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La prodigieuse aventure du couscous
Par Mohamed Arezki Himeur
Notre Afrik, n° 53, mars 2015Il est présent presque partout en Algérie. Il est l’hôte dans toutes circonstances heureuses telles que les mariages, fiançailles, circoncisions, rencontres familiales et, parfois aussi, dans des veillées mortuaires. Il est offert aux proches à qui on veut témoigner de la considération, aux amis, aux convives et personnalités de marque. Son absence, lors d’une fête, particulièrement à l’occasion d’une cérémonie de mariage, ne passe pas inaperçue, n’est pas appréciée. Elle est même considérée, voire interprétée par les invités comme une gaucherie. « On n’a pas idée de faire une fête en son absence », ne manqueraient pas de lâcher certaines langues fourchues. Le vendredi, premier jour de repos hebdomadaire en Algérie, il trône, parfois seul et sans concurrent, sur les tables des salles à manger dans les foyers. C’est le meilleur rassembleur familial par excellence.
Le couscous, c’est de lui qu’il s’agit, a encore de beaux jours devant lui. Plat national, mets culte au Maghreb depuis des millénaires, il a conquis, sans armées, ni chars d’assaut et autres corps expéditionnaires, de nombreuses contrées dans le monde. Au point d’occuper, dans certaines d’entre elles une place de choix, en acquérant une grande popularité parmi les habitants. C’est le cas notamment en France ou ce mets s’est hissé au troisième rang des plats affectionnés par les Français en 2014. Ce mets est rendu célèbre, à partir de 1960, par Wadih Georges Azzam, un chanteur égyptien d’origine libanaise, plus connu sous son nom d’artiste de Bob Azzam, à travers la chanson « fais-moi du couscous chéri…).
En Algérie, des salons, des expositions et des journées lui sont régulièrement consacrés. A Tizi-Ouzou, capitale de la Kabylie (100 km à l’est d’Alger), le salon annuel « le Djurdjura du couscous », qui est à sa 8ème édition, draine des milliers personnes. Les visiteurs font le déplacement, la plupart du temps en famille, pour admirer, parfois gouter et savourer les différentes et nombreuses variétés de couscous exposées. La manifestation est organisée à l’occasion de « Yennayer » (nouvel An berbère) qui coïncide avec le 13 janvier de chaque année. A Alger, il n’existe que deux petits restaurants servant quotidiennement le couscous de blé et d’orge. D’autres le propose aux clients une fois par semaine seulement, généralement le vendredi, jour de repos hebdomadaire.
Le plat se décline en plusieurs dizaines de variétés préparées à base de blé, d’orge, de gland, de carroube et autres. Il existe aussi une multitude de méthodes de préparation de ce mets : en sauce aux légumes frais et viandes (rouge ou blanche), aux légumes frais cuits à la vapeur, aux légumes secs, aux raisins et raisins secs, au petit lait ou lait caillé, aux poissons dans certaines régions côtières comme Jijel (360 km à l’est d’Alger), Ténès et Chenoua (respectivement à 200 et 100 km l’ouest de la capitale), aux petits pois, fèves verts ou sec, aux navets avec ses feuilles tendres et vertes cuits à la vapeur.
En fait, il y a de nombreuses façons de mijoter le couscous. Les recettes varient d’un pays un autre et d’une région à une autre dans un même pays. Il n’est pas rare de rencontrer des préparations différentes entre deux villages proches l’un de l’autre. Surtout au niveau des condiments et de l’assortiment des légumes utilisés. Le couscous est à la portée de toutes les bourses. Cependant, sa richesse varie d’une classe sociale à une autre. Le plat d’un nanti est plus fourni en légumes frais et en viande, alors que celui du pauvre ou d’un moins nanti est préparé chichement, avec un peu de légumes frais, beaucoup de pois chiches et une infime quantité de viande. Parfois même sans viande ou avec un minuscule morceau de viande séchée pour lui donner un arôme.
La saveur d’un bon couscous ne réside pas seulement dans les produits et les ingrédients employés. La cuisson du grain, le dosage des condiments utilisés dans la sauce jouent un rôle primordial. Un couscous cuit selon les normes, garni de raisins secs et accompagné d’un verre de petit lait ou de lait caillé peut avoir un goût aussi succulent qu’un couscous bien garni de légumes et viande dans le grain est mal étuvé. Le secret de la réussite d’un bon couscous – grains et sauce confondus– réside plutôt dans la préparation.
Le couscous est l’un des plus vieux plats de la planète. Son orthographe a connu de nombreuses variantes, selon les pays et les cultures : seksou, kesksou, coscossons, coscotons, couz-couz, kousskoussou, kousskouss, kouskous, couscoussou avant de se stabiliser à son nom actuel. Il est cité par de nombreux auteurs depuis Pline l’ancien jusqu’à François Rabelais dans « Gargantua », en passant par Alphonse Daudet dans « Les aventures prodigieuses de Tartarin de Tarcason », l’écrivain et artiste peintre Eugène Fromentin, les écrivains Gérard de Nerval, François Mauriac, Pierre Benoit et bien d’autres.
Des voyageurs, historiens et géographes arabes et musulmans ont mentionné dans leurs écrits l’existence, au Maghreb, de ce grain magique qu’est le couscous après les conquêtes arabes et musulmanes (647 après JC) de cette sous-région d’Afrique. Mais, ses origines demeurent obscures. La présence du couscous est signalée, il y a plusieurs siècles déjà, en Inde, en Chine, en Guinée, au Sénégal, en Gambie, préparé avec d’autres produits alimentaires que le blé et l’orge.
Cependant, un grand nombre d’auteurs et de dictionnaires attribue « l’invention » de ce plat aux berbères, premiers habitants du Maghreb (Afrique du Nord), où il bénéficie, de nos jours encore, d’un statut privilégié, d’une certaine sacralité même. De Pline l’ancien (30-79) relevait dans ses écrits que « les habitants de la côté de Barbarie (actuel Maghreb, NDR) et quelques autres partie de l’Afrique se nourrissent de couz-couz préparé avec le sorgho et les semences de diverses autres graminées. Caton (234 -149) nous apprend comment préparer ce mets », peut-on lire dans Commentaires sur la botanique et la matière médicale de Pline, d’Antoine Laurent Apollinaire Fée, (édit. CLF Panckoucke, Paris, 1833).
Le couscous est l’aliment préféré aujourd’hui encore des habitants de plusieurs régions d’Algérie, du Maroc et de Tunisie. Le plat a connu, au fil des siècles de nombreuses modifications et améliorations, d’abord par « les Assyriens longtemps avant les Grecs de Sparte et les Grecs d’Athènes…, » selon le Dictionnaire universel de cuisine et d’hygiène alimentaire de Jean Favre (1891). « Cependant, précisait cet auteur, les peuples qui modifièrent le plus ce mets furent les Carthaginois, ils l’élevèrent à la dignité de mets national, dont je trouve la recette dans un ouvrage de Caton : De Resustica ; ils en faisaient leur délice quotidien, ce qui leur a valu de la part des Athéniens le nom de Pultophage. » De seksou à couscous, ce mets a accompli une prodigieuse aventure dans l’histoire culinaire universelle. Et son aventure ne fait que commencer en matière de préparation, comme le montre le « couscous royal », garni de légumes en abondance et de viandes rouges et blanches auxquels on rajoute des brochettes de viande et de merguez.
M.A.H
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