-
Par arez le 14 Juillet 2015 à 17:57
Par Mohamed Arezki Himeur
(publié en 2013 dans Algérie Confluences)
A son épouse qui lui demandait, à son retour à maison tard le soir, où il était passé de toute la journée, un taximen algérois répondit qu’il était parti en course dans un village du bout du monde. Il s’agit d’Ath Ouavane construit à près de 1.200 mètres d’altitude, sur le flan abrupt du col du même nom (Tizi n’Ath Ouavane) qui trône, lui, à environ 1.700 mètres d’altitude, sur le massif montagneux du Djurdjura, à 70 km au sud-est de Tizi Ouzou (170 km à l’est d’Alger).
Rejoindre Ath Ouavane, un des 13 villages de la commune d’Akbil, n’est pas une tâche facile. La signalisation routière fait défaut. Comme partout ailleurs en Algérie, en zones montagneuses et enclavées. Il est relié au monde extérieur par une seule route étroite, parfois impraticable en hiver, parce qu’obstruée par des montagnes de neige isolant du même coup, pendant des jours, voire des semaines, Ath Ouavane des villages environnants.
Ath Ouavane a durement souffert durant la guerre d’indépendance. Il a été l’un des premiers villages de Kabylie à faire l’objet de bombardements intenses et répétés au napalm des forces armées coloniales. Parce qu’il abritait le premier Poste de commandement (PC) des moudjahidine de la wilaya III. Le PC était installé dans la maison du défunt Dda Bélaïd, un homme respecté aussi bien par ses coreligionnaires que par les chefs des combattants de la région, y compris par le colonel Amirouche, Krim Belkacem et Abane Ramdane notamment. Arrêté et torturé, Dda Bélaïd a été tué, plutôt assassiné, par les militaires français sur la place du village, devant les habitants.
Le premier « accrochage » entre Ath Ouavane et la France coloniale remonte aux débuts du siècle dernier. Les habitants du village ont réussi à tenir tête, à faire courber l’échine à un arrogant administrateur de la commune mixte du Djurdjura basée à Aïn El-Hammam (ex-Michelet). Celui-ci a fait recours à tous les moyens répressifs de la colonisation pour déposséder et priver ce village montagneux et enclavé de sa principale et unique richesse : l’eau d’une source utilisée, depuis les temps immémoriaux, par les habitants pour l’arrosage des potagers et des petits jardins familiaux. Mais sans succès. Les habitants d’Ath Ouavane ne s’étaient pas laissés-faire. Ils ont réagi en portant l’affaire devant la justice.
Irrité par la ténacité de ces « indigènes » qui lui tenaient tête, l’administrateur les a acculés en faisant tomber sur eux « une véritable pluie de procès-verbaux », selon l’hebdomadaire L’Algérie politique et littéraire du 05 octobre 1913. « Et, sous prétexte de contraventions forestières, les malheureux sont condamnés à l'amende et à la prison », précise la publication. En dépit de ces dures sanctions, les habitants d’Ath Ouavane n’ont pas fléchi. Mieux : grâce à leur opiniâtreté et mobilisation, ils ont réussi à récupérer leur source. Et ils ont, par la même occasion, remporté une grande victoire face à l’arrogant administrateur qui croyait les Kabyles finis, terrassés pour toujours, après la défaite de Fatma N’soumeur en 1857 à Icherriden, près de Larba N’At Iraten (ex-Fort National), son arrestation et sa déportation à Béni Slimane, dans la région de Médéa, où elle mourut quelque temps plus tard.
Il est vrai que l’affaire de la source a pris des proportions importantes. Elle a fait beaucoup de bruit. Au point d’amener la section d’Alger de la Ligue des droits de l’Homme à effectuer une enquête qui a établi « le bien fondé de la plainte des habitants d’Ait-Ouabane.»
Ce fait historique explique, peut-être, l’amour que portent les habitants d’Ath Ouavane à ce précieux liquide, source de vie, qu’ils utilisent et répartissent entre eux avec équité. Leurs aïeux ont mis en place un système ingénieux, fait de rigoles reliées les unes aux autres, pour l'irrigation des jardins et des potagers. Ce village est vraisemblablement le seul, en Kabylie, à utiliser ce procédé qui ressemble à celui des foggaras de certaines oasis et régions du sud algérien.
La mise en route de ce système de répartition équitable de l’eau qui déboule d’une source située au dessus du village a lieu à fin mai ou début juin de chaque année. L’opération est accompagnée, le même jour, par « timechret », un rituel ancestral consistant à immoler plusieurs veaux et bœufs. Les bêtes sont achetées grâce aux dons financiers et aux cotisations annuelles des villageois.
Le principe de « timechret » fait une totale abstraction des classes sociales. Tout habitant du village des deux sexes, résident ou non-résident, riche ou pauvre, bébé ou vieillard, ouvre droit à une part égale à celles des autres. Le produit du sacrifice – viande et abats -- est réparti en fonction du nombre des membres de chaque famille. A titre d’exemple, un couple bénéficie de deux parts, tandis qu’une famille de quatre membres ouvre droit à quatre parts.
Le rituel de Timechret dépasse le cadre d’une fête ordinaire, coutumière. Il constitue, en réalité, une opportunité pour les habitants d’un village de se retrouver l’espace d’une journée dans une ambiance conviviale. Une ambiance rééditée périodiquement, ici à Ath Ouavane, à travers diverses manifestations culturelles, artisanales et économiques organisées par des associations du village animées uniquement par des bénévoles.
Réputé pour son piment « très piquant » et sa célèbre forêt considérée, dès les débuts du siècle dernier déjà, comme « l’un des arboretums naturels les plus riches et l’une des stations botaniques les plus remarquables de tout le Nord de l’Afrique », Ath Ouavane, incrusté dans la surface du Parc national du Djurdjura, est revenu de très loin. Il a été complètement enseveli par un éboulement de montagne qui a fait 300 morts environ en janvier 1850. Sur les 80 familles vivant dans le village, seules neuf personnes ont survécu, selon la Revue Africaine de 1904.
M.A.H.
votre commentaire -
Par arez le 17 Avril 2015 à 10:11
Par Mohamed Arezki Himeur
Notre Afrik, n° 53, mars 2015Il est présent presque partout en Algérie. Il est l’hôte dans toutes circonstances heureuses telles que les mariages, fiançailles, circoncisions, rencontres familiales et, parfois aussi, dans des veillées mortuaires. Il est offert aux proches à qui on veut témoigner de la considération, aux amis, aux convives et personnalités de marque. Son absence, lors d’une fête, particulièrement à l’occasion d’une cérémonie de mariage, ne passe pas inaperçue, n’est pas appréciée. Elle est même considérée, voire interprétée par les invités comme une gaucherie. « On n’a pas idée de faire une fête en son absence », ne manqueraient pas de lâcher certaines langues fourchues. Le vendredi, premier jour de repos hebdomadaire en Algérie, il trône, parfois seul et sans concurrent, sur les tables des salles à manger dans les foyers. C’est le meilleur rassembleur familial par excellence.
Le couscous, c’est de lui qu’il s’agit, a encore de beaux jours devant lui. Plat national, mets culte au Maghreb depuis des millénaires, il a conquis, sans armées, ni chars d’assaut et autres corps expéditionnaires, de nombreuses contrées dans le monde. Au point d’occuper, dans certaines d’entre elles une place de choix, en acquérant une grande popularité parmi les habitants. C’est le cas notamment en France ou ce mets s’est hissé au troisième rang des plats affectionnés par les Français en 2014. Ce mets est rendu célèbre, à partir de 1960, par Wadih Georges Azzam, un chanteur égyptien d’origine libanaise, plus connu sous son nom d’artiste de Bob Azzam, à travers la chanson « fais-moi du couscous chéri…).
En Algérie, des salons, des expositions et des journées lui sont régulièrement consacrés. A Tizi-Ouzou, capitale de la Kabylie (100 km à l’est d’Alger), le salon annuel « le Djurdjura du couscous », qui est à sa 8ème édition, draine des milliers personnes. Les visiteurs font le déplacement, la plupart du temps en famille, pour admirer, parfois gouter et savourer les différentes et nombreuses variétés de couscous exposées. La manifestation est organisée à l’occasion de « Yennayer » (nouvel An berbère) qui coïncide avec le 13 janvier de chaque année. A Alger, il n’existe que deux petits restaurants servant quotidiennement le couscous de blé et d’orge. D’autres le propose aux clients une fois par semaine seulement, généralement le vendredi, jour de repos hebdomadaire.
Le plat se décline en plusieurs dizaines de variétés préparées à base de blé, d’orge, de gland, de carroube et autres. Il existe aussi une multitude de méthodes de préparation de ce mets : en sauce aux légumes frais et viandes (rouge ou blanche), aux légumes frais cuits à la vapeur, aux légumes secs, aux raisins et raisins secs, au petit lait ou lait caillé, aux poissons dans certaines régions côtières comme Jijel (360 km à l’est d’Alger), Ténès et Chenoua (respectivement à 200 et 100 km l’ouest de la capitale), aux petits pois, fèves verts ou sec, aux navets avec ses feuilles tendres et vertes cuits à la vapeur.
En fait, il y a de nombreuses façons de mijoter le couscous. Les recettes varient d’un pays un autre et d’une région à une autre dans un même pays. Il n’est pas rare de rencontrer des préparations différentes entre deux villages proches l’un de l’autre. Surtout au niveau des condiments et de l’assortiment des légumes utilisés. Le couscous est à la portée de toutes les bourses. Cependant, sa richesse varie d’une classe sociale à une autre. Le plat d’un nanti est plus fourni en légumes frais et en viande, alors que celui du pauvre ou d’un moins nanti est préparé chichement, avec un peu de légumes frais, beaucoup de pois chiches et une infime quantité de viande. Parfois même sans viande ou avec un minuscule morceau de viande séchée pour lui donner un arôme.
La saveur d’un bon couscous ne réside pas seulement dans les produits et les ingrédients employés. La cuisson du grain, le dosage des condiments utilisés dans la sauce jouent un rôle primordial. Un couscous cuit selon les normes, garni de raisins secs et accompagné d’un verre de petit lait ou de lait caillé peut avoir un goût aussi succulent qu’un couscous bien garni de légumes et viande dans le grain est mal étuvé. Le secret de la réussite d’un bon couscous – grains et sauce confondus– réside plutôt dans la préparation.
Le couscous est l’un des plus vieux plats de la planète. Son orthographe a connu de nombreuses variantes, selon les pays et les cultures : seksou, kesksou, coscossons, coscotons, couz-couz, kousskoussou, kousskouss, kouskous, couscoussou avant de se stabiliser à son nom actuel. Il est cité par de nombreux auteurs depuis Pline l’ancien jusqu’à François Rabelais dans « Gargantua », en passant par Alphonse Daudet dans « Les aventures prodigieuses de Tartarin de Tarcason », l’écrivain et artiste peintre Eugène Fromentin, les écrivains Gérard de Nerval, François Mauriac, Pierre Benoit et bien d’autres.
Des voyageurs, historiens et géographes arabes et musulmans ont mentionné dans leurs écrits l’existence, au Maghreb, de ce grain magique qu’est le couscous après les conquêtes arabes et musulmanes (647 après JC) de cette sous-région d’Afrique. Mais, ses origines demeurent obscures. La présence du couscous est signalée, il y a plusieurs siècles déjà, en Inde, en Chine, en Guinée, au Sénégal, en Gambie, préparé avec d’autres produits alimentaires que le blé et l’orge.
Cependant, un grand nombre d’auteurs et de dictionnaires attribue « l’invention » de ce plat aux berbères, premiers habitants du Maghreb (Afrique du Nord), où il bénéficie, de nos jours encore, d’un statut privilégié, d’une certaine sacralité même. De Pline l’ancien (30-79) relevait dans ses écrits que « les habitants de la côté de Barbarie (actuel Maghreb, NDR) et quelques autres partie de l’Afrique se nourrissent de couz-couz préparé avec le sorgho et les semences de diverses autres graminées. Caton (234 -149) nous apprend comment préparer ce mets », peut-on lire dans Commentaires sur la botanique et la matière médicale de Pline, d’Antoine Laurent Apollinaire Fée, (édit. CLF Panckoucke, Paris, 1833).
Le couscous est l’aliment préféré aujourd’hui encore des habitants de plusieurs régions d’Algérie, du Maroc et de Tunisie. Le plat a connu, au fil des siècles de nombreuses modifications et améliorations, d’abord par « les Assyriens longtemps avant les Grecs de Sparte et les Grecs d’Athènes…, » selon le Dictionnaire universel de cuisine et d’hygiène alimentaire de Jean Favre (1891). « Cependant, précisait cet auteur, les peuples qui modifièrent le plus ce mets furent les Carthaginois, ils l’élevèrent à la dignité de mets national, dont je trouve la recette dans un ouvrage de Caton : De Resustica ; ils en faisaient leur délice quotidien, ce qui leur a valu de la part des Athéniens le nom de Pultophage. » De seksou à couscous, ce mets a accompli une prodigieuse aventure dans l’histoire culinaire universelle. Et son aventure ne fait que commencer en matière de préparation, comme le montre le « couscous royal », garni de légumes en abondance et de viandes rouges et blanches auxquels on rajoute des brochettes de viande et de merguez.
M.A.H
votre commentaire
Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique