• Gabriel Mwènè Okoundji : «la poésie, c’est la vie»


    Par Mohamed Arezki Himeur
    Le Cap, bimensuel, Alger

    Gabriel Mwènè Okoundji, né le 9 avril 1962 à Okondo-Ewo, au Congo Brazzaville, fait partie de cette catégorie de poètes qui ont marqué la poésie africaine. Ses poèmes pourraient, eux aussi, connaître la même aubaine et se transmettre aux générations futures. Il est aujourd’hui considéré comme l’une des figures les plus marquantes de la nouvelle génération de poètes africains d’expression française.
    «Le poète est avant tout un héritier du souffle humain. Qu’importe si ce souffle vient d’Algérie, de Haïti, du Canada, de la Finlande ou d’ailleurs », dira-t-il. Il estime que c’est dans la poésie que réside l’essentiel, le fondamental. Par temps de doute, c’est la poésie, la parole du poète qui permet d’indiquer à l’être humain la direction à prendre.
    «La poésie, c’est la vie, c’est le souffle. Le chant poétique est avant tout ce qui rappelle à l’homme qu’il ne faut jamais désespérer malgré la blessure. Toute vie à sa charge de questionnements, d’interrogations. Mais ce poids, on ne peut le supporter que dans le chant de la parole poétique», souligne-t-il.
    Gabriel Mwènè Okoundji estime qu’un poète a un rôle à jouer dans la société. Bien évidemment, la littérature romanesque est aussi importante. Son lectorat est beaucoup plus important que celui de la poésie. «Mais au soir de l’existence d’un poète, lorsqu’il ne sera plus sur terre, ce qui continuera de témoigner de sa mémoire, c’est la parole poétique. Qu’importe qu’on ne retienne qu’un vers ou qu’un seul mot de son poème. Même si son nom n’est pas évoqué, il aura quand même transmis la sève de l’existence, de la vie.
    C’est quoi la vie ? C’est d’accepter de mourir. Une fois le corps mort, il redevient ce sable qui se recompose pour redonner encore la vie à ceux qui continueront le chemin», dira M. Okoundji. Pour lui, «la sève fondamentale de l’existence ne se trouve que dans la poésie».
    Gabriel Mwènè Okoundji est considéré par l’écrivain congolais Alain Mabanckou, auteur de «Verre cassé», de «Mémoires de porc-épic»  et de «Black bazar», comme l’«un des plus brillants poètes africains, de loin, de très loin!». Il a notamment publié «Au matin de la parole» (2009), «Prière aux Ancêtres» (2008) qui a reçu le prix PoésieYvelines l’année de sa parution, «Bono, le guetteur de signes» (2005), «Vent fou me frappe» (2003), «L’âme blessée d’un éléphant noir» (2002), «Second poème» (1998) et «Cycle d’un ciel bleu» (1996), son premier recueil.
    Il a aussi enregistré en 2008 un CD de poèmes sous le titre de «Souffle de l’horizon Tégué, destinée d'une parole humaine». Il participe à de nombreux festivals, ateliers d’écriture poétique et à des lectures de poésie un peu partout dans le monde. Il était parmi les hommes de lettres et de culture invités lors du dernier Festival panafricain d’Alger. Il était heureux d’avoir participé à cette rencontre, d’avoir vu «cette Afrique qui a défilé avec orgueil, dans sa diversité et dans sa vigueur». Cette manifestation constituait une occasion de dire «que nous sommes tous de la même racine. Et toute racine a un tronc», dira-t-il.

    Tante Ampili « représente la lumière »

    Gabriel Mwènè Okoundji se considère avant tout comme un «porteur de parole» ancestrale. Malgré le fait qu’il vive hors de son pays depuis de longues années, il est fortement attaché à sa culture ancestrale, à la culture traditionnelle. Il s’attelle, aujourd’hui, dans sa quête poétique, à essayer de donner, de communiquer aux autres, l’intelligence de la parole qu’il avait entendue lorsqu’il était chez lui, dans son pays, au Congo Brazzaville. Il se sent, d’abord et avant tout, porteur d’une parole que lui a transmise sa tante maternelle, Bernadette Ampili.
    «Cette femme, au travers du conte, du chant, du pleur, savait faire féconder la lumière d’un mot. Elle avait cette capacité de soulever l’émotion de quiconque savait écouter ce qu’elle disait », dit M. Okoundji.
    C’est cette parole-là, qualifiée par lui de «matière principale», qu’il voudrait, avec une obstination toute poétique, partager avec un Algérien, un Canadien, un Français, un Congolais et d’autres personnes. «Une parole somme toute banale, mais qui vaut son pesant d’or pour qui sait écouter», souligne-t-il.
    Tante Ampili constitue pour lui un repère, une balise. Elle représente pour lui beaucoup de choses. «Je dirais quelle représente la lumière, la force que je peux avoir pour me lever le matin malgré la blessure inhérente à l’existence humaine. C’est elle qui m’aide à tenir face à l’interrogation permanente qu’on peut avoir en se disant en quoi consiste l’équilibre de l’être humain sur terre», dit-il.
    Il y a tante Ampili, mais il y a aussi un autre personnage qui a marqué Gabriel Mwènè Okoundji. C’est papa Pampou, son oncle, «un homme magnifique qui m’a appris à regarder l’horizon», répète-t-il. Un jour, M. Okoundji donne une conférence, au Congo. Papa Pampou était là, dans la salle, parmi l’assistance. Le poète termine sa conférence en disant que «tous les chemins mènent à Rome». Cette phrase «maladroite», estime-t-il, n’a pas échappé à son oncle. «Qui t’a appris que tous les chemins mènent à Rome ?», lui demande papa Pampou. «C’est bien, ça peut mener à Rome. Mais Rome n’est qu’une escale parmi d’autres escales. Car tous les chemins mènent à la mort», lui assène-t-il.
    C’est vrai, admet M. Okoundji, que Rome comme Alger, Paris, Haïti ne sont que des escales d’une existence qui commence avec la naissance et qui se termine avec la mort. Mais avant la mort, il y a la vie. Une vie qui permet à l’être humain de dire à l’autre sa dimension d’être, relève-t-il. «On naît pour mourir», mais, la «mort» la plus dure est l’oubli.
    «Toute chose qui naît, qui vit est appelée à mourir. Ça on n’y peut rien. Mais la mort qu’il faut craindre, la plus injuste, la plus difficile, la plus insupportable pour l’être humain, c’est l’oubli», estime M. Okoundji. «Papa Pampou appelle la seconde mort le fait que plus personne sur terre ne pourra plus se souvenir de qui on était, lorsque plus une mémoire ne pourra plus témoigner de notre parole, de notre visage», ajoute-t-il.
    M. Okoundji ne veut pas que tante Ampili et papa Pampou, ses deux repères, ne sombrent dans un tel oubli. Tant qu’il vit, tant qu’il existera et tant qu’il pourra «donner parole» (parler), il est résolu à évoquer, à invoquer leurs mémoires. «C’est une façon de les faire vivre», dit-il. Pour perpétuer la mémoire des hommes politiques et autres hommes illustres, on a trouvé la parade en donnant leurs noms à des rues, boulevards, aéroports, stades, hôpitaux etc.

    «Même si le geste est long, la terre est patiente»

    Par contre, les sages vivant dans les coins isolés, dans des villages perdus dans la brousse et les montagnes, mais pétris dans la littérature orale, la culture ancestrale sont ignorés, négligés. Pour ces êtres là, «comme tante Ampili, papa Pampou et leurs semblables en Algérie, c’est à nous, leurs enfants, d’essayer de retarder le plus possible cette seconde mort», estime M. Okoundji.
    Psychologue clinicien dans un hôpital et chargé d’enseignement aux universités à Bordeaux, Garbriel Mwènè Okoundji vit depuis plus d’une vingtaine d’années en France. C’est dans ce pays qu’il a édité ses ouvrages. «J’ai beaucoup plus de lecteurs en France, en Occident, que dans mon propre pays, qu’en Afrique. Pourquoi ? Parce que la diffusion du livre est difficile, parce que le prix du livre est assez élevé en Afrique. Donc, forcément, il y a moins de lecteurs», dit notre interlocuteur.
    Pour qui écrit-il ? M. Okoundji s’est posé la question à plusieurs reprises. «Je me suis rassuré en disant, qu’après tout, le plus important pour moi est d’essayer de faire signe. Qu’importe si ce signe est entendu par un Canadien, un Finlandais ou un Chinois.
    C’est à lui ce que le chant poétique donne à entendre », dit l’auteur de «Prière aux ancêtres». Le signe n’atteindra peut-être pas les Congolais, mais «il sera peut-être perçu par un Gabonais, un Sénégalais et un Martiniquais. A condition que je puisse le donner, le transmettre avec la force, la conviction et la clarté avec laquelle je l’ai reçu», ajoute-t-il.
    Pour pouvoir atteindre ce but, il faudra passer par l’édition. Ce qui est loin d’être une sinécure. C’est difficile pour tout écrivain africain qui débute. C’est encore plus difficile pour un poète, car «le lectorat de la poésie est très faible». Il faut beaucoup de patience et de ténacité pour ne pas rendre le tablier, déposer le stylo. «J’ai toujours cru qu’une oeuvre, lorsqu’elle a quelque chose d’authentique, lorsqu’elle a du souffle, finit toujours par trouver un éditeur. A condition d’avoir un bon écrit. Donc, le tout, c’est d’avoir de la patience», estime M. Okoundji. «Même si le geste est long, la terre est patiente», ajoute-t-il, en faisant vraisemblablement allusion à l’agriculteur, le travailleur de la terre.
    Au fait, c’est quoi un bon écrit ? Personne ne le sait. Un texte peut être bien compris, apprécié et ressenti par un lecteur, mais incompréhensible et rejeté par un autre. Le plus important, dit M. Okoundji, c’est d’être soi-même convaincu de ce qu’on écrit. «Il ne s’agit pas de se dire, j’écris, c’est à la mode. Ou bien je vais écrire un roman parce que c’est le roman qui marche, qui se vend. Il s’agit de se dire : j’ai quelque chose à dire, j’ai un témoignage à apporter et le témoigner avec ses tripes, sa conviction, son obstination… avec son souffle tout simplement», souligne-t-il. «Parce que quand on a à donner ce souffle de soi, relève-t-il, il finit toujours par faire écho chez l’autre, chez celui qui l’entend, qui le lit».

     « L’équilibre de l’univers sur les genoux d’une fourmi »

    Le chant poétique rappelle à l’être humain que la vie est fragile. «L’équilibre de la terre, l’équilibre de l’univers repose sur les genoux d’une fourmi», comme disaient tante Ampili et papa Pampou. Une expression proche de celle de chez nous qui disait que l’univers repose sur la corne d’un boeuf. Et que les secousses telluriques et autres séismes sont provoqués par le déplacement de l’univers de la corne à l’autre.
    M. Okoundji a fait des études supérieures, travaille comme psychologue clinicien dans un hôpital et enseigne «la parole scientifique» (psychologie) à l’université. Mais «je demeure avant tout l’élève de ma tante Ampili et de papa Pampou», martèle M. Okoundji.
    L’auteur de «Vent fou me frappe» a animé plusieurs conférences et récitals de poésie en Afrique, notamment au Congo, au Tchad et au Burundi à l’invitation, dans la plupart des cas, du Centre culturel français.
    «En Afrique, les politiques comprennent assez difficilement la culture. Ce ne sont pas des poètes. Ils viennent vers le poète seulement lorsque quelqu’un leur dit que tel poète est important. Ils viennent vers lui sans l’avoir lu ou écouté», dit M. Okoundji. «Mais il ne faut jamais jouer dans cette cour-là», ajoute-t-il avec une pointe d’ironie. ‘’Qui s’y frotte, s’y pique’’, dit l’adage.
    M. Okoundji a toujours maintenu une distance entre lui et les politiques. «Oui, bien sûr, quand on écrit, on a envie d’être reconnu, que ce qu’on écrit ait un écho. Car ce sont des graines qu’on sème. On a envie de les voir germer un jour. Mais cela se fera par des voies tout à fait miraculeuses, qui nous laisseront propres», dit-il. «Je ne cherche pas à être, à paraître, ni à semer au-delà de ce que je peux produire», ajoute-t-il.
    M. Okoundji ignore les raisons de l’absence d’une association ou d’une union des écrivains africains. «Je ne suis qu’un poète. Je ne suis pas dans la cour de ceux qui écrivent des livres. Mais, j’ai remarqué, qu’effectivement, il manque une cohésion, une unité» chez les hommes de lettres du continent.
    Cependant, il arrive, de temps à autre, que des écrivains et des poètes se rencontrent pour, en petits groupes, donner des conférences, animer des récitals de poésie et participer à des ateliers d’écriture. En Afrique, comme lors du Festival panafricain d’Alger, en Europe ou ailleurs.

    M .A. H.


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