• Par : Mohamed Arezki Himeur
    Algérie Confluences, 11 Avril 2013

    "Quel bel homme !», avait du se dire Karl Marx, en se regardant dans le petit bout de glace que tendait généralement les barbiers de la Casbah à leurs clients. Le « prophète » du socialisme venait, pour la première fois de sa vie, de se séparer de son éternelle barbe. C’était au printemps 1882. Il s’était laissé « dépoiler », déplumer, par un barbier dans l’une des artères étroites et escarpées de ce vieux quartier d’Alger.
    « A cause du soleil, je me suis débarrassé de ma barbe de prophète et de ma toison, mais (comme mes filles me préfèrent avec),  je me suis fait photographier avant de sacrifier ma chevelure sur l’autel d’un barbier algérois…, » écrivait-il dans une lettre du 28 avril 1882 à son ami Friedrich Engels, cité dans « Alger la blanche, biographies d’une ville », de l’écrivain algérien Salah Guemriche (Edition Perrin, Paris, 2012).
    Prétexte peu convaincant, tiré par les cheveux. Car, il n’existe aucun « antagonisme » entre le soleil et la barbe. « On sait bien à quel point le soleil d’Alger peut-être rasant, mais de là à ce qu’il pousse un Karl Marx à se rendre à la Casbah pour se faire tondre la barbe, voilà qui n’est pas un poil marxisant », relève, avec une pointe d’humour, Salah Guemriche dans son ouvrage.
    Karl Marx avait débarqué au port d’Alger le 20 février 1882 à trois heures trente du matin. La mer n’était pas tendre avec lui. Il n’avait pas pu fermer l’œil durant le voyage. Sidi Boulegdour, le « vainqueur » de Charles-Quint, n’y était pour rien cette fois-ci. « Il a fait froid pendant la traversée et, bien que le bateau fût pourvu de tout le confort, je n’ai pas pu dormir les deux nuits en raison du bruit diabolique des machines, du vent etc. qui m’empêchaient de trouver le calme dans ma cabine, » relevait-il le lendemain de son arrivée, le 21 février, dans une lettre à son ami Engels.

    Convalescence gâchée par le mauvais temps

    Accueilli à son arrivée par Albert Fermé, un juge de paix, ancien ami de son gendre Charles Longuet, Karl Marx avait passé deux nuits au Grand Hôtel d’Orient, situé du côté de l’actuel square Port Saïd. Il avait rejoint, ensuite, l’hôtel Victoria, une petite pension familiale de deuxième catégorie, aujourd’hui disparue, bâtie à l’extrémité haute de l’actuel boulevard Mohamed V. Il était venu à Alger sur insistance de ses médecins et de son ami Engels pour se soigner d’une pleurésie.  Alger était classée, à l’époque, ville d’hivernage, accueillant des milliers d’Européens fuyants les rigueurs hivernales de leur continent.  Beaucoup d’entre eux venaient, sur conseils de leurs médecins, passer quelques semaines, voir quelques mois, à Alger en raison de « la douceur de son climat » et « l’uniformité » de sa température en hiver.
    Pour Marx, c’était la poisse. En plus d’une traversée cauchemardesque, le « camarade » trouvait un temps exécrable à Alger. « Il pleut toujours », confiait-il par courrier à son autre gendre, Paul Lafargue, le 20 mars 1882, un mois après son arrivée. « Le temps est si capricieux qu’il  varie d’une heure à l’autre, passant par toutes les phases ou tombant au contraire d’une extrémité à l’autre. Malgré tout, on constate une tendance vers une amélioration progressive, mais il faut attendre », ajoutait-il.
    Sa maladie et le mauvais temps constituaient les principaux sujets évoqués dans ses correspondances. Terrassé déjà par la mort deux mois auparavant de son épouse, qu’il qualifiait de « cette autre moitié de moi-même », rongé et affaibli par la maladie, Karl Marx était déconnecté, accordant peu d’intérêt aux « bienfaits de la colonisation » en Algérie. Il ne lisait qu’un seul journal local, Le Petit Colon, et quelques fois L’Egalité et Le Citoyen.
    Etant en convalescence, ses médecins lui avaient déconseillé tout effort intellectuel. Il avait émis quelques critiques acerbes contre la loi Warnier du 26 juillet 1873 qui détruisait  la propriété collective en Algérie. « Faire de la terre communautaire la propriété privée des usuriers » constituait un acte de « brigandage pur et simple », notait-il. Il avait, un quart de siècle auparavant, rédigé quelques articles « alimentaires » sur l’Algérie dans une revue scientifique américaine.

    Marx le « Maure » dans un café maure

    A Alger, durant son séjour de deux mois et 12 jours, le « camarade » Marx, surnommé le « Maure » par Engels, passait le plus clair de son temps à l’hôtel. Il faisait de courtes balades dans le quartier du Télemly. Mais, la maladie, conjuguée au mauvais temps, l’empêchaient de vadrouiller, comme il l’aurait souhaité, dans les rues d’Alger. Il était, cependant, subjugué par la vue panoramique qui se déployait sous ses yeux, depuis son hôtel : la baie d’Alger, des villas disposaient en amphithéâtre jusqu’à la mer et les sommets neigeux du Djurdjura. « Le Matin, à 8 heures, il n’est pas de plus
    enchanteur que ce panorama. », s’extasiait-il.
    Il s’était rendu une fois au Jardin du Hamma. « Avant de pénétrer dans le Jardin d’essai, nous bûmes du café, en plein air naturellement dans un café maure. Le Maure en prépare d’excellent… ». L’établissement se trouvait en face de l’entrée nord du Jardin, à côté de la fontaine du Hamma. « Karl Marx ne nous apprend pas grand-chose sur la situation sociale et politique dans la colonie française » d’Algérie, relevait Gilbert Badia dans son ouvrage « Karl Marx, lettres d’Alger et de la Côte d’Azur » (Le Temps des Cerises, 1997). Sur l’Algérien, le père du « Capital », dira que « le plus misérables des Maures surpasse le plus grand comédien d’Europe dans l’art de se draper et de prendre une attitude pleine de naturel, de grâce et de dignité ».
    Karl Marx en avait marre de « cette vie d’invalide » à laquelle l’avait réduit sa maladie. Il avait quitté Alger le 2 mai 1882 à bord du bateau le « Péluse », emportant dans sa tête des images de la sublime baie d’El-Bahdja et dans ses bagages quelques bijoux kabyles, dont des bracelets. Il est mort le 14 mars 1883 et enterré à Londres.

    M.A.H


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  • Publié dans la revue féminine Dziriet, Alger

    Le monde évolue à une vitesse vertigineuse, dans tous les domaines. Les prénoms, eux aussi, suivent ce rythme endiablé. l’Algérie n’échappe pas à la règle. Donner le prénom d’un aïeul à un nouveau-né n’a plus court de nos jours. C’est passé de mode. c’est « périmé », pour reprendre une expression en vogue chez les jeunes algériens.
    Les papas et mamans « puisent » les prénoms de leur progéniture d’une liste de  plus en plus large, enjambant allègrement les croyances, les cultures, les frontières et les choix arrêtés par les pouvoirs publics. Beaucoup d’entre eux ne se soucient guère, sinon peu, de l’origine du prénom choisi pour l’élu de leur cœur. Celui-ci est « imposé » par l’environnement politique, culturel, cultuel, historique, social ou sportif du moment. On ne devrait pas s’étonner d’entendre, dans peu de temps, une femme ou un homme appeler « Cassandra » ou prononcer un autre prénom tiré tout droit des films brésiliens qui meublent, depuis quelques mois les soirées télévisuelles de l’ENTV.
    Ce prénom vieux d’environ 3000 ans, venu de la lointaine civilisation grecque, va certainement s’introduire, si ce n’est déjà fait, dans les registres de l’état-civil en Algérie. Parce qu’il sonne beau, d’une sonorité poétique et facile à prononcer. Sandra, de la même origine, y ait déjà présent depuis plusieurs décennies.
    Des prénoms étrangers ? Les parents, les jeunes couples d’aujourd’hui, ne tiennent pas trop compte de ce genre de considérations. Pour eux, ce qui compte, c’est leur bébé. Et comme il est le plus beau du monde – c’est le verdict sans appel de tous les parents bien sûr – leur bébé mérite de porter un joli prénom. Tout le reste n’est que bavardages et commérages.
    Dans de nombreux cas, cependant, le prénom d’un enfant reflète l’opinion ou le penchant politique, historique, culturel et cultuel des parents. Le phénomène est apparu à la fin des années 60 et au début des années 70. Moins d’une décennie après la floraison du prénom Houria au lendemain de l’indépendance en 1962.
    Les Kadour, Belkacem, Belgacem, Fatima, Fatma, Keltoum, Mohand, Zoubida, Djedjiga, Zoulikha et autres Ammar ont été détrônés. Ils sont considérés par les jeunes couples comme des prénoms archaïques et ringards. Chabane, Ramdane, Mouloud et Achour ont perdu du terrain. Leur perpétuation est menacée. De nombreux anciens prénoms ont soit disparu, soit cédé la place, à des périodes précises de l’évolution de la société algérienne, à d’autres venus, à titre d’exemple, du
    fin fond de l’histoire berbère de l’Afrique du nord (Mazigh, Kahina, Tin-Hinan, Massinissa) et de la religion musulmane (Islam, Seif el-Islam, Oussama).

    Tin-Hinan remporte la bataille

    D’autres prénoms ont fait leur apparition sur les registres de l’état-civil algériens à des moments également précis de l’histoire de l’Algérie ou du monde arabe. C’est le cas, pour ne citer que ces trois exemples, de Saddam (en référence à Saddam Hussein), Wiam apparu au lendemain de la promulgation de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale et Zinou (en hommage à Zineddine Zidane qui a marqué l’histoire du football mondial).
    Un grand nombre de prénoms inscrits sur les registres de l’état-civil ne figure pas sur le lexique national et officiel des prénoms en vigueur depuis 1981. Ce lexique lui-même est complètement dépassé. Il n’a pas été revisité depuis 30 ans, alors que le décret 81/26 du 7 mars 1981 stipule, en son article 5, que ce document devait faire « l’objet d’une  actualisation tous les trois ans », nous confiera un employé d’une APC (municipalité).
    L’article 4 de ce décret stipule, également, que « toute inscription nouvelle d’un prénom sur les registres d’état-civil ou toute modification d’un prénom se fait sur la base de ce lexique. » Cependant, le constat est tout autre sur le terrain. Les agents des services d’état-civil sont, d’une certaine manière, « forcés » d’accepter le choix des parents. Car il n’est pas facile, pour eux, d’appliquer au pied de la lettre un tel document, jugé obsolète, parce qu’il ne tient pas compte, ne reflète pas les changements et les mutations de la société algérienne.
    Durant les années 70, avant même l’adoption de ce lexique, des APC avaient tenté de barrer la route aux prénoms berbères. Des parents eurent toutes les peines du monde à imposer des prénoms comme Kahina, Mazigh, Massinissa,
    Zilassen et bien d’autres tirés de l’histoire ancienne de l’Afrique du Nord.
    Parmi ces « entêtés » figure l’écrivain et journaliste Salah Guemriche, natif de Guelma, auteur de plusieurs romans et essais, dont « Abd er-Rahman contre Charles Martel », qui relate dans le détail « la véritable histoire de la bataille de Poitiers », et « Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou » paru en janvier 2011 aux éditions Denoël (Paris).
    Sa fille, Tin-Hinan (du nom de la reine-guerrière berbère des Touaregs du Hoggar), qui a aujourd’hui 36 ans – elle est née en 1975 -- est restée « sans état-civil » presque trois mois. « Nous avons dû, sa mère et moi, batailler dur et j’ai personnellement fait le siège du ministère de la Justice et même du ministère de l’Intérieur. » pour faire passer ce prénom, nous a-t-il confié.
    Un chef de cabinet de l’un de ces deux ministère l’avait félicité pour son « entêtement » à vouloir donner le prénom de Tin-Hinan à sa fille, alors qu’auparavant, le même fonctionnaire n’avait cessé de lui dire : « ce ne sont pas les beaux prénoms qui manquent chez nous, el-hamdoulillah ! Vous avez Fatma, Leïla, Salima, Latifa, pourquoi allez chercher si loin ? » Une ambivalence propre aux fonctionnaires algériens qui pensent à une chose tout en appliquant, parfois avec zèle, son contraire.

    Les prénoms se « mondialisent »

    Plus tard, Tin-Hinan, Kahina, Massinissa comme beaucoup d’autres prénoms, rejetés pendant des années, ont fini par entrer dans les registres de l’état-civil, marquant ainsi un retour aux sources et un début de réappropriation de l’histoire de l’Afrique du Nord. Mais des « résistances » persistent par endroit contre certains prénoms non musulmans et arabes. Il n’est pas rare de relever, dans la presse, que tel prénom refusé par une APC est inscrit sans difficulté dans une autre. De là à dire que les APC fonctionnent au pif, « à la tête du client », il n’y a qu’un pas.
    « Une chose est sûre : les + résistances + contre l’inscription de certains prénoms sur les registres d’état-civil finiront, tôt out tard, par céder sous l’opiniâtreté des parents et l’évolution de la société algérienne, » estime Si Bachir qui se retrouve, à 83 ans, entouré de petits enfants et d’arrière petits enfants aux prénoms complètement différents de ceux de son époque. Son épouse, de trois ans moins âgée que lui, fait rire toute la famille lorsqu’elle prononce le prénom de son arrière petite fille « Céline » qu’elle appelle par erreur « Sinile.»
    Autres temps, autres mœurs et autres prénoms. On assiste, en Algérie comme ailleurs, à une sorte de « mondialisation » des prénoms. Les petits prénoms à consonance européenne, latino-américaine ou asiatique ont fait irruption dans les registres de l’état-civil. Les Rosa, Lisa, Melissa, Laeticia, Laura, Dylan, Maria, Flora, Rona et bien d’autres prénoms venus d’ailleurs fleurissent dans nos paysages familiaux et notre voisinage. Certains d’entre eux se sont introduits dans le pays depuis plusieurs décennies.
    Résultats : beaucoup de prénoms algériens sont passés à la trappe. D’autres perdent chaque jour du terrain et connaîtront, dans quelques temps, le même sort. D’autres encore sont entrain de « transmuter » pour subsister. C’est le cas des prénoms comme Abdelkader, Abderrachid, Abdelhakim amputés des trois premières lettres (Abd) pour survivre à la « mondialisation » des prénoms. Il ne faudrait pas s’étonner si, un jour, vous entendrez dans la rue, sur les lieux de travail ou dans votre entourage familial, appeler « Bob ». Ce ne serait que le prénom de Boubkeur qui aurait réussi à « muter » à temps pour échapper à la gomme de l’évolution de la planète terre.

    Mohand Arezki

     


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  • Mohamed Arezki Himeur,
    publié dans la revue féminine Dziriet, Alger

    La maison de la Casbah d’Alger, « d’aspect triste au dehors, se trouve être une délicieuse Oasis au-dedans ; ces quatre murs si informes renferment presque un rêve d’imagination ». Il y a dans ce quartier un « bon nombre de maisons mauresques dont les quatre murs extérieurs cachent un petit Eden », écrivait au 19ème siècle un avocat français, Henri Dumont, dans un livre intitulé « Alger ville d’hiver » (1878).
    Cette admirable description n’est plus de mise aujourd’hui. La Casbah d’Alger, qui renferme dans ses entrailles un fabuleux patrimoine historique et culturel, offre l’image d’un quartier triste, hideux, qui dépérit à vu d’œil, au fil des jours. Elle a perdu de son lustre d’antan. Elle part en lambeaux. Des centaines de bâtisses se sont effondrées. D’autres sont sur le point de s’affaisser sous le poids du temps, des intempéries, de l’abandon des propriétaires qui détiennent plus de 85% des biens immobiliers du quartier, de la démission des « casbadjis » (enfants du quartier), de la désinvolture des habitants et l’indifférence des autorités alors qu’elle est classée, depuis 1992, patrimoine universel sur les tablettes de l’Unesco.
    « Il n’y a rien à faire, la  Casbah est vouée à la disparition. Son sort est sellé. Elle sera, tôt ou tard, rayée de la carte. Il faudra un plan ORSEC et une sorte de plan Marshall si on veut réellement sauver ce qui reste encore à sauver de ce
    quartier. Ce qui n’est malheureusement pas le cas aujourd’hui, » nous confie, dépité,  Sid-Ali, un enfant de la Casbah.
    Debout sur un talus de gravats d’une maison effondrée, Sid-Ali contemple, l’œil triste, à une centaine de mètre plus bas, une autre bâtisse complètement délabrée, lézardée sur ses flancs nord et ouest. Elle menace de s’affaler à tout moment. « C’est là que j’habite avec ma famille. Lorsqu’il y a de fortes chutes de pluie, on reste, ma famille et les familles voisines, éveillé, prêts à déguerpir au moindre bruit, » dit-il. Toutes ses demandes, toutes ses démarches auprès des autorités pour obtenir un logement social sont restées lettre morte. Il attend toujours une réponse. « Balak iferredj rebbi, » lâche-t-il avec amertume.
    A quelques pattés de maisons de là, un enfant d’une dizaine d’années, agenouillé à même le sol, fait ses devoirs scolaires sur un coin d’un long banc servant de fauteuil le jour et de lit la nuit. Il n’y a ni chaise, ni table. Ses livres, cahiers, crayons et stylos sont éparpillés par terre. Une image poignante.
    L’enfant, l’avenir du pays, dit-on, ne dispose que de cet endroit pour lire, écrire et apprendre ses leçons. Sa famille, composée de cinq personnes, vit dans une seule pièce au rez-de-chaussée d’un immeuble délabrée. Une pièce servant à la fois de cuisine, de salle à manger et de chambre à coucher. Son frère ainé, étudiant dans une université à Alger est logé par un de ses amis étudiants dans une piaule à la cité universitaire. Il vient presque chaque jour, mais juste pour avoir des nouvelles de la famille, surtout de son père, sans ressources et atteint d’une maladie chronique.
    « Entrez, je sais que vous ne pouvez rien faire pour nous. Mais regarder, rapporter dans votre journal le réduit dans lequel nous vivons depuis de longues années ; depuis que notre logeur nous a mis dehors et récupéré sa maison afin de la restaurer, » dira Mériem, la mère de famille, une femme d’environ 50 ans. De nombreuses familles sont dans ce cas, vivant dans des conditions dramatiques.

    Les plans se bousculent, la Casbah dépérit

    Pour elle, comme pour un grand nombre d’habitants de la Casbah, les programmes de logements mis en œuvre et réalisés par le gouvernement sont un mirage. Ils ont été détournés en partie de leur trajectoire. Ils ont profité surtout,
    estime-t-elle, aux nantis, à ceux qui sont déjà bien logés, dont certains sont propriétaires de très belles bâtisses à la Casbah même ou dans périphérie d’Alger.
    Au-delà du problème, crucial, du recasement de ses habitants, la Casbah, qui compte au bas mot entre 60.000 et 70.000 habitants, prend, chaque jour que Dieu fait, un coup de vieux. Elle s’effrite de toutes parts. Le diagnostic est établi depuis des décennies, mais le remède, le vrai, tarde à venir. Les différents plans de sauvegarde, de restauration et de réhabilitation des maisons lancés jusqu’ici n’ont pas abouti aux résultats souhaités, prévus sur le papier, contenus dans les dossiers.
    Sid-Ali, comme beaucoup d’autres « casbadjis » n’est pas convaincu du nouveau plan de sauvegarde et de réhabilitation mis en œuvre depuis 2007 par les autorités. « C’est de la poudre aux yeux. Dans quelques temps, d’autres responsables viendront proposer, à leur tour, d’autres plans qui connaîtront le même sort. On tourne en rond depuis plus de 30 ans maintenant, » estime-t-il.
    Sid-Ali, la soixantaine bien tassée, rappelle le cas des précédents programmes, tel celui lancé en 1979 avec l’aide de l’Unesco. Celui-ci s’articulait autour des objectifs suivants : préservation des sites historiques, recréation de la tradition de convivialité à travers la reconstruction de cent trente (130)
    douérate (maisons), la création d’espaces commerciaux et culturels (bibliothèques, centre culturels, centre de santé etc.) Le tout devait être réalisé « dans la perspective d’intégration de la vieille ville à la nouvelle, dans le respect de son entité et de son cachet », selon les promoteurs du projet.
    Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. D’autres plans et d’autres programmes de sauvegarde de la  Casbah ont été élaborés, parfois mis en œuvre. Mais aucun d’eux n’a atteint son objectif. Leur réalisation fut parfois interrompue par
    d’autres programmes, eux-mêmes stoppés net par d’autres projets.
    L’un des plans mis en œuvre au début des années 80 avait provoqué un tollé et une vive polémique. Un groupe de jeunes architectes algériens s’était levé contre les démolitions prévues dans le cadre de ce projet dans l’ilot-test Lallahoum, près
    de mosquée Ali Bitchin, dans la basse Casbah. Pour lui, la démarche était « en contradiction totale avec les principes de préservation des quartiers anciens, préconisée par l’Unesco ».
    Ce groupe d’architectes accusait le maître de l’ouvrage de vouloir faire « place nette en rasant au sol sur toute la superficie de l’ilot ». Ce qui fut fait, d’ailleurs. Les autorités de l’époque avaient répliqué en soutenant que l’ilot en question, qui faisait pourtant partie du tissu urbain traditionnel, ne présentait aucun intérêt historique.
    Ce projet, qui était encore en cours de réalisation à la fin des années 80 et début des années 90, prévoyait la démolition de plusieurs centaines de bâtisses, dont 130 furent rasées à fin avril 1988. Entre 1980 et 1989, plus de 160 bâtisses furent démolies. Les opérations d’urgence de rénovation engagées à l’époque ne concernaient que 58 bâtisses seulement. Une dizaine d’entre elles avaient été rénovées, dont le palais des Raïs, plus connu sous le nom de « Bastion 23 », qui a été restauré selon les normes.
    La Casbah d’Alger comptait 17ème siècle 12.200 « très jolies » maisons. Chacune d’elle disposait, généralement, de son puits et aussi d’une citerne d’eau, peut-on lire dans « La vie à Alger les années 1600 » de l’historien espagnol Diego de Haëdo.

    Les dégâts d’hier et d’aujourd’hui

    La destruction, à grande échelle, a commencé au lendemain de la prise d’Alger, en 1830, par les troupes coloniales françaises du maréchal de Bourmont. Trente ans plus tard, un auteur français, Ernest Feydeau, établissait un constat ahurissant sur les dégâts subis par la Casbah d’Alger. « On l’a trop abimé, beaucoup enlaidi, à moitié détruite ; et le malheur, c’est que les seuls européens ont à se reprocher ces actes de vandalismes », relevait-il dans son livre « Alger, étude » (1862). Durant la même période, 155 mosquées, chapelles, mausolées et zaouias sur les 176 existants furent rasés. Alger et ses environs comptaient la veille de l’invasion coloniale plus de 200 mosquées, zaouias et écoles coraniques, selon une liste dressée par l’historien français Albert Devoulx dans son livre « Les édifices religieux de l’ancien Alger » (1870).
    Le Génie militaire avait rasé, en l’espace de quelques décennies, entièrement la basse Casbah, l’ensemble des bâtisses situées entre le rue Bab-Azoun, la rue Bab El-Oued et le quartier de la Marine. Il avait éventré la ville en construisant les rues de Chartres, de la Lyre, Randon et le boulevard de la Victoire.
    « C’est un crime d’avoir éventrée cette vieille Casbah, palais des Deys, d’avoir jeté bas les fortins turcs, démoli une partie des mosquées, remplacées par des bâtisses bêtes, qui font tâche au milieu du paysage et du climat, » écrivait Hugues Imbert, écrivain français, dans un livre intitulé « Quatre mois au Sahel, lettres et notes d’Alger » (1888). « Aujourd’hui éventrée, mutilée, traversée par une route, ajoutait-il, elle conserve, malgré les injures des hommes et du temps, un fier aspect ».
    Cinquante ans après l’accession de l’Algérie à l’indépendance, « Djazaïr Beni Mezghenna », continue de poser problème pour sa sauvegarde et la restauration de ses bâtisses. Sur les 8.000 bâtisses recensées en 1830, il n’en restait que 1.700 aux premiers jours de l’indépendance. Les statistiques sur le nombre des bâtisses existant actuellement à la Casbah fluctuent. Elles diffèrent d’une source à une autre, d’un organisme et d’une association à l’autre. Elles varient entre 500 et 800, selon des associations pour la sauvegarde du quartier.
    Ce qui est sûr, c’est que les bâtisses existantes sont toutes, à des degrés divers, affectées par l’usure du temps et l’indifférence des hommes. Ce que démontre, chiffres à l’appui, le diagnostic élaboré par l’Office de gestion et l’exploitation de biens culturels protégés (OGEBCP). Celui-ci a révélé que pas une bâtisse n’est indemne : 30% sont dans un état de dégradation très avancé, 50% dans un état de détérioration moyen ou superficiel, 10% sont en ruine et 10% fermées ou murées.
    La situation est donc alarmante. Elle l’est encore davantage lorsque le pilote du plan de sauvegarde et de réhabilitation de la Casbah, M. Abdelouahab Zekagh, directeur de l’OGEBCP, affiche ouvertement son pessimisme. « Depuis trente ans que nous parlons de la Casbah, classée patrimoine mondial, nous ne savons pas, à ce jour, comment faire pour gérer et exploiter ce bien culturel », dira-t-il lors d’une conférence de presse en janvier dernier 2011. En attendant, d’autres bâtisses risquent de rejoindre la liste de celles déjà rayées du tissu urbain et architectural de la Casbah d’Alger.

    M.A. Himeur


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  • Par Mohamed Arezki Himeur,
    (publié dans le magazine Tassili, Alger)

    A Ouargla, porte du désert, à 845 km au sud d’Alger, ne faites pas la moue, ne vous étonnez pas si on vous propose, dans l’un des restaurants de la ville, du poisson frais. L’offre est tout ce qu’il y a de plus sérieux. Elle n’a rien d’un canular, d’une plaisanterie. Le maître d’hôtel ou le serveur ne se paie votre tête, ne vous fait pas marcher, comme on dit. Pour mieux vous convaincre, on vous présente la grosse pièce parfois bien vivante, baignant encore dans un aquarium.
    Le plat est du reste mentionné sur le menu, aux côtés des autres mets du jour à base de viande rouge ou blanche. Bien évidemment, ce ne sont pas du merlan, du rouget de roche, de la crevette royale, du mérou ou de la raie qui vous sont proposés. Mais d’autres espèces de poissons d’élevage connues sous les noms de tilapia, d’artémia, de poisson-chat entre autres.
    En vérité, le poisson n’est pas le trait caractéristique d’Ouargla. Il est pour ainsi dire anecdotique devant le paysage, le décor, les dunes, les oasis de palmeraies, les vastes étendues désertiques, les sites historiques et touristiques que la ville et ses environs offrent aux visiteurs.
    « Changer d’air, ce n’est pas changer de village ou de ville côtière, prendre de l’altitude en grimpant sur les cimes des montagnes. Ouargla vous propose un autre panorama, vous fait découvrir d’autres espaces, vous fait baigner dans
    un autre climat, une autre ambiance moins trépidante, surtout moins stressée que celles des grandes villes du nord du pays », nous confiera Ahmed, restaurateur, originaire de la région de Tizi Ouzou, installé depuis plus d’une décennie dans la région.
    Il est vrai que le visiteur ou le touriste qui débarque pour la première fois à Ouargla aura du mal à trouver ses marques. Il doit s’approcher des habitants de souche, du reste serviables et accueillants, pour se renseigner sur les sites, monuments, quartiers, marchés, oasis, dunes, chotts et lacs à visiter, même s’ils ne sont pas mis en valeur dans leurs prestations par les agences et associations touristiques.
    Parce que la région d’Ouargla compte, elles aussi, des endroits qui méritent un détour, à l’image des ksour de Ouargla-ville, de N’goussa, de Sidi Khouiled, d’El-Hadjaj, de Temacine, de Touggourt ou encore des vestiges de la ville de Sédrata,
    aujourd’hui disparue, et des sépultures des rois ayant régné dans la région.
    Elle compte aussi des réserves protégées, « lieux de croissance d’une riche flore » et endroit « de prédilection de multiples espèces faunistiques, de mammifères, de reptiles et d’oiseaux ». Le visiteur peut, au détour d’une dune ou d’un palmier, tomber nez à nez avec un fennec, un renard ou un lézard du désert. Inutile de parler du chameau, dont le Sahara en constitue la planète naturelle.

    Des atouts indéniables

    Les potentialités touristiques d’Ouargla sont indéniables. Les autorités en sont conscientes. Elles ont retenue, depuis 2005, six zones d’expansion touristiques dans les communes de Hassi Ben Abdellah, N’goussa, El-Hedjira et
    Tabesbest. Les zones humides, comme les lacs salés, les sebkhas, les chotts, les plans d’eau et les oasis, sont autant d’atouts susceptibles de captés, plus tard, une fois les commodités réunies, le tourisme national et étranger.
    Mais les opérateurs semblent faire défaut. Ils ne se pressent pas au portillon. Ils sont plutôt attirés par le littoral. Peut-être par méconnaissance des perspectives de ce type de tourisme.
    Comme pour la majorité des grandes villes et régions du pays, Ouargla et sa région ne disposent pas de guides ou brochures sur ses atouts touristiques. L’Office national du tourisme (ONT) présente Ouargla comme « une immense oasis dont la palmeraie compte plus d’un million et demi de dattiers (…) Les ksour sont nombreux, comme celui de Ouargla et de N’goussa où se trouvent les tombeaux de Sidi Belkheir Echetti et Sidi Ahmed Belabbès (…) Le Musée, avec son exposition sur l’artisanat des différentes régions, les reproductions des périodes historiques et préhistoriques, sa place du marché et le vieux ksar témoignent de l’attachement de cette cité à son passé ». Le texte, même s’il est accompagné de belles photos, fournit peu de renseignements sur la région. Ses sites et monuments touristiques étant évoqués brièvement.
    Arrêt sur image. Sur le mur d’une salle de conférence d’un hôtel de Ouargla, on peut observer une vielle photographie du marché du bois de la ville. Le marché existe encore. Il grouille de monde. Mais à la place du bois, on y vent de la
    pierre, des roses des sables pour être précis. Objets d’ornementation appréciés par les touristes et les visiteurs de passage.
    Plus loin, un autre petit marché, comptant quelques étals, proposent des dattes de différentes espèces, dont l’une, de couleur noire, la moins chère de toutes les variétés, est recommandée pour les personnes souffrant de rhumatisme, selon
    un vieux marchand.
    La ville est coupée en deux par une route nationale à deux voies plantée de part et d’autre de palmiers. Le premier tronçon est dénommé avenue du 1er novembre 1954 et le deuxième, qui est le prolongement du premier, est baptisé
    avenue de la Palestine. Une longue et large artère commerciale parsemée de terrasses de cafés affichant complets une bonne partie de la journée.
    C’est vrai que Ouargla est l’une des plus importantes villes du sud algérien. C’est la plus riche aussi grâce aux gisements pétroliers de Hassi Messaoud. Elle grandit et s’élargit au fil des jours. Elle compte de nombreux établissements
    hôteliers de différentes catégories, dont certains n’ont rien à envier à ceux des grandes villes du nord du pays en matière de prestations et de services. Dans l’un d’eux, chaque chambre est équipée d’un ordinateur.

    Place commerciale entre le Nord et le Sud du Sahara

    Dans les temps anciens, Ouargla fut florissante. « Des jardins immenses, des palmiers et arbres fruitiers, des cultures de céréales s’étendaient au loin, fécondés par des puits jaillissants d’une grande abondance », peut-on lire dans un livre datant de 1868.
    Le khalif hafside Abou Zakaria, qui la visita en 1328, fut « frappé par la grandeur de cette cité et y fut construire une mosquée », selon Alfred Moulin, auteur de « l’Afrique à travers les âges » (1914). Un autre auteur, décrivit Ouargla entourée de « beaux jardins, constamment arrosés, produisant le raisin, l’abricot, la pêche, la figue et principalement la datte qui fait la richesse du Sahara. »
    La ville aurait été fondée par une femme portant le nom de Ouargla au 12ème siècle, d’après Alfred Moulin. « Dès 1230, elle entrait si bien en relation avec le monde civilisé qu’elle signa un traité de commerce avec les Pisans, puis avec les Génois (1236), les Vénitiens (1251), les Florentins (1252) et les Français (1272) », écrivait-il dans son livre. Il est, à
    notre connaissance, le seul à avoir avancé cette hypothèse sans en préciser ses sources. « En 1655, les Turcs pillèrent la ville qui dès lors commença à décliner », ajoutait-il.
    Toujours est-il que sa fondation remonte loin dans le temps. Un naturaliste français, M. Thomas, avait trouvé « tout un atelier de silex taillés, c’est-à-dire d’armes et d’outils propres aux peuplades antihistoriques », rapportait le journal La Presse dans son édition du 30 octobre 1877.
    « Cet atelier semble avoir été affecté à la fabrication des armes de guerre ou de chasse car on y trouve beaucoup de pointes de flèches en silex blanc, jaune et noir, forts petits, taillées en forme de harpon, à pointe longue et effilées. Elles portent, à leur base élargie, deux arêtes aigues dirigées en arrière, entre lesquelles se trouve une petite tige destinée à
    l’implantation de l’arme dans le bois de la flèche », selon le journal.
    « De nombreux débris d’œufs d’autruche sont mêlées à ce silex ; des grattoirs, des scies et des couteaux s’y trouvent également », ajoutait-il.
    Ouargla fut, pendant une très longue période, le passage obligé des voyageurs se rendant vers le Soudan, actuel Niger. « En 1353, Ibn Khaldoun vît à Biskra un ambassadeur du seigneur de Takedda, ville importante d’Afrique centrale, avec laquelle Ouargla faisait un grand commerce », écrivait Henri Duveyrier dans « Les Touaregs du Nord : exploration du
    Sahara » (1864).
    Après la disparition de Takedda « comme place commerciale, Ouargla commerçait avec Agadez ». Ce fut à l’époque de Jean Léon (XVIème siècle), plus connu sous le nom de Léon l’Africain. Même si elle a perdu son statut de place commerciale entre l’Afrique du Nord et certains pays subsahariens, elle demeure, aujourd’hui encore, le passage obligé pour un grand nombre d’automobilistes et de voyageurs se déplaçant entre les versants sud et nord de l’immense désert
    du Sahara.

    M. A. H


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