentatives sacrilèges. Cette légende a cours dans le pays et ne contribue pas peu à donner à Sidi Belloua la célébrité dont il jouit auprès de ces populations…,» rapportait « La Kabylie pittoresque » dans la même édition. Le récit aurait été confié à un reporter du périodique par un vieillard chargé de la surveillance du mausolée de Sidi Belloua.
Le trépas d’un profanateur
La légende avait cédé la place à un fait concret. A la même période, un officier français du Bureau arabe était passé de vie à trépas, quelques instants après avoir profané le mausolée. Le capitaine Béthune, qui venait juste de prendre son nouveau poste à Tizi Ouzou, « entra dans la koubba qui s’y trouve sans la permission de l’oukil et sans se déchausser », rapportait le colonel Robin dans « Notes et documents sur la grande Kabylie » publiés dans la Revue Africaine du 1er septembre 1899.
« En sortant de là, il fut pris de douleur d’entrailles et il ne tarda pas à succomber. Les Kabyles voient dans sa mort une punition de sa profanation, et le marabout de Sidi Belloua en acquit une grande vénération, les pèlerins et les offrandes y affluèrent », ajoutait-il.
Aujourd’hui encore, pèlerins et visiteurs sont nombreux à faire le déplacement à Sidi Belloua. Pour implorer la baraka du saint homme mais aussi pour savourer, admirer le féérique et incomparable panorama qui se déploie sous les pieds du mont de Redjaouna. Ça vaut vraiment le détour. Parole d’un infatigable vadrouilleur.
M. A. Himeur
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Par arez le 6 Octobre 2015 à 22:52
Par Mohamed Arezki Himeur
Tamda Ouguemoune est une petite plage féérique, entourée de maquis et de montagnes. Elle se trouve à environ 7 km à l’est de la ville historique et touristique de Tigzirt, dans la région de Tizi Ouzou, à 150 km à l’est d’Alger. L’accès se fait par une piste étroite et escarpée. L’endroit n’était, il y a une quinzaine d’années, qu’une petite plage d’échouage comptant deux ou trois baraques où les pêcheurs entreposaient leurs filets et outils de pêche. Il était fréquenté essentiellement par des adolescents des villages environnants qui venaient faire trempette durant la saison estivale. Aujourd’hui, il draine beaucoup de monde et en toute saison.
Tamda Ouguemoune est surtout connue des fines fourchettes, des amateurs de poisson, ceux qui s’extasient devant des mets exquis, qui savent ce que bien manger veut dire. Ce sont justement ceux-là qui débarquent, régulièrement, sur ce merveilleux site.
Il s’agit, en fait, d’une crique féérique, entourée de maquis, blotti aux pieds d’une chaîne de mamelons qui la protège des vents de l’est, du sud et de l’ouest. Elle se trouve à environ 7 km à l’est de la ville côtière de Tigzirt, dans la région de Tizi Ouzou, en contrebas de la route menant par le littoral vers Azeffoune et la capitale des Hammadites, Béjaïa.
L’accès, presque invisible pour un étranger de passage, se fait par une route ardue et étroite, qui finit sa course sur une petite plage couverte de galets lices de différentes formes, couleurs et tailles, polis par les vagues.
Tamda Ouguemoune est réputée pour son poisson. Elle est pour les habitants de Tizi Ouzou, chef-lieu et région confondus, ce qu’El Djamila (ex-La Madrague) est pour les Algérois et les populations des villes et villages limitrophes. Il existe, cependant, une petite nuance entre les deux sites côtiers. Contrairement à El-Djamila où les viandes rouges et blanches figurent parfois aux menus de certains restaurants, à Tamda Ouguemoune, les paillotes et petits restaurants proposent un produit unique : le poisson, mais dans toutes ses variétés.
Le menu, alléchant, va de l’inévitable sardine grille à la sépia en sauce, en passant par le mérou, la crevette royale, le succulent rouget de roche, le doux merlan recommandé pour les goutteux, le chien de mer, la raie, le fameux saint-pierre « oblitéré », la lotte, le thon, la dorade, le pagre, la sole, le pageau, la bonite etc. Le tout est, bien évidemment, précédé d’une assiette de piment vert parfois très piquant. Ce met, qu’on appelle à Alger et dans certaines régions « chlita », est servi comme entrée. Pilonné, transformé presque en purée, le piment s’adoucit, se laisse avaler ou déguster, une fois baigné, voire noyé, dans de l’huile d’olive.
Poisson et vestiges antiques
Les paillotes et restaurants de Tamda Ouguemoune sont construits, en dur ou en bois, en bordure de la plage et sur de gros rochers surplombant la mer, avec une superbe vue sur la grande bleue. Parfois, les consommateurs assistent au déchargement du poisson tout frais, trémoussant et tortillant encore dans les caisses, ramené à l’aide de petites barques depuis les ports de pêche de Tigzirt, de Dellys ou d’Azeffoun. Le poisson congelé est interdit d’entrée en cet endroit. Aucun restaurateur n’oserait l’inclure dans son menu aux risques d’y laisser des plumes, voire de mettre carrément la clé sous le paillasson.
Tamda Ouguemoune draine chaque jour des centaines de personnes. Lorsque le beau temps est du rendez-vous, le site est littéralement pris d’assaut, affiche complet. Les amateurs de poisson viennent généralement de Tizi Ouzou, mais également des villes et villages montagneux de la région. On y rencontre la plupart du temps, surtout les week-ends et les jours fériés, des familles et des groupes d’amis venus d’Alger. Ils jettent l’ancre dans cette petite baie pour y déjeuner avant de rentrer au bercail. Une escapade très prisée par certains algérois.
Le circuit Tizi Ouzou-Freha-Azeffoun-Tigzirt-Tizi Ouzou est le plus apprécié des excursionnistes, surtout par ceux qui ont programmé de passer la nuit à Tigzirt. Il permet de visiter les vestiges antiques de l’ancien village d’Azeffoun, les allées couvertes ou Dolmes datant de plus de 3.000 ans avant Jésus Chris d’Ath R’houna, les ruines romaines de Tigzirt pour ne citer que ces exemples de curiosité touristiques.
Le petit port de pêche et de plaisance de Tigzirt près duquel on a aménagé un jardin public et un manège pour enfants attirent beaucoup de monde, des familles en particulier. On peut se balader sur les quais sans provoquer le courroux des marins pécheurs, des armateurs et des membres des services de sécurité chargés de la surveillance des lieux.
Une crique pittoresque
Même si elles sont dans un état de délabrement avancé, les Dolmes du village d’Ath R’houna méritent bien un détour. Ces allées, qui constituent des nécropoles renfermant autrefois des sépultures collectives, comptent 8 à 15 mètres de longueur, 2 à 2,5 mètres de hauteur et plus de 1,4 de largeur.
Si les vestiges antiques d’Azeffoun et de Tigzirt sont connus, les allées couvertes d’Ath R’houna, à environ 14 km à l’ouest d’Azeffoun, en allant vers Tizgirt, le sont beaucoup moins. Une association culturelle du village, dénommée « Ivahriyène », tente, avec des moyens rudimentaires, de sauver et sauvegarder ces Dolmes découverts dans les années 50 par le chercheur français Gabriel Camps (cf : Bulletin de la Société préhistorique française (1959). Pierre Galvault en avait fait déjà allusion dans son « Etude sur les ruines romaines de Tigzirt » éditée en 1897.Tamda Ouguemoune est née presque du néant. Rien ne la prédestinée à devenir un centre d’attraction pour les amateurs de poisson. La crique était, avant le milieu des années 90, une simple petite plage d’échouage. Elle était reliée à la route nationale par une piste abrupte. Elle abritait quelques bicoques utilisées par des pêcheurs du coin pour entreposés leurs petites barques, cannes, filets et autres outils de pêche. Des enfants et adolescents des villages environnants surplombant le site y venaient faire trempette durant la saison estivale.
Les premiers étrangers à la région à fréquenter Tamda Ouguemoune étaient des coopérants des pays de l’Est, notamment des ressortissants de l’ex-Union soviétique, de ceux des ex-républiques roumaine, tchécoslovaque, polonaise etc. Ils venaient, en famille et par petits groupes, y camper deux à trois semaines en été. Ils étaient attirés par sécurité, la tranquillité et le côté pittoresque de l’endroit, situé loin des villages et des agglomérations côtières.
Tamda Ouguemoune n’est plus ce qu’elle était. Elle a changé de physionomie. Elle est devenue ce petit coin de paradis qui attire non seulement des gourmets, des amateurs de poisson, mais aussi des personnes cherchant à se déstresser, à oublier l’espace d’une journée ensoleillée les bruits assourdissants des centres urbains. Elle fait nourrir également, grâce à son activité commerciale, des dizaines de familles. Ce qui n’est pas rien par les temps de crise qui courent.
M.A. Himeur
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Par arez le 5 Octobre 2015 à 22:55
Par Mohamed Arezki Himeur
Revue Tassili, 2012
Une superbe résidence. Qui n’a aucune proximité avec les hideuses « choses » qu’on appelle aujourd’hui villas, poussant comme des champignons un peu partout à travers le pays. Dar Abdeltif, blotti au cœur des bois des Arcades -- à quelques mètres du Musée national des beaux-arts -- est un véritable joyau architectural. Le visiteur est émerveillé par le style de la construction, son admirable patio, sa piscine et sa terrasse offrant une magnifique vue sur Alger et sa baie. L’autre point qui retient son attention est la répartition judicieuse des pièces et des espaces ainsi que leur éclairage naturel.
Dar Abdeltif a été pendant un peu plus d’un demi-siècle, du 15 avril 1907 jusqu’en 1961, la « villa Médicis algérienne », à l’image des villas Velasquez de Madrid et Médicis de Rome. Il a hébergé, durant cette période, près de quatre vingt-dix peintres et sculpteurs de renom, sélectionnés sur concours parmi « la crème artistique » française de l’époque.
Les premiers lauréats furent Paul Jouve, dessinateur-sculpteur, et Léon Cauvy, artiste peintre. Etienne Dinet faisait partie de la première commission composée de 17 membres présidée par Léone Bénédicte, Conservateur du Musée du Luxembourg, chargée de la sélection des heureux boursiers – un ou deux tous les deux ans -- pris en charge par le gouvernement français.
Les heureux élus « ne sont astreint à aucune espèce de scolarité ; ils peuvent s’absenter de la villa comme ils l’entendent. Nulle obligation de travaux ne leur est imposée ; ils doivent seulement une œuvre au Musée d’Alger », selon Larousse illustré universel du XIX siècle, 1933/1934.
La villa Abdeltif avait subi quelques aménagements en 1905 avant d’être mise à la disposition des artistes deux années plus tard. Les travaux avaient été réalisés par l’architecte français Darbeda. C’est un certain Arsène Alexandre qui avait soufflé l’idée de transformer la bâtisse de la famille Abdeltif en une résidence pour les artistes. Il est vrai que dans un cadre semblable, baignant dans une luxuriante verdure, les artistes ne peuvent que produire des œuvres de bonnes factures.
Superbe résidence des artistes
Chargé par le gouverneur général Jonnart de faire un rapport sur l’état des lieux des Arts en Algérie, Arsène Alexandre avait prôné la création d’une « Maison des artistes » et désigné, pour ce faire, la villa Abdeltif qui tombait en ruine parce que laissée à l’abandon après son expropriation par les autorités coloniales en 1846. « Cette sorte de villa Médicis et en même temps ce Künstler Hause d’Alger deviendrait vite aussi célèbre qu’envié », écrivait-il. « Sa terrasse, sa colonnade, sa cour intérieur encore décorée de brillantes céramiques, son entourage de luxuriante verdure en feraient un séjour enviable », ajoutait M. Alexandre.
Le plus ancien acte de propriété de la bâtisse, édifiée sur des terrains qu’on appelle les Bois des Arcades, date de 1715. Le premier ou l’un de ses premiers propriétaires fut Mohamed Agha. Son fils, Ali, l’avait vendue à Ali Ben Mohamed, dit le teinturier, lecteur à la grande mosquée malékite d’Alger.
La propriété avait été cédée ensuite à un janissaire, Hadj Mohamed Khodja, qui serait ministre de la marine, avant d’être acquise en 1795 par Sid Mahmoud Abdeltif. Celui-ci avait prévu, en cas d’extinction de la lignée de sa famille, la donation de la moitié de la propriété à la Mecque et Médine et l’autre moitié aux muezzins de la grande mosquée d’Alger.
En 1830, le corps expéditionnaires français avait réquisitionné la villa pour en faire une infirmerie au profit des militaires. Elle fut restituée par la suite à la famille Abdeltif. Mais pas pour longtemps. Elle fut reprise de nouveau par les Domaines en 1846 et annexée plus tard au Jardin d’essai du Hamma.
Un décret d’avril 1861 signé par le maréchal Pélissier, duc de Malakoff, stipulait dans son Article 3 que « la maison mauresque, sise sur les terrains annexés au jardin pour la culture forestière, servira au dépôt et à l’exposition permanente des produits de l’établissement ».L’expropriation du domaine Abdeltif (la bâtisse et le massif montagneux) avait été précédée et suivie par une série de mesures semblables ayant touché plusieurs propriétés dans le secteur, sous prétexte d’élargir la superficie du Jardin d’essai du Hamma.
Les terrains appartenaient en majorité à des dignitaires turcs installés dans le sillage des frères Arroudj qui avaient pris le contrôle d’Alger, après avoir assassiné le roi Salim Ettoumi.
Un monument historique à visiterEn 1866, la villa avait été transformée en service hospitalier sous l’appellation de « l’ambulance du Hamma » pour recevoir et soigner les cholériques et les pestiférés. L’établissement avait accueilli – entre le jour de son ouverture le 22 août 1866 et celui de sa fermeture le 5 décembre de la même année -- des malades d’Alger, mais aussi de la périphérie de la ville ainsi que les cas de choléra qui s’étaient déclarés au niveau de l’hôpital civil (actuel Mustapha Pacha). Sur les 78 malades admis – 33 musulmans et 45 européens – 24 avaient été guéris.
La villa avait été abandonnée pendant des années avant d’être transformée en résidence pour les artistes à compter de 1907. A partir de 1966, elle avait connu quelques travaux de réparation et de confortement. Mais l’opération de restauration consistante n’avait été entamée qu’en 2003, portant sur la réparation des structures de la bâtisse. Elle avait aussi permis de réaliser quelques découvertes « tels que le système d’irrigation du jardin, les sous-sols remblayés, une fontaine ottomane ensevelie etc. », selon l’Agence algérienne pour le rayonnement culturel (AARC).
Depuis 2005, cette ancienne résidence de villégiature des anciens dignitaires dela Régence d’Alger est convertie en siège de l’AARC. Cet établissement est chargé de deux missions principales : a)– promouvoir dans le monde le patrimoine, la culture et les arts d’Algérie, en mettant en valeur leur richesse et leur diversité sur les critères d’originalité ; b) –accueillir les expressions étrangères dans notre pays et susciter des courants d’échanges internationaux entres les disciplines et les artistes, fondés sur l’excellence et la découverte. Son champ d’action va du patrimoine à la littérature, en passant par les arts de scène, la musique, les arts visuels et le cinéma.La villa Abdeltif est classée monument historique depuis 1922. Elle est toute indiquée pour figurer dans un circuit touristique et une promenade. Car elle se trouve dans un périmètre abritant le Musée national des beaux-arts, la grotte de Cervantès, Maqam Chahid (santuaire des martyrs), les Musées de Riadh El-Fath, le Jardin d’essai du Hamma, la Bibliothèque nationale, la fontaine du Hamma qui alimentait en eau potable une partie d’Alger au temps des Turcs et le Mausolée de Sidi M’hamed Bou-Qobrine.
Le métro ainsi que les deux lignes téléphériques du Hamma et de Sidi M’hamed, reliant respectivement le quartier du Hamma à Riadh El-Fath et Diar El-Mahçoul, facilitent les déplacements et les randonnées.
M.A. Himeur
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