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    Par Mohamed Arezki Himeur,
    Le Cap, revue bimensuelle, Alger
     « Lorsque tu vois un dattier, c'est qu'il y a un +vieil Arabe+ qui est passé par-là ». Le dattier constitue le fil conducteur, le guide végétal, le marqueur culturel et agronomique, le témoin actuel de la déportation des algériens en Nouvelle Calédonie. C'est la démarche utilisée par Mme Mélica Ouennoughi, Dr en anthropologie historique, chercheur spécialisée sur les migrations maghrébines et sahariennes en Océanie, dans son ouvrage « Algériens et Maghrébins en Nouvelle Calédonie de 1864 à nos jours ». L'expression de « vieil-Arabe » n'a rien de péjorative. Bien au contraire, elle est, aujourd'hui comme hier, une sorte de carte de visite, un signe, une balise de référence concernant la déportation des Algériens, au 19ème siècle, dans ce petit bout de terre du Pacifique.
    Ce sont justement des noyaux de dattes, plantés dans des concessions foncières cédés aux déportés ou jetés au hasard de leur halte, qui ont permis au palmier dattier de prendre racine, comme les déportés eux-mêmes, en Nouvelle Calédonie. C'est eux, ces déportés, ces révoltés contre l'ordre colonial imposé par le fer et le feu, qui ont introduit le palmier dattier, cet arbre nourricier, dans cette contrée lointaine de la Nouvelle Calédonie. C'est ce petit noyau de datte, résistant comme les révoltés algériens de l'époque, que Mme Ouennoughi a utilisé pour remonter dans le temps, fouiller dans des feuilles d'archives jaunies par des décennies, livrées à l'humidité et la poussière, afin de raconter l'histoire des déportés et de leur descendance, ainsi que celle de leurs familles en Algérie. L'histoire des déportés est liée aux différentes révoltes et insurrections menées contre l'invasion française de l'Algérie. Une invasion déclenchée sous le fallacieux prétexte du fameux « coup de l'éventail ».
    « C'est important de savoir que les déportés n'étaient pas des bagnards sans connaissance aucune. C'était des hommes importants dans l'histoire algérienne. Des hommes qui avaient une grande connaissance de certains principes coutumiers et juridiques qui ont permis de fonder une grande Assemblée villageoise là-bas, qu'on nomme plutôt la djema, fonctionnant selon le droit coutumier » du pays d'origine, selon Mme Mélica Ouennoughi.
    La djema existe encore aujourd'hui à Bouraïl. Elle a vu le jour au 19ème siècle. Elle a été fondée et a fonctionné dans la discrétion, sur la base des principes et règles coutumiers. C'est le cas pour « Lanaya », la protection, qu'on peut, dans une certaine mesure comparait aujourd'hui, à l'asile. La personne qui en bénéficie est protégée par la Djema. Elle ne pouvait être inquiétée tant qu'elle jouissait de ce principe coutumier, comme cela se faisait aussi, à la même époque, dans le pays d'origine, en Algérie. Lanaya est accordée à des personnes en fuite, qu'elle soit calédonienne, française, algérienne, italienne ou autre, pour échapper à une vengeance. En Algérie, le bénéficiaire, des hommes généralement, perdait son statut social, devient un être sans voix au chapitre, contraint, de part son nouveau statut, d'exercer un métier, une activité considérée dévalorisante, comme celle de boucher.
    La Djema des déportés fonctionne selon des règles et des principes de l'organisation sociale en vigueur, aujourd'hui encore, dans certains villages d'Algérie, notamment en Kabylie. Elle a été instituée à partir de 1886 par les déportés politiques, notamment les chefs des insurrections contre la colonisation française. Après leur libération, les déportés algériens, qui n'avaient pas bénéficié immédiatement de l'amnistie comme les Communards, ont rejoint Bouraïl. Ils étaient au nombre de 500 en 1885.
    La djema de Bouraïl
    Arrachés à leur terre natale, séparés de leurs proches, déportés par convois successifs vers les bagnes du Pacifique, les déportés devaient aussi lutter contre l'acculturation, pour ne pas perdre leur âme et leurs coutumes. Jusqu'en 1936, leurs enfants étaient obligés de portés des noms chrétiens pour être scolarisés. Mais chez eux, à la maison, les enfants étaient appelés par des prénoms venus du fin fonds du pays de leurs pères, « si bien que Jean-Pierre, Michel et Joseph deviennent une fois à la maison des Taïeb, Miloud et Ahmed », dira Mme Ouennoughi. Encore un échec, un de plus, de la colonisation et de ses différentes méthodes d'acculturation et d'assimilation. Comme l'impérialisme, le colonial « est un mauvais élève », pour paraphraser le général vietnamien, Giap. Après la levée de l'interdiction sur l'utilisation des prénoms musulmans, « tous les Jean, Christian, Joseph, Robert, Michel etc. redevinrent instantanément officiellement des Taïeb, Ahmed, Mohamed, Ali, Kader, etc. », relève le Dr Pierre-Philippe Rey, Professeurs des Universités, dans la préface de l'ouvrage de Mme Ouennoughi.
    « Cette remarquable résistance à l'acculturation ne se manifeste pas que sur ce point : l'auteur nous explique comment ces déportés masculins ont appris à leurs femmes françaises ou canaques la cuisine algérienne qui s'est ensuite transmise de génération en génération ; comment a été édifié un mausolée à la mémoire d'un cheikh décédé par noyade, à l'endroit de son accident et comment ce mausolée donne lieu à un pèlerinage annuel rappelant en tous points les ziara  du pays des ancêtres ; comment une association de descendants d'Algériens gère ce lieu de pèlerinage et le cimetière musulman qui l'entoure ; comment les dattiers sont vénérés comme témoins actuels de la présence en ces lieux du +vieil-Arabe+ qui les a plantés... », note le Dr Rey dans sa préface.
    La politique d'acculturation des descendants des déportés a échoué. Mieux : elle a eu l'effet inverse. « Ce sont les femmes françaises, communardes ou d'origine pénale, qui ont adopté les coutumes algériennes et non l'inverse », ajoute le Dr Rey.
    Le dernier déporté, Kouider, est décédé en 1968. Mme Ouennoughi, par son travail universitaire, a apporté une importante contribution à la préservation de l'histoire de la déportation. Les noms des déportés, tirés des archives poussiéreuses, rongées par l'humidité et le rance, ont permis d'ériger, à Bouraïl, en Nouvelle Calédonie, une stèle à la mémoire des déportés. « C'est important, parce que les déportés n'étaient pas des orphelins », dira Mme Ouennoughi. Ils avaient des pères, des mères et des familles en Algérie. Ils étaient venus d'un village, d'une tribu, d'une région, enfin d'un pays pris dans les mâchoires d'un colonialisme meurtrier et dévastateur.
    L'introduction du modèle et des fondements de la Djema « ont contribué énormément au mouvement associatif de 1886 en France », selon Mme Ouennoughi. Les codes coutumiers pratiqués par les déportés ont été utilisés par les autorités françaises de l'époque « pour solidariser les petits colons » en Nouvelle Calédonie. Les Communards et autres anarchistes, comme Louise Michel, en avaient, eux aussi, emporté dans leurs bagages, « emprunté » à la Djema ce « petit trésor » d'organisation sociale en retournant en France, après la loi d'amnistie de juillet 1879. Une loi qui avait, faut-il le rappeler, « oublié » les déportés algériens qui devaient attendre 1895 pour bénéficier de ses dispositions. « D'ailleurs, la loi de 1901 est fortement imprégnée par ces codes coutumiers » des déportés Algériens, nous a confié Mme Ouennoughi.
    Les femmes, barrières contre l'acculturation
    La djema a intégré tous les déportés, qu'ils soient « politiques », ayant conduit ou participé aux révoltes et insurrections contre la France coloniale en Algérie, ou de « droit commun », parmi lesquels figureraient certainement ceux qu'on appelait les « bandits d'honneur » et qui étaient, pour certains d'entre eux, des révoltés contre l'ordre colonial, à l'image de Ahmed Oumerri et Arezki L'bachir en Kabylie et Messaoud Benzelmat dans les Aurès tués par les forces coloniales en Algérie. La démarche visant à ôter l'étiquette dévalorisante de « droit commun » à ce type de prisonniers a abouti à l'union de tous les déportés Algériens.
    Aujourd'hui, leur descendance est estimée à 15.000 personnes. « Moi, j'estime qu'elle est plus importante », soutient Mme Ouennoughi. Les descendants ont créé, en 1969/1970, une « Association des Arabes et des amis des Arabes » pour prendre charge l'histoire et perpétuer la mémoire collective de leurs ancêtres. Elle fonctionne selon les principes et les règles de fonctionnement de la Djema ancestrale.
    D'ailleurs, ce travail de mémoire avait déjà été assuré, avec brio peut-on dire, bien des décennies auparavant, par des filles de déportés. « Notre mère était une grande femme ; elle était une fille rebelle aussi ; elle voulait toujours nous éduquer avec la coutume algérienne. Elle maîtrisait bien la langue de son père. Il fallait toujours qu'on soit réunis. Elle nous parlait quelques mots d'arabe. Elle avait une grande admiration pour son père. Elle en était fière et c'est comme si elle avait ce rôle de transmettre la coutume des anciens : c'était une femme autoritaire », disait un petit fils d'un déporté cité par Mme Mélica Ouennoughi dans son ouvrage.
    Une autre fille d'un autre déporté disait à ses frères « les vieux Arabes sont morts, c'est à nous de transmettre ce qu'ils nous ont laissé ». Les filles des déportés ont été des dépositaires et protectrices de la mémoire des anciens. Elles ont mis en application le concept de « devoir de mémoire » avant que celui-ci soit utilisé. « Chacune à leur manière avait le devoir de transmettre la tradition », à travers notamment « le port du foulard berbère, les plats traditionnels, les récits et les mots à consonance arabo-berbère. A chacune d'entre elles, ont attribue un récit ou un conte légendaire parfois », écrit Mme Ouennoughi.
    La chanson « El-Menfi » (l'exilé, le déporté) interprétée par le chanteur Akli Yahiaten était chantée en Nouvelle Calédonie au 19ème siècle par les déportés algériens, selon Mme Ouennoughi. Le chant était accompagné d'une flûte fabriquée avec du bois de sagaie. Un bois servant aussi pour les Kanaks à fabriquer des lances. « Cette chanson était chantée en Nouvelle Calédonie par des gens qui ne connaissent pas l'Algérie. Des petits descendants des déportés la chantaient dans les vallées perdues. C'est quand même incroyable », dira-t-elle.
    Le déporté Taïeb ben Mabrouk, réputé pour sa maîtrise de la flûte, « répétait sans cesse cette chanson qu'on murmure toujours aujourd'hui. Il s'agit de +El-Menfi+ », raconte sa petite cousine. Les mots dits dans la chanson « nous restent dans notre cœur, ils sont aussi plein de détresse. Cette chanson il la chantait toujours sous le dattier », confie-t-elle à Mme Ouennoughi.
    « Si l'Algérie n'ouvre pas le dossier des déportés, il ne s'ouvrira pas en Nouvelle Calédonie parce qu'il n'y a pas de spécialistes qui s'intéressent à cette question », estime-t-elle. Mme Ouennoughi préconise une coopération dans ce domaine entre les universités et les chercheurs algériens et calédoniens. Sa présence en Algérie s'inscrit dans cette optique : celle de sensibiliser les universités et les universitaires sur l'histoire de la déportation des Algériens en Nouvelle Calédonie.

    M.A.H


     

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    Il est là. Il est revenu, après avoir déserté la scène artistique pendant une vingtaine d'années. Il a marqué son  retour par un excellent concert au Théâtre de verdure d'Alger, devant une assistance peu nombreuses mais de qualité, qui a apprécié et applaudi chaleureusement chacune des œuvres interprétées avec amour, parfois avec passion, par chanteur.

    Ouazib Mohand Améziane, c'est de lui qu'il s'agit, a démarré la soirée, le 18 décembre 2008, par un chant patriotique intitulé « Amjahed ahouri », une œuvre anonyme chantée par les moudjahidine (combattants), pendant la guerre de libération nationale, dans les maquis d'Ath Zmenzar, d'Ath Douala, Iwadhiyen et d'autres coins de Kabylie. Un chant qui parle des jeunes qui rejoignaient les maquis et de leur détermination à lutter pour arracher l'indépendance du pays.

    Il a enchaîné avec « Abrid itibwin », sa première chanson, vieille de 35 ans mais toujours d'actualité. Elle n'a pris aucune ride. C'est avec « Abrid itibwin » qu'il a débuté sa carrière artistique, après avoir été découvert, au début des années 70, par Medjahed Mouhoub qui animait à l'époque une émission intitulée (si la mémoire ne me fait pas défaut) « le micro baladeur ».

    L'accueil chaleureux et affectueux réservé par les spectateurs à Ouazib Mohand Améziane le 18 décembre, dont certains -- les moins de 20 ans -- ne l'ont jamais vu sur scène montre, si besoin est, que l'avenir appartient à la chanson à texte, à la belle mélodie, à des chansons qui véhiculent un message d'espoir, d'amour, de contestation, de revendication ou de révolte. « Ceux qui prétendent que la chanson à texte est morte doivent revoir leur diagnostic », dira Malika, une spectatrice d'une cinquantaine d'années, qui a fait le déplacement depuis Blida (<st1:metricconverter productid="50 km" w:st="on">50 km</st1:metricconverter> d'Alger) pour assister au concert de l'auteur de « Ath wawal ».

    Ouazib Mohand Améziane a profité de ce concert pour distribuer, gratuitement, et uniquement pour les enfants, l'avenir du pays, plus d'une centaine d'exemplaires de son dernier CR qui vient tout juste d'être mis sur le marché. Les chansons de Ouazib « permettent de tenir la tête hors de l'eau », comme l'a souligné un journaliste dans le quotidien L'Authentique.

     


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  • Dix-neuf productions cinématographiques se disputeront l'Oliver d'or lors de la 9ème édition du Festival national annuel du film amazigh qui se tiendra du 11 au 15 janvier prochain à Sidi Bel-Abbès, dans l'ouest algérien, sous le slogan : « pour une libre circulation des idées par le mot et par l'image ».Les productions en lice pour tenter de décrocher cette distinction sont quatre longs métrages, neuf courts métrages, quatre documentaires et deux films d'animation. Elles seront évaluées par un jury composé de compétences nationales et étrangères du 7ème art, présidé par le réalisateur Ali Mouzaoui, l'auteur de « Mimezrane » (la femme aux tresses).
    Le festival prévoit également des tables rondes sur divers thèmes tels que « les romans adaptés à l'écran », « quelle musique pour le cinéma national » et « la critique et la presse spécialisée en cinéma ».
    Des activités artistiques sont inscrites au programme du festival : récitals de poésie ainsi que des hommages un écrivain natif de Sidi Bel-Abbès et à trois grandes figures féminines du cinéma algérien, dont les noms n'ont pas encore été révélés.

    Ce Festival œuvre pour promouvoir le cinéma algérien d'expression amazigh, encourager la création artistique dans cette langue, sensibiliser le public au cinéma et à l'audiovisuel dans sa diversité, donner aux créateurs la possibilité de mieux faire connaître leurs œuvres, en assurant la promotion et la diffusion des films en version originale et à créer un cadre d'échange d'expériences et d'expertises entre artistes, créateurs et opérateurs culturels algériens et étrangers, selon les organisateurs.

     


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    Des représentants du mouvement associatif  et des intellectuels, amis et compagnons, du défunt dramaturge Mohia Abdellah ont appelé, jeudi à Tizi-Ouzou, à l'institution d'un "prix spécial" au nom de cet homme de culture pour "récompenser les meilleures oeuvres littéraires d'expression amazigh". 
    Cet appel a été lancé à la faveur des 3ème journées théâtrales dédiées en hommage à ce pionnier du théâtre d'expression amazigh, au cours desquelles ses amis ont également requis de baptiser un établissement éducatif de la wilaya en son nom. 
    Selon les animateurs de cette manifestation artistique, l'institution d'une telle distinction, répond, également, à un souci de "réhabilitation du patrimoine Amazigh, en général, et de l'oeuvre de Mohia de façon particulière". 
    Les oeuvres de Mohia, dont une majorité étant des traductions adaptées du patrimoine universel, ont permis à de nombreuses troupes théâtrales amatrices de se faire une réputation grâce à l'interprétation de ses pièces, vouées à la reconnaissance de l'identité nationale dans toutes ses dimensions, ainsi qu'à la consécration d'un Etat de droit, souligne-t-on. 
    En souvenir de l'homme et de l'artiste, ceux qui l'ont côtoyé, en Algérie ou en France où il s'installa dès 1972 jusqu'à sa mort en décembre 2004, ont été unanimes à affirmer que "celui qui connaissait Mohia ne pouvait ignorer son humour et ses bonnes blagues". 
    D'aucuns ont déploré, cependant, la perte de plusieurs de ses oeuvres écrites en collaboration avec 10 de ses meilleurs proches. 
    Un de ses compagnons, Mokrane Taguamount, a expliqué cet état de fait par la "clandestinité" qui entourait, à une certaine époque, la distribution de ses oeuvres. 
    A l'affiche de cette journée figure la représentation de ses pièces "Sinistri" et "Tachbaylit" (Jarre) interprétées par des comédiens de la troupe Jean Senac de Marseille et la troupe locale Imesevridhen, à <st1:personname productid="la Maison" w:st="on">la Maison</st1:personname> de <st1:personname productid="la Culture" w:st="on">la Culture</st1:personname> "Mouloud Mammeri" et à la résidence universitaire Hasnaoua 4. 
    M.Chemakh Said, professeur de littérature Amazigh à l'Université de Tizi-Ouzou, devait animer vendredi une conférence sur le thème de « caractéristiques de l'oeuvre théâtrale de Mohia ».

    Source: APS

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