• Par Mohamed Arezki Himeur

    Le Cap, bimensuelle, Alger


    Une hirondelle ne fait pas le printemps, dit-on. Tout au plus annonce-t-elle sa prochaine arrivée. C'est le cas pour le bijou d'Ath Yenni.La fête du même nom, dont la 8ème édition s'était déroulée fin juillet, n'a pas dissimulé les difficultés auxquelles sont confrontés les artisans bijoutiers de cette commune. Leur activité séculaire, transmise de père en fils depuis des générations, baigne dans la tourmente.
    Elle traverse une sérieuse crise. Elle est menacée, à plus ou moins longue échéance, de disparition, estiment les plus sceptiques. Non pas par la cherté du bijou, dont le prix a effectivement prix l'ascenseur depuis quelques années, mais surtout par l'exode rural.
    Ce phénomène, qui affecte de nombreuses régions du pays a pris, ici aussi, des proportions inquiétantes. Il suffit de marcher à travers les ruelles étroites et escarpées d'Ath Lahcène, Taourirt Mimoune, Aït Larbaâ notamment et de discuter avec des habitants pour constater que les villages de la commune se sont vidés et continuent de se vider de leurs populations.
    Le constat fait sur Ath Yenni est différent de celui qu'on peut établir ailleurs, dans d'autres villes et communes. Car les Ath Yenni étaient, autrefois, une tribu très riche. «Ils étaient les plus argentés de Kabylie», disait-on. Les familles vivaient, dans leur majorité, dans une certaine aisance grâce à cet art traditionnel qu'est la bijouterie en argent.
    Les Ath Yenni ont subi une véritable saignée. Au dernier recensement, la commune comptait environ 5 700 habitants, contre quelque 8 000 habitants une dizaine d'années auparavant.
    Assis dans un coin de la djamaâ (tajmayt), un lieu de rencontre des villageois, un vieillard lança un jour à ses voisins du même âge : «On n'a plus le droit de se disputer». Une façon de les exhorter à entretenir de bons rapports pour le temps qui leur reste encore à vivre, dans un village déserté par une partie de ses habitants. Cette réflexion peut faire rire. Mais elle reflète, malheureusement, une triste et amère réalité. Celle d'un village qui dépérit, qui a perdu sa force vive : la jeunesse.
    Autre signe qui montre la gravité de l'exode rural : l'école. A Ath Yenni, deux établissements scolaires ont déjà fermé leurs portes «faute d'effectifs scolaires». D'autres établissements sont sur le point d'en faire autant. «A cette allure, il ne restera que 2 écoles pour toute la commune d'Ath Yenni : celle d'Ath Lahcène qui accueillera les élèves du village et ceux d'Ath Larbi, et celle de Taourirt Mimoune qui prendra en charge les élèves des autres villages de la commune», selon Mohand Ouramdane Djennane, membre du comité d'organisation de la dernière fête du bijou d'Ath Yenni.
    Autrefois, chaque village de cette commune disposait de sa propre école. Mais au train ou va l'exode rural, et la dénatalité, les écoles de Tigzirt et Taourirt El-Hadjadj seront tôt ou tard contraintes de mettre la clé sous le paillasson. Celle du village Agouni Ahmed a déjà fermé faute d'élèves. L'établissement a été transformé, excellente initiative, en centre de formation professionnelle.
    Bien sûr, les autres communes de la daïra d'Ath Yenni, à savoir Yatafen, Tassaft et Iboudrarne, sont, elles aussi, frappées de plein fouet par le phénomène de l'exode rural. «Nos communes n'arrivent pas à retenir les habitants sur place, faute d'emplois. Moi aussi je ne resterai pas ici. Une fois mes études universitaires terminées, je m'installerai à Tizi Ouzou ou ailleurs», nous a confié Karim, un enfant d'Iboudrarène, rencontré à la dernière fête du bijou.
    La commune d'Ath Yenni n'a pas connu de développement pouvant sédentariser ses habitants. «Ceux qui ont les moyens ont quitté la commune», a estimé Saïd, un jeune homme d'une vingtaine d'années. Parmi ceux qui sont partis figurent de nombreux artisans bijoutiers. Ils ont abandonné leur métier pour une autre activité plus lucrative, leur permettant de subvenir aux besoins de leurs familles. Car, la bijouterie ne fait plus vivre son homme aujourd'hui, répète-t-on à Ath Yenni.
    Certains se sont convertis en épiciers, d'autres ont déniché du travail dans des entreprises ou dans des services de l'administration. «C'est avec le cœur lourd que des artisans bijoutiers ont abandonné le métier qui leur a été légué par leurs ancêtres, un art qui s'est transmis de père en fils depuis des générations», dira Youcef Sadeg, vice-président du comité communal des fêtes d'Ath Yenni.


    Bijoutiers reconvertis en épiciers


    On n'abandonne pas une activité qu'on exerce depuis des décennies de gaîté de c?ur, sans peine. Les artisans qui s'accrochent encore à ce métier ancestral éprouveront des difficultés à faire passer le flambeau aux générations futures. «Le bijoutier n'arrive plus à nourrir correctement sa famille. Autrefois, le bijoutier était vraiment à l'aise. Il gagnait assez bien sa vie. Maintenant, plus rien. Il se débat, au quotidien, dans des difficultés», selon M. Sadeg.
    Des difficultés multiples : cherté de la matière première (l'argent est passé à 50 000 DA le kg), du corail et de l'émail. Trois produits essentiels pour la fabrication d'un bijou en argent. En plus de sa cherté, le corail se fait de plus en plus rare depuis que sa pêche est interdite en Algérie. Le bijou d'Ath Yenni est apprécié pour ses motifs et surtout pour sa qualité. Sa particularité, nous a confié un artisan, réside dans le fait qu'il est fabriqué avec de l'argent de premier choix, qu'on appelle dans le jargon des bijoutiers le 950 (sur 1 000), alors qu'ailleurs, l'argent utilisé est de 2e ou 3e choix, c'est-à-dire du 700, 750 ou du 800 sur 1 000.
    Les artisans d'Ath Yenni désirent préserver le label, la notoriété de leurs produits. «Une notoriété qui a dépassé les frontières du pays», selon M. Madjid Chérifi, président-directeur général de l'Entreprise nationale de transformation et de distribution des métaux précieux (Agenor) rencontré à la fête du bijou d'Ath Yenni. Son entreprise accompagne depuis des décennies les bijoutiers d'Ath Yenni. Elle entretient de très bonnes relations avec chacun d'entre eux. Mais, malheureusement, elle ne peut agir sur le coût de l'argent. Celui-ci est fixé sur les bourses étrangères.
    Les artisans ne cessent de lancer des cris de détresse. Ils réclament l'aide des pouvoirs publics. « Si la crise perdure, on va irrémédiablement vers la disparition du bijou d'Ath Yenni. Il faudra que les autorités se penchent sérieusement sur la corporation des bijoutiers. C'est une profession ancestrale, on ne veut pas qu'elle disparaisse », clament des artisans de la commune. «Ce ne sont pas des orfèvres qui travaillent l'or et le diamant. Ce ne sont que de pauvres artisans qui travaillent chez eux, dans un petit atelier sordide de 4 mètres carrés », dira M. Sadeg. L'aide souhaitée peut prendre plusieurs formes, par exemple, l'allègement de la fiscalité, la réduction du montant de la taxe du poinçon etc. Les promesses d'aide et de soutien des pouvoirs publics tardent à se concrétiser sur le terrain.
    Pendant ce temps, la bijouterie d'Ath Yenni perd chaque jour du terrain. Des artisans continuent d'abandonner l'activité. Ceux qui s'y accrochent arrivent difficilement à joindre les deux bouts. Un grand nombre d'entre eux ont déjà rendu leurs registres de commerce et leurs cartes d'artisan, parce qu'ils n'arrivent plus à s'en sortir. C'est le cas pour plus de la moitié des quelque 350 artisans bijoutiers exerçant durant des années dans la commune.
    Certains préconisent un programme de soutien à cette activité. Parce qu'elle fait nourrir de nombreuses familles des différents villages de la commune. «Le bijou d'Ath Yenni mérite bien ça. C'est un patrimoine qu'il faudra préserver. Mais si on ne fait rien, ce patrimoine va disparaître. Et ça sera dommage», dira Malika, étudiante à l'Université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou. Elle avait fait le déplacement à Ath Yenni, lors de la fête du bijou, pour acheter des bijoux à offrir à une amie qui a convolé en justes noces.
    Les difficultés des artisans d'Ath Yenni ne résident pas seulement dans la cherté de la matière première (argent, corail et émail). Elles découlent plutôt de l'insécurité créée par la présence des groupes armés islamistes depuis plusieurs années. Les touristes étrangers, et même locaux, ne vont plus, comme autrefois, à Ath Yenni pour visiter les boutiques, avant de repartir avec des bijoux à la main et quelques billets dans le tiroir-caisse de l'artisan.


    Le terrorisme a tué le bijou et poussé les artisans vers l'exode


    C'est le terrorisme qui a fait basculer la bijouterie dans la tourmente actuelle. «Nous sommes obligés de nous déplacer à travers le territoire national pour écouler nos produits, alors qu'autrefois ce sont les clients qui venaient chez nous», dira un artisan. Pour lui, la fête du bijou constitue une excellente initiative. Parce qu'elle permet aux artisans, une fois par an, d'améliorer quelque peu leur chiffre d'affaires, qui peut atteindre parfois le maigre montant réalisé tout au long de l'année.
    Pour le patron de l'Agenor, M. Chérifi, la fermeture de certains ateliers de fabrication de bijoux à Ath Yenni n'est pas liée à la cherté de la matière première. «On ne peut pas dire que cette fermeture est due véritablement au coût de la matière», relève-t-il. « Même si les coûts sont élevés, les gens ont toujours acheté des bijoux. Et le bijou d'Ath Yenni a une grande importante, parce qu'il véhicule un fond historique, culturel et sentimental», selon lui.
    L'arrêt d'activité qu'observent aujourd'hui bon nombre d'artisans résulte donc «du climat d'insécurité existant dans la région. Un climat qui décourage la venue des touristes, notamment étrangers, et qui se répercute sur l'activité de la bijouterie en argent, autrefois principale source de revenus d'une partie des habitants de la commune», estime Si Brahim, un enfant d'Ath Yenni, ancien fonctionnaire aujourd'hui à la retraite.
    Les artisans d'Ath Yenni gardent tout de même espoir. Beaucoup d'entre eux pensent que la situation pourrait s'améliorer, plus tard, une fois la sécurité revenue dans la région, que les automobilistes et les voyageurs pourraient se déplacer sans risque de tomber, au détour d'un virage, sur un faux barrage routier dressé par des «barbus».
    Mais une telle analyse n'est pas transposable aux autres zones et régions de Kabylie affectées par le phénomène de l'exode rural. Dans ces derniers cas, ce sont des programmes de développement qu'il faudra élaborer et mettre en œuvre pour stabiliser, sédentariser les populations des villages, ou ce qu'il en reste encore, parce que beaucoup ont déjà « fait leur vie ailleurs», dans les grands centres urbains.
    Une telle démarche passe par une politique d'aménagement du territoire qui prenne en compte, réellement, les spécificités des zones rurales et l'aspiration de leurs habitants à une vie descente. Une réflexion qui revient à chaque fois qu'on aborde la question de l'exode rural et du développement des zones rurales.
    Cela relève, ajoute-t-on, des prérogatives et des compétences des pouvoirs publics. Eux seuls peuvent enclencher un dispositif destiné à créer de petites entreprises dans le secteur des services et dans celui de l'arboriculture de montagne pour régénérer la culture de l'olivier, du figuier, du cerisier etc. « Il faudra vraiment aller vers des décisions rigoureuses et ambitieuses pour aider à la création de petites unités dans ces domaines », nous a confié en avril dernier Belkacem Mostéfaoui, maître de conférences à l'Université d'Alger (sciences de la communication), vivant à Tizi Ouzou. La Kabylie dispose de ressources humaines importantes. A titre d'exemple, elle compte de nombreux ingénieurs en informatique.
     «On aurait pu concevoir qu'il y ait, sur les montagnes de Kabylie, des unités de travail délocalisées comme il en existe en Inde et en Tunisie proche», dira-t-il. Il faudrait peut-être revoir et repenser la politique d'aménagement du territoire. Parce que créer des postes de travail et construire encore et toujours des cités dortoirs dans et autour des grands centres urbains ne font qu'attirer vers eux de nouvelles populations, au détriment des campagnes et les zones montagneuses qui se dépeuplent. C'est à partir de là que doit commencer la lutte pour stopper, ou tout au moins freiner, l'exode rural.


    M. A. H.

     


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  • Interview réalisée par
    Mohamed Arezki Himeur

    Le Cap, revue bimensuelle, Alger


    Paroles d'un  spécialiste de la chanson chaâbie, producteur d'émissions radio et TV, et écrivain. Bendameche est également l'auteur du livre «Les grandes figures de l'Art musical algérien».

    Qu'est-ce qui pousse les chanteurs à verser dans le plagiat ?
    Un artiste verse dans le plagiat par mimétisme le plus souvent, par souci de succès rapide surtout. Il y a manque de paroliers et de compositeurs, certes, mais il y a aussi une tendance à raccourcir le processus de création musicale de la part des artistes.
    La facilité à produire rapidement est un élément apporté par le développement vertigineux des moyens  de production  dans ce domaine. Les créateurs ont  amorcé un recul face à cette déferlante technologique qui a ôté la sensibilité et l'émotion  à l'homme.

     
    Quelles
    sont les conséquences des reprises sur la création ?
    Le produit musical est devenu à la portée de n'importe quel utilisateur de cette nouvelle technologie. La qualité, par voie de conséquence, est  reléguée au second plan compte tenu de la demande du public de plus en plus croissante.
    Les gadgets appelés « live » sont souvent concoctés dans les studios d'enregistrement en l'absence du créateur compositeur, auteur, ou même du  vrai musicien. Le plagiat est une pâle copie de  l'œuvre originale de toute évidence et elle n'a jamais constitué un seul instant  l'art en lui-même.
    La propension à aller vers la facilité génère des conséquences négatives sur la création et sur l'art en général, mais comme dit l'adage populaire «chassez le naturel, il revient au galop».

    Que faire pour endiguer le phénomène ?
     Il n'y a pas de solution miracle dans ce domaine, notre pays a accusé un énorme retard quant à l'apprentissage musical d'une manière générale et à la formation en particulier. Cette dernière doit  se faire au sein des conservatoires, des écoles de musique, des associations, des festivals, des instituts régionaux et nationaux et, enfin, de  l'université. Elle doit se faire, également, au sein du programme des écoles primaires.
    Lorsqu'elle est inscrite dans des programmes pédagogiques officiels, la formation s'impose logiquement à tous, elle apportera un souffle au besoin et à la demande de  création. C'est une opération qui doit être  inscrite dans le moyen et le long terme.

    Que peuvent faire les auteurs et compositeurs, ou leurs ayants droit, pour protéger leurs droits ? Quelles démarches peuvent-ils entreprendre ?
     Il y a dans notre pays une grande institution qui s'appelle l'Office national du droit d'auteur et des droits voisins (ONDA) qui existe depuis 1973.
     L'ordonnance qui contient des dispositions législatives du droit voisin complétant le droit d'auteur est aussi en vigueur depuis 1997. Les auteurs et compositeurs régulièrement affiliés qui ont déclaré leurs œuvres, ou leurs ayants-droit, doivent se rapprocher de cette institution pour avoir toutes les indications nécessaires.
    La radio et la télévision peuvent-elles contribuer à la lutte contre les reprises et le plagiat ?
    Les médias lourds que sont la radio et la télévision peuvent intervenir par l'identification de l'?uvre  diffusée en annonçant, toutes les fois que possible, les véritables auteurs. Mais là il est supposé une connaissance parfaite du domaine et une articulation correcte des différentes phases qui précèdent la diffusion, ce qui n'est malheureusement pas le cas présentement.
    La télévision a commencé par prendre une décision, celle d'arrêter toute diffusion de chansons « robotisées » comme on dit dans le jargon du son. C'est tout à son honneur dans le souci de donner une écoute confortable au téléspectateur.
     
    Quel rôle peuvent jouer les éditeurs pour juguler ce phénomène?
    Les vrais éditeurs, oui. Mais on note par contre dans notre pays, qu'il règne dans la profession aujourd'hui une véritable cacophonie. L'édition musicale est un centre de diffusion de la culture par excellence, car, faut-il le rappeler, la musique est un moyen d'expression culturelle avéré.
    Le patron de cette institution et tout le staff qui l'entoure doivent avoir une connaissance parfaite du domaine. Ils sont tenus de constituer une sorte de digue, de filtre contre les invasions des multiples opportunistes qui prennent indûment le terrain, sanctionnant ainsi la bonne écoute du citoyen et dénaturant l'histoire musicale si riche de notre pays. 

     

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