• Zoubga: la "petite République" de la montagne

    Par Mohamed Arezki Himeur
    (Notre Afrik, magazine panafricain, février 2014)
    Zoubga est un village modèle, bien organisé. C’est une « petite république », avec son Assemblée élue (tajmat), un Comité exécutif, son président,  ses élus, ses lois et ses règlements. Cette organisation sociale ancestrale a été réactivée au milieu des années 1980. Le Comité exécutif, composé d’un peu plus d’une vingtaine de membres, tous bénévoles, est chargé de la gestion quotidienne des affaires internes et externes du village. Il compte plusieurs commissions chargées, chacune, de tâches et d’objectifs biens précis.
    Zoubga: la "petite République" de la montagne
    « Arrêt à Zoubga, un des plus beaux villages de la Kabylie du Djurdjura, enfoui dans la verdure, sous de grands arbres, au pied d’un des contreforts de l’Azro N’thor », peut-on lire dans un Guide touristique datant de 1901. Plus de cent dix ans (110) ans plus tard, Zoubga conserve jalousement l’image d’un village accueillant et remarquable. Les mutations subies depuis, les transformations architecturales de ses bâtisses, l’intrusion de la modernité dans les foyers n’ont nullement altéré la topographie des lieux et la courtoisie de ses habitants. Le visiteur, l’étranger est accueilli par la formule consacrée de « soyez le bienvenu. »
    Zoubga est un village montagneux de la région de Tizi Ouzou, en Kabylie, à 170 km à l’est d’Alger. La route depuis Tizi Ouzou, longue de 70 km, monte en zigzag jusqu’au village que surplombe du haut de ses quelques 1.900 mètres d’altitude le massif d’Azrou N’thor (rocher du Zénith). La placette, au milieu de laquelle trône un arbre géant, constitue le lieu de rencontres des habitants. Elle est entourée d’une mosquée, d’un bâtiment abritant une petite bibliothèque, le bureau du Comité du village et ceux de deux associations culturelle et sportive, et une cabine téléphonique publique. Un tableau d’affichage vitré placardé sur un mur d’une vielle bâtisse renseigne sur les dernières dispositions et mesures prises pour le bon fonctionnement du village.
    Zoubga: la "petite République" de la montagneLe regard du visiteur est attiré par une statue grandeur nature en bois d’un homme entrain de fabriquer des ustensiles de cuisine dans la même matière. Le travail du bois constituait, autrefois, la  principale activité économique du village. Les produits fabriqués étaient vendus sur les marchés de la région. Ils étaient appréciés et demandés. Cette activité n’est plus pratiquée aujourd’hui. Elle a disparu sous les coups de boutoirs des ustensiles en métal et en plastique. Les assiettes, les cuillères et les louches en bois servent, aujourd’hui, de décoration dans les foyers et les restaurants.
    Zoubga n’a pas usurpé sa réputation. Il est propre comme un sou neuf. Pas le moindre détritus dans ses étroites et sinueuses ruelles. II n’a pas volé non plus le prix du village le plus propre de la région de Tizi Ouzou qui lui a été décerné en octobre dernier par l’Assemblée populaire de wilaya (APW, Conseil régional).
    Certaines des personnes assises sur les bancs de la placette du village portaient le burnous. Cette cape traditionnelle, fabriquée avec de la laine de mouton et de brebis et pourvue de capuchon pointu, disparaît du paysage en été.  Son apparition annonce déjà l’arrivée de l’hiver. Une saison que les habitants appréhendent, parce qu’elle est faite de froid glacial et d’importantes chutes de neiges qui rendent difficiles, parfois impossibles, tout déplacement hors du village.
    D’ailleurs, comme à l’accoutumée, les habitants ont déjà pris, dès la fin de l’été, toutes les dispositions nécessaires pour rendre moins pénible la traversée de la saison hivernale. Ils ont fait le plein de provisions en produits alimentaires. Les réserves en semoule et légumes secs  ont été renouvelées. Les cuves de mazout pour chauffage sont remplies à ras-bord. Les stocks de bois de chauffe ont été renouvelés pour éventuellement prendre le relais au cas où le mazout venait à manquer. Les bouteilles de gaz butane utilisées pour la cuisine ont été remplies et entreposées dans des réduits de la maison.

    Zoubga: la "petite République" de la montagne

     A Zoubga, comme dans tous les villages montagneux, l’hiver est rude et les habitants sont coupés du reste du monde pendant plusieurs jours par de fortes chutes de neige atteignant, par endroit, plus de deux mètres de hauteur.
    En attendant, ses habitants continuent, depuis le 13 octobre dernier, de savourer leur victoire. Leur village, abritant quelques 1.300 âmes, a décroché, pour la deuxième fois depuis 2007, le trophée du village le plus propre de la région de Tizi Ouzou, en Kabylie, qui compte plus de 1.400 villages, 67 communes et  21 daïras (sous-préfectures).
    L’événement avait donné lieu à une grande fête : offrande de couscous pour les habitants et les visiteurs et concerts de musiques. Ça en vaut le coût. Car le prix décroché est assorti d’un montant de cinq millions dinars (50.000 euros) octroyé par l’Assemblée populaire de wilaya (APW, Conseil régional). Une somme qui permettra au village de réaliser de nouvelles infrastructures collectives.
    Cette deuxième consécration n’est pas tombée du ciel. Elle a été obtenue grâce à la volonté, la mobilisation, la discipline et le respect des règles régissant la gestion du village. Des règles consignées dans un petit livret adoptées en plénière, lors d’une Assemblée générale des habitants.
    Le wali (préfet) de Tizi Ouzou, Abdelkader Bouazghi, avait  qualifié ce concours du village le plus propre d’ « excellente » initiative et l’avait « applaudie et soutenue de toutes ses forces ». « Je place l’environnement au même niveau que le développement de la wilaya (département), car la situation est dramatique à Tizi Ouzou en matière d’écologie et surtout de gestion des déchets », avait-il souligné lors de la remise du prix.
    En fait, Zoubga a pris, sur ce plan-là, une longueur d’avance sur un grand nombre de villes et villages d’Algérie, y compris sur les autorités. La protection de l’environnement figure, depuis toujours,  parmi les préoccupations et les priorités de ses habitants, mises en pratique sur le terrain par le Comité du village.

    M.A. Himeur

    ENCADRE

    Zoubga : un petit village, de grandes réalisations

    Zoubga est un village modèle, bien organisé. C’est une petite république, avec son Assemblée élue(tajmat), un Comité exécutif, son chef, ses élus, ses lois et ses règlements. Cette organisation sociale ancestrale a été réactivée au milieu des années 1980. Le Comité exécutif, composé d’un peu plus d’une vingtaine de membres, tous bénévoles, est chargé de la gestion quotidienne des affaires internes et externes du village. Il compte plusieurs commissions chargées, chacune, de tâches et d’objectifs biens précis.
    Ainsi, la commission d’arbitrages et de règlements a pour mission de trouver des solutions aux différends pouvant surgir entre des habitants. Le rôle de celle des affaires sociales est d’apporter aide et assistance aux démunis. Une autre commission est chargée de la réalisation et du suivi des projets sociaux, culturels et économiques adoptés par les villageois. Ces projets sont financés sur les fonds propres du village. Les investissements sont parfois très lourds.
    A titre d’exemple, la réalisation d’une adduction d’eau potable, longue d’environ 6 à 7 kilomètres, a coûté un peu plus de cinq millions de dinars (50.000 euros).
    Zoubga: la "petite République" de la montagne
    La construction (en cours) d’un centre culturel de trois étages engloutira 1,5 milliards de dinars (150.000 euros). L’achat de la pierre bleue ayant servi au dallage des ruelles du village a nécessité deux millions de dinars (20.000 euros). La construction d’un stade, la création d’un centre de santé et d’une crèche, l’achat d’un tracteur à beine pour le ramassage des ordures ont été financés par le village. C’est le village aussi qui paie les salaires de l’infirmière du centre de santé, du conducteur de l’engin de ramassage des ordures et des employées de la garderie d’enfants.
    La caisse de Zoubga est alimentée essentiellement par des cotisations annuelles des habitants fixées à 1.800 dinars (10,8 euros) par famille, des bienfaiteurs  du village et des dons collectés une fois par an à l’occasion d’une fête religieuse organisée sur sommet d’Azrou N’thor (rocher du Zénith). Le gros des fonds provient des expatriés du village établis notamment en France. Les travaux de réalisations des projets sont assurés gratuitement par les habitants, dans le cadre de campagnes de volontariat « obligatoire » pour tous.
    En vérité, les habitants de Zoubga n’ont rien inventé. Cette forme d’organisation sociale existe depuis des millénaires dans l’ensemble des villages de Kabylie. Ils ne font que continuer dans la voie tracée par leurs ancêtres, en remettant au gout du jour les règles et lois régissant les devoirs et les droits de chacun et de tous. Ces dispositions ont été actualisées et réaménagées en tenant compte des mutations et exigences d’aujourd’hui.
    Zoubga: la "petite République" de la montagneEn effet, s’il était permis, autrefois, à un habitant de jeter des ordures dans son propre champ, aujourd’hui cette pratique est prohibée et sanctionnée d’une amende de 1.000 dinars (10 Euros). Ceci est valable aussi pour un habitant qui jette ne serait-ce qu’un bout de papier sur la voie publique. Le fautif est puni d’une amande de 200 dinars (2 euros). Cette démarche explique la propreté permanente du village et de ses alentours. Tout le monde y participe : les femmes, les hommes et les enfants.  

    M.A. Himeur
     

     


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