• Par: Mohamed Arezki Himeur
    Notre Afrik
    Magazine panafricain, N° 10 avril 2011

    «Ce n’est pas parce qu’il a 65 ou 70 ans qu’un interprète doit s’interdire de chanter l’amour. Les chansons d’amour sont éternelles», martèle Slimane Chabi pour justifier son affection tardive pour ce genre musical. Pour lui, un interprète se doit de chanter sur tous les thèmes.
    Mais Slimane Chabi aime plutôt, dans ses chansons qui marient admirablement humour et dérision, à mettre le doigt là où ça fait mal. Un véritable objecteur de conscience, constamment en butte à la censure des autorités de son pays …


    La chanson d’amour ne vieillit pas .Elle traverse des générations, enjambe allègrement des siècles sans prendre une seule ride, surtout lorsqu’elle est bien conçue et élaborée, dira Slimane Chabi, en réponse à une question sur son «intrusion», à travers son dernier album, dans ce genre musical. Jusque-là, il était connu comme chanteur comique, utilisant l’humour et la dérision pour lancer des flèches, critiquer et fustiger le pouvoir, la corruption et les travers de la société.

    Il cite l’exemple de cheikh El-Hasnaoui (1910-2002): « Il avait raccroché son mandole en 1967, mais ses chansons sont encore appréciées, recherchées par les mélomanes. Ce sont des chansons qui ne vieilliront jamais! ». Les programmes politiques changent, les politiciens eux-mêmes retournent leurs vestes avec fracas parfois, les sociétés humaines évoluent et se transforment, mais la chanson d’amour demeure, toujours égale à elle-même, estime-t-il.

    Cela fait maintenant 45 ans que Slimane Chabi évolue dans un genre de chant qu’il affectionne, qu’il chérit plus que tout autre: la chanson comique, de dérision. Un genre dans lequel il évolue avec aisance, comme un poisson dans l’eau. Un style difficile qui explique, peut-être, pourquoi il n’est pas trop «côtoyé» par les interprètes, n’inspire pas beaucoup les paroliers. Car, faire rire, manier l’humour, jouer de la dérision, n’est pas donné au premier venu.

    C’est un art. C’est aussi une arme, percutante, redoutable, pour celui qui sait s’en servir. Slimane Chabi apprécie le comique, mais il aime en faire aussi. Une grande partie de son répertoire – plus de 150 chansons - est composé de
    chants et de monologues comiques. Déjà, lorsqu’il n’était pas « plus haut que trois pommes » comme on dit, c’est-à-dire quand il était enfant, il avait un faible pour ce type de chanson. C’était son genre préféré. «Avec l’humour, on peut faire passer beaucoup d’idées. Voyez Mohamed Fellag. Cet «one man show» est un monstre de l’humour. Il fait rire, mais il fait passer plein d’idées sérieuses dans ses textes», estime-t-il.

    Parler avec humour de choses sérieuses

    Slimane Chabi est né en 1945 à Tissemsilt, dans l’Ouest algérien. La sortie de son premier disque, un 45 Tours, remonte à 1965. La tentative fut infructueuse. Désenchanté, il prend ses distances avec la scène artistique. Il refait surface sept ans plus tard, cette fois-ci à Paris, en 1972-1973, avec une poignée de chansons, dont une fameuse sur le chat «qui est et restera toujours un chapardeur».

    Mais ses textes, son prénom et l’intonation de sa voix, considérés comme trop proches de ceux de Slimane Azem, chanteur algérien interdit à l’époque dans son pays, lui ont joué un mauvais tour. La censure, bête, méchante et idiote, lui a barré l’accès à l’antenne. C’était en 1975. « Soit c’est Slimane Azem qui te donne les textes, soit tu t’inspires de lui. Cette chanson ne passera pas», lui balança à la figure un membre de la commission de lecture, de censure en
    vérité, chargée de passer au peigne fin les textes des chansons avant leurs enregistrement et diffusion sur les ondes.

    Une mesure qui a désarçonné Slimane Chabi. «J’ai été tellement dépité et contrarié par cette réflexion que j’ai fracassé ma guitare en mille morceaux en rentrant chez moi», se rappelle-t-il encore aujourd’hui. Résultat: Slimane Chabi raccroche. Il se retire une nouvelle fois de la scène artistique, dépité et découragé. «J’ai arrêté de chanter et d’éditer, mais je continuais quand même à écrire», nous a-t-il confié. Le retrait sera long et plus dur à supporter parce qu’il résulte d’un acte de censure, d’un déni d’expression. La censure, il la subit encore aujourd’hui: il n’est jamais passé à la télévision, il n’a jamais été programmé dans des concerts de musique organisés dans le pays et une partie de ses chansons sont «prohibées» sur les différentes chaînes de la radio publique émettant en berbère.

    Slimane Chabi reprend la guitare en 1982 avec la même verve et la même détermination à poursuivre dans la voie qu’il s’est tracée depuis 1965: la chanson comique et de dérision. Il revient avec, dans ses bagages, des textes encore plus percutants de Mohand Ouyahia. «Un homme qui a beaucoup apporté, beaucoup donné» à la culture kabyle, en traduisant et en adaptant des œuvres universelles, souligne-t-il.

    L’artiste est le reflet de la société

    Aujourd’hui encore, Slimane Chabi persiste dans le même créneau. Il aborde avec humour des sujets sérieux. Comme le mariage, auquel il consacre une chanson dans son dernier album. Evidemment, ce n’est pas le mariage lui-même qui est
    pointé du doigt, mais plutôt «l’ambiance ruineuse» de sa préparation et de son déroulement, fustigée avec dérision. «Je ne comprends pas pourquoi les gens se compliquent l’existence.

    Si l’intention d’un jeune garçon et d’une jeune fille est de fonder un foyer, je ne vois pas pourquoi ils doivent se livrer à une débauche de dépenses financières. En définitive, les gens vivent non pas pour eux-mêmes, mais plutôt par rapport aux regards des autres, pour impressionner les autres. On n’arrive pas à sortir de ce moule», constate-t-il.

    Il y a aussi d’autres facettes du mariage qui ne se prêtent pas au comique. Comme celle d’un projet qui n’aboutit pas. «Des jeunes peuvent se fréquenter durant 4 à 5 ans, peut-être plus, sans voir leur projet d’union se concrétiser,
    faute de logement, de travail etc. C’est dramatique, mais c’est la réalité», lâche-t-il avec amertume.

    Ce thème aussi est évoqué, cette fois-ci avec sérieux, par le chanteur dans son dernier album, parce qu’il y a des aspects, des volets d’un même sujet qui ne peuvent pas être traités sous une forme comique, humoristique, avec dérision.
    On peut railler, ironiser, moquer la mort par exemple, mais pas une situation poignante comme celle d’un jeune confronté aux vicissitudes dramatiques de la vie, de l’existence, relève-t-il.

    Un nombre important de ses chansons et monologues sont consacrés à l’enseignement. «Aujourd’hui, si tu ne possèdes pas le savoir, tu n’es rien. Mais cela dépend aussi de l’enseignement dispensé dans nos établissements scolaires. Il faut encourager l’enseignement qui ouvre les yeux et l’esprit, qui célèbre la beauté et la vie, qui incite les gens à réfléchir d’eux-mêmes et bannir l’enseignement qui inculque des idées de violence, qui distille du venin dans les cerveaux, qui pousse à l’intolérance, à la brutalité, à la réduction des libertés», dit-il.

    La chanson et les monologues comiques sont un vrai refuge pour Slimane Chabi: «Sans cela, je serais devenu fou. Chaque fois que je vois quelque chose aller de travers, je saisi mon stylo et je couche l’idée sur le papier. Je n’y peux
    rien. Je suis comme ça!» Est-il un chanteur engagé? «Non, je suis plutôt un chanteur “dégagé”», lâche-t-il en s’esclaffant. «Un chanteur engagé est celui qui défend, qui est engagé pour une cause. Moi, des causes, j’en ai plusieurs. En vérité, je fais de la chanson comique, en abordant des sujets politiques et sociaux. Je parle de la vie de tous les jours, pour être précis», ajoute-t-il.

    Slimane Chabi, qui publie pour la première fois sa photo sur un corpus, est en train de peaufiner deux nouveaux albums. Il a, dans le même temps, décidé de se lancer dans la vidéo, afin de mettre en image certains de ses monologues et
    chansons. «L’image, c’est très important. C’est l’avenir», souligne-t-il.

    M.A.H


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  • Le chanteur Kabyle Slimane Chabi: maître de l'humour et de la dérision.


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  • Par: Mohamed Arezki Himeur
    Revue Tassili, Alger

    Bab El-Oued « est appelé à devenir un des plus beaux centres » d'Alger. C'est ce que prévoyait un rapport sur la « transformation d'Alger » élaboré en 1899, durant la période coloniale. Cent douze ans plus tard, ce quartier constitue, indubitablement, l'un des plus attrayants de la capitale, au point d'en devenir son cœur palpitant.
    Quartier populaire et populeux, Bab El-Oued draine chaque jour des milliers visiteurs venant, notamment, des quartiers limitrophes d'Alger Centre, de la Casbah, Oued Koriche, Notre Dame-d'Afrique et Bologhine. Ils viennent aussi des localités et villages environnants, en particulier ceux de la côte ouest algéroise. Certains font le déplacement pour effectuer des emplettes au marché ou dans les magasins et autres échoppes, tandis que d'autres s'y rendent juste pour une promenade, seuls ou avec les enfants, à travers les artères commerçantes et sur le front de mer, du côté de R'mila et d'El-Kittani (ex-Padovani).
    Il est vrai que Bab El-Oued offre une ambiance particulière. Il est l'un des quartiers les plus appréciés de la ville pour son animation. Ses principales artères grouillent de monde depuis les premières heures de la matinée jusqu'au coucher du soleil, parfois jusqu'à une heure avancée de la nuit. Les trottoirs déversent leur trop plein de piétons sur la chaussée, provoquant bouchons et embouteillages, bêtes noires des automobilistes et des chauffeurs de taxi.
    Il est célèbre pour ses « trois horloges », situées au carrefour du centre du quartier, à proximité du marché couvert. Il s'agit en fait d'une seule horloge à trois cadrans montée sur une colonne en fonte sculptée, entourée de quatre ampoules électriques. C'est sa carte de visite. D'ailleurs, dès qu'on prononce le mot « trois horloges », on pense instinctivement à « Bab El-Oued.»
    Ses habitants « sont semblables à des allumettes », dit-on. Une expression signifiant qu'ils sont actifs, entreprenants et, aussi, ne se laissent pas marcher sur les pieds. En fait, ils sont pacifiques et serviables. Ils sont aussi tolérants. Pour la petite histoire, durant les années 1990, lorsque les « barbus » déferlaient les vendredis vers la fameuse mosquée Es-Sounna, un petit bar proche des « Trois Horloges » assurait tranquillement son service. Ce petit coin des disciples de Bacchus a disparu en 2001, emporté par les inondations qui avaient fait près d'un millier de morts et rasé des dizaines d'immeubles et de bâtisses.
    Bab el-Oued: coeur palpitant d'AlgerLes grandes lignes du plan urbanistique de Bab El-Oued ont été tracées à la fin du 19ème siècle (1899). Le plan était basé sur l'ouverture de trois longues artères d'une largeur variant entre 16 et 20 mètres, coupées perpendiculairement par de nombreuses rues larges de 8 à 10 mètres aboutissant toutes sur la façade maritime. L'un de ses trois grands axes routiers, l'actuelle avenue du Cdt Abderrahmane Mira, a été construit avec une prise sur la mer, selon des documents de l'époque.

    Les « Trois Horloges »

    Au temps des Turcs, Bab El-Oued était considéré plutôt comme une zone de villégiature pour les nantis, comme le laisse à penser la réalisation vers 1791, par Hassan Pacha, d'une superbe résidence de campagne comprenant plusieurs édifices mauresques et un magnifique jardin. Celui-ci était peuplé de plusieurs centaines d'arbres et de plantes de diverses espèces. Cette propriété occupait les emplacements actuels de l'hôpital Lamine Debaghine (ex-Maillot) et de la caserne militaire mitoyenne. Elle avait été confisquée par l'armée coloniale française dès la chute d'Alger en 1830 pour en faire un hôpital portant le nom du Dey, une caserne et des dépendances.
    L'administration coloniale avait imaginé un nouveau plan d'aménagement pour en faire un quartier ouvrier. Ce qui fut fait. Le plan de la « transformation d'Alger » de 1899 prévoyait d'ailleurs la réalisation, sur une superficie de 6.879 mètres carrées, d'une manufacture de tabac (actuelle usine de la SNTA,ex-Bastos).
    Cette usine « pourrait, selon le document, occuper 1.500 à 2.000 ouvriers des deux sexes ». Bab El-Oued est resté jusqu'à aujourd'hui un quartier ouvrier et actif en matière d'activité économique. De l'indépendance jusqu'au milieu aux années 1980, il comptait de nombreux ateliers et de petites unités de productions de chausseurs et de textiles, pour ne citer que ces deux exemples. Le « bisness », comme on dit dans le quartier, fait partie des traditions de Bab El-Oued.
    Paisibles et tolérants, les « Babélouadiens » se mettent en boule, s'énervent dès lors qu'ils constatent, sentent le mépris et la « hogra » (injustice) autour d'eux. Ils sont allergiques à ce type d'attitudes.
    Bab El-Oued est renommé aussi pour son marché couvert. Les prix des fruits et légumes affichés sont considérés comme étant les moins élevés de la capitale. Il se dispute d'ailleurs, sur ce chapitre, le podium avec Bachdjarrah, un autre quartier populaire du sud-est d'Alger.
    La construction de ce marché, réalisé conjointement par quatre entreprises pour la somme de 112.378 Fr, remonte au début du siècle dernier. Le choix du site, connu à l'époque sous l'appellation des « Arènes », avait suscité une polémique entre partisans et opposants, tous européens, en majorité des propriétaires de terrains agricoles confisquées à des Algériens.
    Bab el-Oued: coeur palpitant d'Alger

    « Une lettre des habitants » remise aux autorités municipales relevait « que l'emplacement des Arènes est des plus favorables à l'installation d'un marché : que ce marché doit être ouvert et que sa construction faite dans le plus bref délai possible, (qu'il) doit être édifié dans des conditions répondant aux besoins présents et futurs du quartier de Bab El-Oued ».
    Il a été construit sur une superficie de 1.625 mètres carrées. Le propriétaire du terrain, un certain M. Lung, avait cédé gratuitement, au même endroit, un autre terrain de 112 mètres carrées destiné à la place publique qui se trouve près du marché. Cette placette, ornée de trois arbres, est transformée aujourd'hui en marché aux puces et aux oiseaux.

    Solidarité et entraide

    Au lendemain de l'indépendance, en 1962, Bab El-Oued comptait une dizaine de salles de cinémas, dont le Majestic, le Marignan, le Plazza, la Perle, le Rialto, le Lynx, Mon Ciné, Variété et le Suffren. Il était le seul quartier d'Alger, après le centre ville évidemment, à disposer d'autant d'établissements dédiés aux 7ème Art. Aujourd'hui, c'est le désert. Certaines salles ont disparu. D'autres, fermées depuis des décennies, sont devenues des refuges pour rats. D'autres encore sont transformées en salles des fêtes pour fiançailles, mariages et circoncisions (la Perle) ou pour des concerts de musique et des meetings politiques comme l'Atlas (ex-Majestic), une superbe bâtisse au toit ouvrant. Le restaurant la Grande Brasserie, rendez-vous des gourmets et des amateurs de paëlla, qui affichait complet le soir, a baissé rideau durant la période du terrorisme des années 90.
    Bab El-Oued fait part des quartiers de la capitale et des grandes villes du pays ou le mot solidarité dans l'adversité ou l'entraide gardent encore un sens. Il semble qu'il a subi moins de mutations démographiques que les autres parties de la ville. Dans certains ilots du quartier, les rapports entre voisins sont encore semblables à ceux existant dans des villages enclavés de nos campagnes et montagnes. Les émeutes meurtrières d'octobre 88 et, surtout, les inondations de 2001 ont renforcé davantage les liens de solidarité des habitants.
    Il y a en vérité deux Bab El-Oued, différents ou plutôt complémentaires l'un de l'autre. Il y a le centre, celui des « Trois horloges », fourmillant de monde à longueur de journée. C'est la partie commerçante, le cœur palpitant du quartier. On y trouve de tout et à des prix relativement bas. Depuis les grains pour canaris et autres « oiseaux de compagnie » jusqu'au téléviseur HD dernier cri, en passant par les fruits et légumes, le poisson, des meubles, des articles électroménagers, des vêtements, chaussures, draps, couvertures, cabas, valises et autres produits de maroquinerie. Certains de ces produits, autres qu'alimentaires, sont suspendus, accrochés sur la devanture des boutiques. Parfois, ils sont carrément exposés sur des étals de fortune installés sur les trottoirs.
    Il y a, ensuite, le front de mer, zone de farniente et de promenade. Lui aussi ne désemplit pas. Il connaît une grande affluence toute la journée et une bonne partie de la nuit en été. C'est aussi le cas pendant les saisons du printemps et de l'automne, lorsque le temps est clément et les rayons de soleil sont du rendez-vous.
    Le Front de mer s'étend sur plusieurs kilomètres. Il va pratiquement d'El-kaâ sour, en contrebas du Palais des Raïs (Bastion 23) jusqu'à la Consolation qui marque le début du quartier de Bologhine (ex-St Eugène.) Derrière l'imposant bloc de bâtiments de la DGSN (Direction générale de la sureté nationale), sur le boulevard Amara Rachid, se trouve une place disposant d'une dizaine de bancs aménagés entre des palmiers nains. Un endroit privilégié pour des personnes cherchant un peu de tranquillité pour méditer, contempler la mer, feuiller un journal ou lire un livre. Mais ce n'est pas toujours le cas, puisque qu'un terrain cimenté accolé à la place est utilisé comme stade de football par des enfants et des adolescents.

    Un café chantant d'antan

    De l'autre côté de la rue, une odeur de thé à la menthe exhale les narines. Elle provient du « Café El Bahdja » qui marque le vrai début du quartier de Bab El-Oued. Il se trouve à l'angle des rues Icosium (nom d'Alger au temps des Romains) et Mohamed Séghir Sadaoui, à droite de l'extrémité des bâtiments de la DGSN, à quelques centaines de mètres du marché Nelson.
    Il attire, surtout en fin d'après-midi et le soir, une grande foule. Il est le rendez-vous des mélomanes et amateurs de la chanson chaâbi. Il est, aujourd'hui, le seul café chantant sur la place d'Alger, qui essaie de perpétuer une tradition propre à la Casbah. Des concerts de musique chaâbi y sont organisés tous week-ends, gratuitement, depuis 2004. Les spectacles sont quotidiens durant le mois de ramadhan.
    Cette excellente initiative est l'œuvre du défunt El-Hadj Abdelkader Sas, décédé en 2007. Un ancien moudjahid de la guerre d'indépendance (1954/1962) qui fut un inconditionnel du chaâbi. C'est lui qui avait eu l'idée de renouer avec le café chantant d'autrefois. Ses enfants ont repris le flambeau et poursuivent dans la voie tracée par leur père.
    L'établissement, conçu dans style mauresque, fait penser à un musée. Ses quatre murs intérieurs sont tapissés de dizaines de portraits d'artistes de ce genre musical, vivants ou disparus, d'expression arabe et kabyle.
    Il s'agit d'une exposition permanente permettant de faire découvrir aux novices et de rappeler aux connaisseurs les grandes figurent de la chanson chaâbi, tels que les défunts El Hadj M'hamed El-Anka, Fadhila Djiria, Dahmane El-Harrachi, H'cissen, El-Hachemi Guerrouabi, Slimane Azem, Cheikh El-Hasnaoui et les grands noms d'aujourd'hui comme Abdelkader Chaou et Amar Ezzahi pour ne citer que ces exemples.
    En fin d'après-midi et en début de soirée, les nombreuses tables de la terrasse du « Café El-Bahdja », installées sur le trottoir, sont bondées de consommateurs en quête de fraîcheur et des dernières nouvelles sur la chanson chaâbi et ses interprètes. Il est fréquenté par des maîtres de la musique chaâbi, des mélomanes, mais aussi par de jeunes interprètes à qui ce café chantant offre l'opportunité de faire connaître et apprécier leurs talents artistiques, devant une pléiade de cheikhs (maîtres). Ce qui n'est pas rien. « C'est dans ce café que se réunissent depuis toujours les mordus du café, du thé, du chaâbi et de la nostalgie », comme le note, à juste titre, le « Guide Nomad » d'Alger, dans son édition 2011.

    Bab el-Oued: coeur palpitant d'Alger

    Pétanque, pêche et promenade

    Plus loin, le manège grouille d'enfants accompagnés de leurs parents. Une véritable ruche. Des bambins, excités, courent dans tous les sens, trainant derrière eux par le bras le papa ou la maman, ou les deux à la fois. Ils prennent d'assaut les différents jeux proposés. Tickets à la main, ils font la chaîne dans l'espoir de grimper, le plus tôt possible, sur un train, un poney, une balançoire etc. Le clou reste le jeu des auto-tamponneuses. C'est lui qui fascine les enfants. Les parents sont ruinés. Car après les jeux, c'est la ruée vers les marchands de jouets exposant leurs produits à même le sol, sur une bâche en plastique ou des boites en carton. Le « bisness » marche fort bien à cet endroit aussi.
    Le visiteur, avant de poursuivre la promenade, peut s'attabler dans l'un des établissements proches du manège pour prendre un jus, une limonade, une crème glacée ou déguster une succulente crêpe à la banane ou au chocolat. Une de leurs meilleures spécialités. A quelques mètres de là, les boules s'entrechoquent autour du « cochonnet », une petite boule « qui sert de point de mire et constitue l'intérêt de la partie », comme le précise Honoré de Balzac dans « Ferragus » (1833).
    L'espace réservé à la pétanque, divisé en plusieurs parties d'égale surface, est essentiellement investi par des mordus de ce sport, mais également par des curieux. Le jeu de boules, qui est aussi un loisir, compte de nombreux adeptes de tous âges dans le quartier. Il fait partie, lui aussi, des traditions culturelles et sportives de Bab El-Oued, avec le Pastis en moins.
    Les pratiquants viennent également des autres coins de la ville. Des tournois sont joués généralement en « triplettes », rarement en « doublettes » ou en « tête-à-tête ». Ils se déroulent presque chaque jour. Les joueurs viennent se faire la main, se préparer dans la perspective d'un championnat local, régional ou national.
    On peut rester des heures sans se lasser à suivre des yeux les boules voler ou rouler sur le sol pour tenter de s'approcher du « cochonnet » ou pour éloigner, éjecter, mettre hors course, la boule de l'adversaire. La pétanque est un sport qui exige beaucoup de concentration et des lancers précis. L'Algérie avait participé en 1964 aux championnats du monde de ce sport.
    L'un des plus célèbres joueurs de boules algérien est un certain Benrahmoun. Il a laissé une empreinte indélébile dans la pétanque algérienne, selon des pratiquants qui l'ont cotoyé, rencontrés à Bab El-Oued.
    Les pêcheurs à la ligne qui se trouvent à quelques pas de là ne sont nullement perturbés par le bruit des boules et l'agitation des joueurs de pétanque. Ils sont, eux aussi, armés d'une grande patience. Ils en ont même à en revendre, eux qui attendent parfois des heures pour « accrocher » un petit poisson. Mais l'important n'est pas dans la quantité de pièces pêchées. Préparer la canne, attacher les hameçons et placer les appâts constituent, pour les mordus de ce loisir, un passe-temps favori, un instant de détente et de repos volé au stress quotidien. Parfois, lorsque la chance est de son côté, le pêcheur s'en retourne à la maison avec, dans son couffin, de nombreuses et grosses pièces de poissons. Une quantité largement suffisante pour se faire un succulent diner en famille.
    Plus loin, deux larges et splendides esplanades dominent les rivages de Bab El-Oued. La plus importante est celle d'El-Kittani. Cet ancien Arsenal et caserne de l'artillerie pendant la colonisation avait été cédé après l'indépendance au Secours national algérien (SNA) qui en avait fait un Centre d'accueil et de formation pour enfants de chouhada. Un établissement similaire avait été créé à la même période, pour des adolescents, sur l'esplanade actuelle de R'mila.

    Plages mythiques d'El-Kittani et R'mila

    L'esplanade d'El-Kittani est une promenade très fréquentée, avec une magnifique vue sur une partie des quartiers de Bab El-Oued, Bologhine et Notre Dame-d'Afrique. Elle est littéralement prise d'assaut par des adolescents qui s'adonnent à leurs jeux favoris : le football, le vélo, le billard à ciel ouvert etc.
    Bab el-Oued: coeur palpitant d'Alger
    Des familles entières s'agglutinent sur les ballastes pour suivre une partie de football qui se déroule en contrebas de l'esplanade, regarder la piscine qui donne l'impression d'être abandonnée, admirer la mer et écouter ses murmures, contempler les vagues qui, selon les jours et le temps, lèchent avec douceur le sable des plages El-Kittani et R'mila, ou déferlent comme des bolides sur les rivages avant de se fracasser sur les rochers et contre le mur d'enceinte.
    Ces deux plages avaient fait l'objet d'un documentaire diffusé en juillet 2007 par la chaîne franco-allemande ARTE, dans le cadre d'une série de documentaires consacrée aux vingt plages mythiques dans le monde.
    Le jardin du boulevard Taleb Abderrahmane (ex-Guillemin) aurait du constituer la fierté de Bab El-Oued de part son emplacement et sa situation topographique donnant en perspective sur la Méditerranée. Il déboule en escaliers répartis en quatre compartiments d'inégales surfaces de la cité des Eucalyptus, au rond-point de la rampe Louni Arezki (ex-Valée), jusqu'au boulevard Abderrahmane Mira, sur le front de mer. Il est entrecoupé par les rues des frères Achachi et Ahmed Boukhezar (ex-Montaigne), et de l'avenue colonel Lotfi, prolongement de l'avenue Mohamed Boubella (ex-de la Marne). Les parties hautes de ce joyaux jardin, vue leur état de délabrement, ne semblent pas figurer sur la feuille de route et les priorités des élus et responsables locaux.
    Ils ne passent pas inaperçus. Bien au contraire, leur présence est signalée par l'odeur parfumée du thé à la menthe qui titille les narines. Il s'agit des marchands de thé ambulants omniprésents tout le long du front de mer de Bab El-Oued. Du thé, accompagné de cacahouètes ou d'amandes, selon les goûts, mitonné avec soin, concurrence oblige, par des jeunes hommes à la manière des contrées du sud algérien réputées pour leur expertise dans ce domaine. Certains de ces jeunes sont d'ailleurs originaires de cette partie du pays.
    « Moh Bab El-Oued », le défunt comédien et acteur Arezki Nabti, aurait fait, s'il était encore de ce monde, de très beaux sketchs sur les enfants de Bab El-Oued d'aujourd'hui.
    Ce quartier n'est plus ce qu'il était. Il s'est métamorphosé. Les inondations de 2001 sont passées par là. Elles ont changé et marqué les esprits. Elles ont aussi chamboulé la physionomie du quartier dont une grande partie des bâtiments et bâtisses, construits depuis le début du 20ème siècle sur le parcours de Oued M'kessel, y a été détruite. En dépit des aléas du temps et des éléments, Bab El-Oued vit et évolue sous la triple protection de Sidi Abderrahmane, saint tutélaire d'Alger, de Notre-Dame-d'Afrique et de Neptune (Dieu des mers.)

    M.A.H

     


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  • Esplanade d'El-Kettani (ex-Padovani) de Bab El-Oued la nuit, à Alger


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